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manque, et l'on tombe nécessairement. L'unique moyen de se former un raisonnement exact consiste donc à corri

ger et à épurer sans cesse la langue. Avec des expressions qui ne seraient qu'à peu près celles dont nous avons besoin, le raisonnement ne serait qu'à peu près juste; c'est-à-dire que, ne saisissant jamais aucun rapport précis, et l'identité nous échappant toujours, nous croirions voir la vérité où elle n'est pas, et nous ne saurions pas la voir où elle est.

Ceux qui, par une volonté ferme et par un fréquent exercice, ont enfin contracté l'habitude d'une langue bien faite, ne sont pas ainsi exposés à tomber d'erreurs en erreurs, ou à flotter éternellement dans l'incertitude des opinions les plus opposées. Une sorte d'instinct leur fait démêler le vrai du faux, avec autant de sûreté que de promptitude; la facilité est devenue la compagne inséparable de la justesse; et ils raisonnent naturellement bien, alors même qu'ils ne pensent pas à raisonner. Comme

le sentiment de l'analogie ne les abandonne jamais; ils passent sans effort d'une idée à une autre idée; les pensées et les expressions qui sont actuellement dans leur esprit, sont liées aux pensées et aux expressions dont elles dérivent, et aux pensées et aux expressions qu'elles vont engendrer.

Or, si nos pensées et nos expressions nous ramenaient toujours à celles qui les précèdent, et nous conduisaient toujours à celles qui les suivent, qui ne voit combien serait diminuée la difficulté d'apprendre les sciences et d'en retenir les différentes parties, puisque d'une seule vue de l'esprit, d'un seul acte d'attention, on pourrait saisir, toute entière, une longue série de déductions, une longue chaîne de vérités?

On commence à entrevoir en quoi consiste la langue du raisonnement; on le concevra mieux, si nous nous aidons de quelque exemple, qui montre cette langue en action.

J'ai près de moi, messieurs, l'exemple

TOME I.

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qui peut le mieux nons convenir. En vous le présentant, j'aurai l'avantage de vous exposer le plan du cours de philosophie, tel qu'il a été arrêté par les hommes éclairés qui composent le conseil de l'uni

versité.

Voici le texte du programme qui nous trace la route que nous devons suivre :

<< Le professeur de philosophie approfondira les principales questions de la logique, de la métaphysique et de la morale;

» Il s'attachera principalement à montrer l'origine et les développemens successifs de nos idées;

» Il indiquera les causes principales de

nos erreurs ;

>> Il fera connaître la nature et les avantages de la méthode philosophique (1).

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Tels sont les objets que l'on impose à notre méditation. Ils occupèrent les sages dès la plus haute antiquité, et ils continueront de les occuper tout le temps que

(1) Voyez la seconde note de la deuxième leçon.

les hommes conserveront quelque sentiment de la dignité de leur nature. La Grèce, depuis Thalès jusqu'au moment où elle perdit son existence politique, n'honora pas moins ses philosophes que ses plus illustres guerriers; et les siècles modernes prononcent avec autant d'admiration que de reconnaissance les noms de ceux qui, depuis le renouvellement des lettres, ont consacré leur génie à l'étude de l'homme et au perfectionnement de la raison.

On sent l'impossibilité de développer en un moment des vérités qui devront nous occuper pendant des années; et je dois à ceux de mes auditeurs qui permettront au professeur de leur donner le nom d'élèves, de leur dire que, si quelqu'un d'entre eux n'avait pas compris tout ce que nous avons exposé jusqu'ici, ou laissait échapper quelqu'une des réflexions que nous allons ajouter, il devrait bien se garder d'en accuser son intelligence. Un premier discours peut ne pas se suffire à lui-même,

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>>

surtout si l'on avait eu le dessein d'exciter la curiosité plutôt que de la satisfaire. « Le professeur approfondira les principales questions de la logique, de la métaphysique et de la morale. >> Approfondir une question, c'est en pénétrer toutes les parties, c'est éclairer celles qui sont les plus reculées et les plus obscures; c'est, en un mot, la traiter de manière qu'elle ne laisse rien à désirer. Or, le désir de l'esprit ne sera jamais satisfait tant qu'il restera quelques idées dont on n'aura pas rendu raison; et comme la raison d'une idée ne peut se trouver que dans une ou plusieurs idées antérieurement connues, jusqu'à ce qu'on arrive à une idée connue indépendamment de toute autre, il s'ensuit qu'on n'aura jamais complétement résolu une question, tant qu'on ne sera pas remonté à une idée fondamentale qui n'ait sa raison dans aucune autre, et qui elle-même soit la raison de toutes celles qui entrent dans la solution que l'on cherche.

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