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hasarder devant un auditoire accoutumé; je demande grâce pour ce qui peut en rester dans quelques endroits.

Les amis de la philosophie qui nous ont honorés de leur présence, ne trouveront pas ici toutes les leçons qu'ils ont entendues; et celles que je publie, dictées sommairement et de mémoire, sont nécessairement incomplètes.

Cependant j'espère que les omissions ne se feront pas sentir. Beaucoup de détails m'ont échappé, les idées essentielles sont en trop petit nombre pour que j'aie pu les oublier.

Si, malgré ce qui manque à ce travail, et malgré l'imperfection de ce qui en a été conservé, l'indulgence des bons esprits croyait y apercevoir quelques traces de la méthode ; si la critique, oubliant sa sévérité, trouvait qu'il peut contribuer à faire naître, ou à fortifier le goût du vrai et de la simplicité qui en est inséparable, je serais trop récompensé sans doute : mais je serais moins sensible à ces encouragemens, qu'au regret de ne pas les avoir mieux mérités.

DISCOURS

SUR

LA LANGUE DU RAISONNEMENT,

Prononcé à l'ouverture du cours de philosophie de la faculté des lettres de Paris, le 26 avril 1811.

La philosophie, oubliant ce qu'elle devait à la parole, l'a quelquefois accusée d'être un obstacle au mouvement de la pensée et aux progrès de la raison. Aucune erreur n'est plus naturelle, quand on songe aux imperfections et aux vices des langues; et cependant aucune erreur ne saurait être plus éloignée de la vérité: on peut tout exagérer, mais non pas ce que nous devons à la parole; car, si l'esprit humain est tout entier dans l'analyse, il est tout entier dans l'artifice du langage.

que

Ceux qui, dans les langues, ne voient des moyens de communication entre les esprits, peuvent bien concevoir comment les sciences se transmettent d'un

peuple à un autre peuple, ou d'une génération aux générations suivantes; ils ignoreront toujours comment elles se forment et comment elles prennent sans cesse de nouveaux accroissemens.

Ceux qui, remontant à l'originedes signes du langage, ont reconnu que ces signes nous étaient d'abord nécessaires à nous-mêmes, qu'ils servaient à noter les idées acquises, à les rendre bien distinctes, et à les graver dans notre esprit d'une manière durable, ont fait plus que les premiers sans doute; mais, s'ils ont vu comment on fournit des matériaux à la mémoire, ils ont oublié de se demander comment nous entrons en possession de ces matériaux.

Ceux-là seuls embrasseront l'objet dans toute son étendue qui, dans ce que nous devons aux langues, distingueront, et des moyens de communication pour la pensée, et des formules nécessaires pour retenir des idées toujours promptes à nous échapper, et des méthodes propres à faire naître de nouvelles idées.

On se convaincra de cette influence des langues; on s'assurera qu'elles sont de puissans moyens de découverte et d'invention, si, examinant les idées dans leurs causes, on parvient à saisir le caractère qui les distingue des sensations.

Les sensations, il est vrai, appartiennent à l'âme, ainsi que les idées ; car il répugne également à la matière et de sentir et de penser; mais, en nous modifiant intérieurement, en nous faisant éprouver les affections de plaisir ou de peine, les sensations ne sauraient immédiatement nous éclairer. Pour que la lumière se montre, il faut que l'âme agisse au dedans d'elle, et qu'elle agisse au dehors. Il faut qu'elle se rende maîtresse des impressions qu'elle a reçues passivement, qu'elle les démêle, qu'elle les compare, qu'elle raisonne, qu'elle réfléchisse, afin de se connaître elle-même par l'exercice de ses facultés. Il faut que, par ces mêmes facultés, elle se porte jusqu'aux objets extérieurs, afin de connaître les phénomènes du

monde sensible: or, l'expérience atteste en elle un tel pouvoir.

Ce que l'expérience atteste encore, que la raison sera par conséquent forcée d'admettre, c'est que l'âme, pour passer ainsi des sensations aux idées, a besoin de chercher des secours hors d'elle, et dans des auxiliaires qui, par leur nature, sont tout-à-fait étrangers à l'âme, aux idées et aux sensations.

Ces auxiliaires, qui le dirait? ce sont des mouvemens, des gestes, des sons, des figures.

La direction de nos organes, sollicitée d'abord par l'impulsion de la seule nature, mais bientôt devenue volontaire et libre, commence à décomposer les objets, et donne naissance à nos premières idées.

A cette analyse encore grossière, et qui laisse à peine entrevoir quelques rayons de l'intelligence, succède le langage d'action; ici commencent les analogies des signes, et avec elles se manifeste un nouvel ordre d'idées; l'âme, qui n'avait encore

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