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comme dans les deux premiers exemples qu'on vient d'alléguer. Mais qu'est-ce que cela prouve? que ces deux mots ont chacun deux acceptions, celle qui leur est propre, et celle de cause. Or, c'est dans l'acception qui leur est propre que je les ai employés.

J'ai donc été fondé à dire que je n'avais point parlé de cause; et je n'en ai pas plus montré l'idée que le mot.

Principe et cause, sont deux idées relatives; principe, à conséquence; et cause, à effet. Dans une multitude de phénomènes ; dans une suite d'opérations de la nature, ou de l'esprit; dans un enchaînement quelconque d'idées; dans un système enfin, le phénomène qui se trouve placé à la tête du système, l'idée par laquelle tout commence et de laquelle tout dérive, voilà le principe. Le principe fait partie d'une chaîne dont il est le premier anneau : la cause, au contraire, se trouve en-dehors. Le principe de tous les mouvemens d'une montre, est dans le ressort qui fait partie de la montre; la cause, c'est l'horloger.

Qu'on cherche tant qu'on voudra les causes de la sensibilité qu'on croie les avoir aperçues dans l'ébranlement des nerfs, ou dans le

choc des esprits animaux, ou dans l'irritabilité de la fibre, ou dans le fluide électrique, ou dans le fluide galvanique, ou dans le fluide magnétique, etc. : ces opinions ne manqueront pas de partisans; elles seront célébrées, comme des interprétations de la nature, jusqu'à ce qu'elles aient fait place à de nouvelles opinions, qui seront aussi des interprétations de la nature, en attendant toujours de nouvelles interprétations.

Que malgré tant de recherches inutiles, on ne désespère pas de trouver la cause de la sensibilité et du sentiment, cela peut se concevoir; car enfin cette cause existe : mais qu'on n'en cherche pas le principe; car il n'existe

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pas.

y a certainement hors de nous, quelque chose qui nous fait sentir; mais en nous, mais pour nous, il n'y a rien, il ne peut y avoir rien d'antérieur au sentiment.

Vous ne direz pas que je porte la distinction des idées jusqu'à la subtilité : vous ne me blâmerez pas quand je cherche à mettre quelque précision dans mon langage; vous m'approuverez, au contraire, j'en suis sûr, quand vous saurez que la philosophie s'est précipitée dans un abîme d'extravagances, pour avoir confondu le principe avec la cause, ou la cause

avec le principe, ou, la raison avec le principe, l'origine, quand la raison devait être rapportée à la cause.

C'est pour n'avoir vu dans la raison de l'Univers qu'un principe, au lieu d'y voir une cause, que l'école d'Alexandrie rejeta l'idée de la création, et qu'elle s'égara parmi une multitude infinie d'émanations et de transformations. L'âme du monde se transformait en génies, en démons, en éons. Les émanations successives descendaient, par une suite de dégradations, depuis l'intelligence divine jusqu'à l'intelligence la plus bornée : elles communiquaient les unes avec les autres : elles s'illuminaient. Que dis-je? elles s'illuminaient! elles s'illuminent, et cette folie d'illuminations dure encore.

Ce n'est pas tout. Si dans la cause vous ne voyez qu'un principe, soyez conséquens, et dites non-seulement les intelligences finies sont des émanations de l'intelligence suprême; la matière elle-même sort du sein de la divinité: Dieu est tout; tout est Dieu, et il n'y qu'une substance.

Tels sont les déplorables abus où nous entraînent les vices du langage. Jugez combien il importe de se faire des idées exactes, et d'apprécier la valeur des mots.

Et, pour en revenir à Voltaire, sera-ce une témérité de dire, 1°. qu'il se trompe en admettant la maxime, que la sensation enveloppe la faculté de penser; 2°. que de cette maxime il n'a pu rien inférer contre la spiritualité de l'âme ; 3°. qu'il se contredit, en niant que nous connaissions le principe de la pensée; 4°. qu'il n'est pas fondé à se plaindre de notre ignorance sur l'origine de la sensation et de la pensée ?

Je voudrais pouvoir continuer cette discussion. Je m'étais proposé de vous soumettre un plus grand nombre de ces passages, que les lecteurs ordinaires adoptent sur la foi d'un nom célèbre; que vous-mêmes, vous eussiez peutêtre approuvés il y a quelques mois. Ce que nous avons dit sur les facultés de l'âme, sur la méthode, et sur les définitions, vous eût servi à apprécier d'une manière plus sûre, les pensées des philosophes relatives à ces questions, les seules dont nous nous soyons occupés jusqu'à ce moment. Mais il se trouve que les réflexions auxquelles je me suis laissé aller, en parlant de Buffon et de Voltaire, se sont prolongées plus

que je ne croyais, et qu'elles ont absorbé tout

TOME I,

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le temps dont nous pouvons disposer. Je suis donc forcé de m'arrêter, et de mettre fin à une leçon qui d'ailleurs, par sa nature, n'a pas de fin.

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:

Je terminerai ici la première partie du cours de philosophie. Les leçons dont elle se compose, à l'exception de quatre ou cinq, ce n'est pas moi qui les ai faites. C'est vous, messieurs, qui me les avez suggérées, et qui me les avez commandées en quelque sorte. Je disais une chose je croyais démontrer une vérité : vous ne vous rendiez pas aussitôt vous attaquiez ma démonstration; et vos raisons semblaient balancer les miennes. Je cherchais à soutenir ce que vous cherchiez à renverser; je fortifiais mes argumens ; je les appuyais de nouvelles considérations vous n'étiez pas encore satisfaits. Vous demandiez des éclaircissemens : vous proposiez des doutes : vous me faisiez part de vos idées; et lorsqu'enfin mes explications obtenaient votre suffrage, et que vous consentiez à les recevoir, c'était votre bien que je vous rendais. Vous m'avez souvent confié un dépôt:

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