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pas vu, et ce que Pascal n'avait peut-être pas assez bien vu.

Si les deux observations que je viens de faire, sont d'accord avec celles que vous auriez faites vous-mêmes (je ne parle qu'aux jeunes gens qui fréquentent, pour la première fois, une école de philosophie), vous pouvez vous dire que vous avez déjà fait quelques progrès. Vous pourrez vous le dire encore, et à plus forte raison, si, peu satisfaits de mes remarques, vous venez à prouver que le texte de Pascal est inattaquable.

En voilà sans doute assez, et peut-être trop. Il est plus utile d'étudier ce grand écrivain, que de relever minutieusement quelque inexactitude qui peut lui être échappée.

Buffon a écrit plusieurs pages de métaphysique; et son génie ne l'a pas abandonné, quand il l'a retiré quelques instans de la contemplation de la nature physique, pour l'appliquer à l'étude de la nature morale: mais comme il s'était fait une loi de la noblesse du style, et comme il savait, qu'on obtient cette noblesse par l'emploi des expressions les plus générales, il lui arrive quelquefois de négliger les faits particuliers, et de perdre en précision ce qu'il peut gagner en noblesse.

En voici un exemple qui se rapporte à ce que nous avons dit sur les facultés de l'âme.

<< Notre âme n'a qu'une forme très-simple, très-générale, très-constante. Cette forme est la pensée. » ( Hist. nat., t. 4, p. 153. 12.)

Comment Buffon, que la nature avait doué d'une imagination si riche, si flexible, si variée ; lui; dont le génie se plaisait également, à s'arrêter, à se resserrer sur le plus petit objet de la nature, et à se mesurer avec tout ce qu'elle a de grandeur; comment un écrivain, tour à tour, historien, peintre et philosophe, a-t-il pu ne voir qu'une seule forme dans son âme, dans son esprit? et comment cette forme, qui est la pensée, a-t-elle pu lui paraître constante et toujours la même ?

Non, l'âme, lorsqu'elle pense, n'est pas assujettie à une seule forme. Ce sont six formes bien distinctes que, l'attention, la comparaison, le raisonnement, le désir, la préférence et la liberté. Donner son attention, et préférer; raisonner, et désirer, sont des manières de penser qu'on ne confondra jamais :et, non-seulement la pensée prend les six formes que nous venons de nommer, elle prend encore toutes celles qui peuvent résulter des diverses combinaisons de ces six formes élémentaires.

Penser et agir, c'est une seule et même chose de la part de l'âme; et comme elle agit, ou peut agir de plusieurs manières différentes, il est de toute évidence que la pensée peut aussi s'exercer et se manifester de plusieurs manières différentes.

Voudrait-on dire, pour justifier Buffon, que la pensée est une forme générale, qui prend un nombre plus ou moins grand de formes particulières ?

Mais, 1°. cette forme générale est constante, d'après Buffon; elle n'est donc pas susceptible de modifications particulières.

2o. Ne voyez-vous pas, que si vous faites abstraction de toutes les formes individuelles, il ne reste rien à quoi l'on puisse donner le nom de forme, puisque la réalité ne se trouve que dans les seules formes individuelles ?

Les formes, ou facultés, ou manières d'agir, ou manières de penser, appartiennent à l'âme, et non pas à une pensée générale, à une forme générale, qu'on interpose entre l'âme et ses facultés réelles; pensée, ou forme inutile, forme dont il est impossible de se faire une idée, car elle n'est rien ce n'est qu'un mot représentatif des deux mots, entendement et volonté, comme nous l'avons déjà dit plusieurs fois;

mais puisque nous voilà engagés, en quelque sorte, dans des subtilités, il faut en voir la fin.

Quoique les mots, pensée, entendement, volonté, ne représentent immédiatement rien. de réel; et que ce ne soient que des expressions sommaires, commodes pour le discours, on leur a donné, par extension, le nom de facultés : nous leur laisserons ce nom; et toutes les fois que nous n'aurons pas besoin de mettre une extrême précision dans notre langage, nous dirons, avec tous les métaphysiciens, que la pensée est une faculté; que l'entendement est une faculté ; que la volonté est une faculté.

Mais, en nous exprimant ainsi, nous nous garderons bien de croire, que ces facultés soient des facultés individuelles. L'entendement comprendra trois facultés particulières ; la volonté, trois autres; et la pensée, plus composée encore, comprendra les deux facultés composées, l'entendement et la volonté.

Si donc, une académie proposait ce problème : « décomposer la pensée, ou la faculté de penser, en ses facultés élémentaires; » vous sauriez ce qu'on veut dire ; parce que l'énoncé de la question supposerait une faculté composée. Mais, si elle proposait le même problème,

en ajoutant un seul mot à son énoncé, et qu'elle dit : « décomposer la faculté générale de penser, en ses facultés élémentaires, » pourriez-vous en pénétrer le sens, un sens, tel que son développement fùt la réponse à l'appel de l'académie? J'ose vous dire que vous ne le pourriez pas; et que la question est devenue inintelligible, ou tout-à-fait stérile, par la seule addition du mot générale.

Général et composé, sont deux choses que l'on confond: et cependant, rien n'est plus opposé. Si l'on n'avait pas eu lieu de remarquer fréquemment, que les auteurs prennent une de ces idées pour l'autre si, mille fois on n'avait pas entendu répéter, que pour bien traiter une question, pour la bien approfondir, pour en pénétrer toutes les parties, il faut partir d'une idée très-générale, et très-composée, on ne pourrait pas supposer tant de confiance dans le discours, quand on se méprend d'une si étrange

manière.

Une idée est d'autant plus simple qu'elle est plus générale; car on généralise les idées, en leur retranchant quelque chose. Si, de l'idée de cercle, ou de figure ronde, vous retranchez la rondeur, il vous restera l'idée de figure, plus générale que celle de cercle : et si, de l'idée de

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