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causes inaperçues, de mettre à découvert ces origines cachées. Si les idées naissent et se développent sous nos yeux, il nous sera facile d'observer la manière dont se forme l'intelligence de l'homme, de déterminer les conditions de sa possibilité, d'assigner la raison de son existence; et le problème fondamental de toute philosophie se trouvera résolu (1).

Quel sera le sort d'une entreprise dans laquelle tant d'autres ont échoué? Faut-il céder à la crainte? est-il permis de se livrer à l'espérance? Que, du moins, on épargne le reproche de présomption.

(1) La solution de ce problème est l'objet spécial des deux volumes que nous donnons au public. On peut les considérer comme faisant partie d'un cours de philosophie. On peut aussi les considérer comme formant un tout complet; et alors, le titre qu'on lit à la tête de cet ouvrage, Essai sur les facultés de l'âme, devrait être remplacé par le suivant, Des Causes et des Origines de l'intelligence de l'homme, ou plus brièvement, Des Principes de l'intelligence de l'homme. Voyez la douzième et dernière ledu second volume.

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Il est vrai que nous osons nous flatter de tenir, s'il est permis de le dire, les premiers ressorts de la pensée, les divers élémens de la sensibilité, les principes enfin qui donnent la vie à l'intelligence. Mais ces principes, lorsqu'ils sont venus s'offrir à nous, nous ne les avons pas adoptés à la légère et sans examen. Objet d'un enseignement qui remonte au delà de trente années, ils ont assez long-temps subi l'épreuve des contradictions; exposés, d'un côté, à blesser d'anciens préjugés, des opinions en crédit, quelquefois, peut-être, les délicatesses de l'amour-propre ; de l'autre, combattus par des raisonnemens, tour à tour pleins de force, d'adresse et de subtilité, ils peuvent n'avoir pas, jusqu'ici, triomphé de toutes les résistances; mais ils ont su repousser toutes les attaques.

Combien cependant on serait loin de la vérité, si l'on supposait qu'en renonçant à l'heureuse obscurité des écoles, nous avons pu songer à une gloire tardive, ou à quelques vains applaudissemens! Notre unique pensée,

notre unique but a été de remplir une tâche qui nous était imposée (1).

(1) M. de Fontanes, grand-maître de l'Université de France, regardait comme le premier de ses devoirs celui d'encourager le zèle des professeurs. Ayant pris connaissance des leçons que nous donnions à la faculté des lettres de Paris, et que nous avions données autrefois à l'université de Toulouse ( au collége de l'Esquile), il voulut bien nous dire qu'il les jugeait utiles à l'instruction de la jeunesse, et qu'il désirait qu'èlles fussent imprimées. Un tel désir, et plus encore, un tel suf-. frage, durent forcer notre consentement.

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LA nature, toujours variée dans les ouvrages qu'elle expose à nos regards, peut avoir mis autant de différence entre les esprits qu'elle en a mis entre les corps. Elle peut avoir donné à l'intelligence de chaque homme un caractère propre qui la distingue de toutes les autres; mais ces inégalités primitives, si elles existent, s'effacent bientôt devant les grandes inégalités qui viennent de l'art et de la puissance des méthodes. Un enfant, aidé d'un levier, est plus fort qu'Hercule livré à ses propres forces. Celui qui connaît l'artifice des chiffres, étonnera le génie d'Archimède, si Archimède ne calcule que dans sa tête ou avec ses doigts.

« Je n'ai jamais cru, dit Descartes, avoir été

particulièrement favorisé de la nature, et souvent j'ai désiré d'en égaler d'autres, soit pour la facilité de retenir les impressions que j'avais reçues, soit pour celle d'imaginer les choses d'une manière distincte, soit pour la rapidité de la pensée. Si j'ai quelque avantage sur le commun des hommes, je le dois à ma méthode. »

Quand un esprit aussi pénétrant, après s'être long-temps étudié lui-même, et après avoir long-temps étudié les autres, nous dit que toute sa supériorité est l'ouvrage de la méthode, on doit, ce semble, mettre une extrême réserve dans l'opinion qu'on se fait quelquefois des dons naturels et des talens privilégiés. On le devra, à plus forte raison, si les philosophes de tous les temps, ceux-là même dont le génie précoce semble n'avoir pas eu d'enfance, ont pensé à peu près comme Descartes. Il en est peu en effet qui ne se soient appliqués à perfectionner un moyen auquel ils croyaient devoir toutes leurs découvertes, et qui, sous différens noms, n'aient cherché à nous le faire connaître. Ce sont d'abord des méthodes (1); ce sont des

(1) Descartes, Mallebranche, Condillac,

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