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règles pour bien philosopher (1); c'est l'art de persuader (2); c'est un organe (3), expression remarquable: la méthode, en effet, est l'instrument de l'esprit, comme les organes des sens sont les instrumens du corps.

Mais cet instrument de puissance, si nécessaire à notre faiblesse, semble se dérober à la pensée, quoiqu'il soit en grande partie son ouvrage. C'est ordinairement à notre insu que nous nous en servons ; et l'on dirait qu'il agit en nous et sans nous, alors même que nous l'employons avec le plus d'adresse et de sûreté. Comme il ne se montre pas aux sens, et que nos besoins nous portent sans cesse hors de nous, il ne pouvait pas être facile de le être facile de le remarquer. Aussi, presque tous les hommes pensent, sans soupçonner qu'il y ait un art de penser; comme ils reçoivent dans leurs yeux l'image de l'Univers, sans songer aux merveilles de la mécanique qui opère ce prodige.

Il est donc indispensable de ramener l'attention au dedans de nous-mêmes, et de l'appliquer à la pensée. Il faut suivre l'esprit dans sa

(1) Newton.

(2) Pascal.

(3) Aristote, Bacon,

marche, l'observer dans ses actes, remarquer tout ce qui le dirige, tout ce qui l'égare; il faut enfin nous assurer de ce qu'il peut naturellement, et de ce que naturellement il ne peut pas, si nous voulons trouver un art qui vienne au secours de la nature. Quand nous saurons pourquoi nous avons besoin de méthode, la méthode qui nous convient s'offrira peut-être d'elle-même.

Si nous étions organisés, pour voir d'une première vue tout ce qui est renfermé dans les objets de nos sensations; si l'esprit avait une activité suffisante pour démêler en un instant toutes ses idées; si la mémoire conservait une image fidèle de toutes les impressions reçues, alors nos connaissances, acquises avec la plus grande facilité, nous seraient continuellement présentes, et nous n'aurions aucun besoin de méthode.

La nécessité d'une méthode provient donc de la faiblesse de l'esprit qui est borné, dans sa capacité de sentir, dans sa faculté de penser, et dans sa mémoire. Les sensations trop fugitives sont inaperçues : un seul objet absorbe la pensée : la mémoire n'embrasse qu'un petit nombre d'idées; et dans mille circonstances de la vie, dans l'étude des sciences surtout, nous éprou

vons le besoin d'en retrouver un grand nombre, et de les avoir toutes présentes au même in

stant.

Comment l'homme franchira-t-il les bornes, qui, de tous les côtés, s'élèvent autour de lui? Comment sortira-t-il de l'ignorance à laquelle il semble condamné par sa nature? Changerat-il cette nature? La faiblesse deviendra-t-elle force à sa volonté?

Non mais si, dans le sentiment de son impuissance, il trouvait le moyen de suppléer la force par l'adresse, de réduire le nombre à l'unité, en ramenant plusieurs idées à une idée unique, et de soumettre à un seul regard ce qui divisait en cent manières son attention : alors n'en doutons pas, on verrait se manifester des effets auparavant insensibles ou nuls; l'esprit délivré d'un fardeau qui l'accablait, avancerait avec une rapidité dont il s'étonnerait luimême.

Or, ce moyen existe : cette méthode est tout près de nous elle est en nous c'est elle qui règle nos facultés, et qui conduit notre esprit dans ces momens heureux que nous appelons des momens d'inspiration. Nous serons les maîtres de la suivre toujours, si nous parvenons à la connaître.

L'idée qui doit nous la montrer, quoique assez facile à saisir, n'est pourtant pas une idée simple; elle se compose de deux idées qu'il faut nous donner d'abord. Quand nous saurons ce que c'est qu'un principe, et ce que c'est qu'un système, nous serons bien près de savoir ce que c'est que la méthode que nous cherchons; et nous connaîtrons, en même temps, la valeur de deux mots qui sont comme les clefs de la langue de la philosophie.

Remarquez toute la diversité des caractères que les peuples ont inventés pour peindre les sons de la voix; jetez les yeux sur cette planche, où l'on s'est plu à rapprocher les figures les plus régulières, et les dessins les plus bizarres; observez les formes variées à l'infini

que présente le spectacle de l'Univers. Si les yeux du corps ne suffisent pas, appelez à votre secours ceux de l'esprit, et tâchez de voir, comme en un tableau, cette multitude innombrable de caractères, de dessins et de figures.

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Où est, direz-vous, l'intelligence capable d'embrasser tant de choses, la mémoire assez vaste pour les contenir, l'imagination assez puissante pour se les représenter d'une manière distincte?

Je vais donc offrir à votre pensée un objet

plus simple. Imaginez un arc de cercle et sa corde, une ligne droite et une ligne courbe; variez la courbure de l'arc, variez aussi la position de la droite par rapport à l'horizon : votre imagination saisit facilement ces deux traits; elle les suit, ou croit les suivre, dans tous leurs changemens.

Eh bien, ces deux objets, dont l'un effrayait votre faiblesse, et dont l'autre vous paraît un simple jeu d'enfant, ne sont qu'un seul et même objet. C'est avec la droite et la courbe que l'art etla nature dessinent tous leurs ouvrages. Vous ne l'eussiez pas cru: deux élémens suffisent à tant de prodiges; ils sont les principes générateurs de toutes les formes qui sont au monde.

Et si les courbes se composent de petites droites inclinées les unes sur les autres, comme le suppose souvent la géométrie, alors les deux principes se réduisent à un seul. La ligne droite est le principe unique de toutes les figures.

Qu'on me permette quelques exemples familiers; qu'on me permette même de les prendre dans l'ordre de choses le plus commun, s'ils peuvent déterminer d'une manière précise l'idée que nous attachons au mot principe.

Personne n'ignore la manière dont se fait le pain. On a du grain qu'on broie sous la meule;

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