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le grain ainsi broyé est imbibé d'eau; il prend ensuite de la consistance sous la main qui le pétrit; et bientôt l'action du feu le convertit en pain.

Voilà quatre faits qui tiennent les uns aux autres; mais de telle manière que le quatrième est une modification du troisième, comme le troisième est une modification du second, et comme le second est une modification du premier. Or, toutes les fois qu'une même chose prend ainsi plusieurs formes l'une après l'autre, on donne à la première le nom de principe.

L'oeuf du papillon se métamorphose en chenille, la chenille en chrysalide, la chrysalide en papillon le papillon est un œuf dans son principe.

Et si, des arts mécaniques ou des opérations de la nature, nous nous transportons au milieu des sciences, qui ne sait qu'en arithmétique l'addition se montre successivement sous les formes de multiplication, d'élévation aux puissances, de théorie des exposans; et, par conséquent, que toutes les méthodes qui servent à composer les nombres ont leur principe dans l'addition, comme toutes celles qui les décomposent ont le leur dans la soustraction?

La connaissance des principes, en nous

portant aux sources d'où découlent les vérités, ramène à une seule loi les phénomènes les plus divers et même les plus opposés en apparence elle assimile, elle identifie des opérations qui semblaient n'avoir aucune analogie d'une multitude de parties isolées, elle forme un tout symétrique et régulier; et, chose admirable! elle ajoute aux richesses de l'esprit, en réduisant le nombre de ses idées.

Malheureusement il est rare de saisir ces principes; soit que, placés à une trop grande hauteur, ils soient inaccessibles à nos facultés ; soit que, trop rapprochés, ils se dérobent à notre faible vue, également troublée par la présence trop intime de l'objet, et par son trop d'éloignement.

Lorsque, plus heureux ou mieux placés, nous voyons une suite de phénomènes ordonnés les uns par rapport aux autres, et tous ensemble par rapport à un premier; alors nous avons saisi le principe, et d'un même regard, nous embrassons un système.

Le système, lorsqu'il est porté à sa perfection, est le plus haut degré de l'intelligence de l'homme. En ramenant à l'unité une multitude d'objets divers, et en réunissant ce que la nature semblait avoir séparé, il enferme une

science toute entière dans une seule idée, dans un seul mot. Mais combien les bons systèmes sont rares! et combien d'illusions peut faire naître l'attrait de la simplicité!

S'il a fallu les travaux des siècles, pour apercevoir la liaison de la chute d'une pomme à l'orbite de la lune, des propriétés de l'ambre aux effets de la foudre; quel jugement porter de ces philosophes qui, d'un seul acte de leur pensée, ont voulu, ont cru embrasser, et l'immensité de tous les phénomènes du monde visible, et l'immensité infiniment plus prodigieuse de ceux qui, cachés au sein de la nature, sont couverts d'un voile à jamais impénétrable; ou de ceux qui, perdus dans les abîmes de l'espace, fuient d'une fuite éternelle les regards de l'homme? et comment excuser l'audace de ces titres fastueux, système de l'univers, système de la nature?

Mais, si c'est folie à l'homme de croire atteindre ce qui est au delà de ses sens et de sa raison, c'est sagesse, c'est besoin, c'est devoir d'étudier ce qui est à sa portée.

Or, pour acquérir l'intelligence de quelqu'un de ces systèmes particuliers dont l'ensemble forme le système universel des êtres, il ne faut pas se conduire au hasard.

Puisque, dans la formation d'un système, on se propose de lier plusieurs phénomènes pris dans l'ordre physique ou dans l'ordre moral, il est d'abord bien évident qu'il faut commencer par s'instruire avec soin de ces phénomènes. Comment, en effet, lier des faits qu'on ignore? Cette remarque est si simple qu'elle en paraîtra inutile ou minutieuse; mais si l'on se rappelle que la plupart des philosophes sont plus portés à vivre au milieu de leurs idées qu'au milieu des choses, on jugera, peutêtre, qu'on ne saurait trop souvent la repro

duire.

Il est plus commode, sans doute, il est surtout plus expéditif pour l'impatience, de suivre en toute liberté les mouvemens d'une imagination que rien n'arrête, et d'ordonner au gré du caprice les êtres qu'elle crée en se jouant, que de se traîner péniblement d'observation en observation, d'expérience en expérience; de revenir, sans jamais se lasser, sur ce qu'on a vu mille fois, jusqu'à ce qu'enfin on rencontre quelqu'une de ces vérités qui appellent d'autres vérités, et autour desquelles tout vient se ranger. Mais, comme ces vains systèmes, enfans de l'imagination, ne s'appuient pas sur la nature, rien ne peut les soutenir; et le moment

ΤΟΜΕ Ι.

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qui les voit s'élever, touche au moment qui les verra tomber pour toujours.

Voulez-vous acquérir de vraies connaissances? que tout soit détaillé, compté, pesé. C'est ne rien voir que voir des masses; divisez votre objet en différentes parties; étudiez successivement toutes ses propriétés; donnez une attention-particulière aux moindres circonstances. Les faits, ainsi long-temps observés et bien reconnus, laissent enfin apercevoir leurs vrais rapports; non pas seulement les rapports de simultanéité, ou de contiguité, ou de simple succession, ou même de causalité; mais les rapports de génération, les rapports qui les unissent par les liens d'une origine commune; alors vous aurez un système, et l'esprit sera satisfait.

Cette manière de procéder dans la formation d'un système, cette méthode, la seule qui puisse nous instruire, prend un nom particulier.

Au lieu de dire en un grand nombre de mots que « l'esprit décompose un tout en ses différentes parties pour se faire une idée distincte de chacune; qu'il compare ces parties pour découvrir leurs rapports, et pour remonter par ce moyen à leur origine, à leur principe; on dit, d'un seul mot, que l'esprit analyse.

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