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considèrent, et nous ne garderons que seul rapport qui doit nous donner la langue que nous cherchons.

Si vous avez égard à la multitude des sons émis et modifiés par l'organe vocal, vous compterezautant de langues que de nations.

Si, changeant de point de vue, et négligeant toute cette diversité d'accens et d'articulations, vous considérez la parole comme pouvant s'appliquer aux divers objets de nos connaissances, vous verrez sortir de cette nouvelle considération une nouvelle classe de langues aussi nombreuse ou même plus nombreuse que la première.

D'un côté vous aurez les langues, française, anglaise, italienne, allemande, etc.; de l'autre, vous trouverez toutes les langues des arts et des sciences, les langues de la morale, de la chimie, de l'astronomie, etc.; en un mot, on aura d'autant plus de langues que l'on comptera plus de peuples; qu'on sera plus avancé dans la civilisation, et que les idées acquises seront plus multipliées.

Mais, outre cette quantité innombrable d'idiomes dont chacun sert de communication à tous les individus d'une même contrée, et toutes les langues plus ou moins savantes qui se partagent entre elles les vocabulaires des nations, il existe chez tous les peuples une langue toujours présente, et qui toujours semble se cacher. Dans tous les pays et dans tous les siècles, les bons esprits en ont eu le sentiment, quoiqu'ils n'aient pas su la remarquer. Parce qu'on en avait le sentiment, on se conformait à ses règles dans la pratique, toutes les fois que la pensée était bien dirigée. Parce qu'on ne l'avait pas clairement aperçue, on ne pouvait pas en avoir développé la théorie.

Cette langue est distincte de toutes les autres, et cependant elle les pénètre toutes pour leur communiquer la vie. Privées de son secours, la langue historique et la langue descriptive ne fourniraient que de vains ornemens pour la mémoire, ou, pour l'imagination, des tableaux bizarres et sans ordonnance.

Rarement on la parle seule et dans toute sa pureté; toujours on la trouve mêlée à la langue des grands poëtes, des grands orateurs et des grands historiens.

Les philosophes, tout en la réclamant comme leur propriété, l'ont souvent mé connue; tandis que ceux qui ne se paraient d'aucun titre, et qui n'avaient que le simple bon sens, ont su en faire un heureux emploi.

Les mathématiciens, dans leurs recherches sur la grandeur abstraite, l'ont pressentie de bonne heure, s'en sont emparés pour ne plus s'en dessaisir, et lui ont fait faire des prodiges.

Ennemie des fausses analogies, des liaisons faibles, de tout rapport vague ou incertain, elle repousse tout ce qui est arbitraire, obscur ou mal déterminé.

Amie de l'ordre et des successions régulières, le moindre écart la contraint, la gêne dans ses développemens.

Sert-elle d'interprète au génie : alors, facile et sûre dans sa marche rapide, cha

cun de ses mouvemens est marqué par une découverte, et la vérité qu'elle vient de trouver promet toujours une vérité nouvelle.

Éminemment analytique, elle n'admet les idées qu'autant qu'elles portent l'empreinte de cette science qui constate leur réalité en montrant leur origine. Ainsi éprouvées, elle les adopte, les accompagne dans toutes leurs transformations, et ne les abandonne jamais, alors même qu'elle semble les perdre de vue.

Lorsqu'elle se fait entendre, tout est vrai, tout est distinct, tout devient lumi

neux.

La lumière! voilà surtout son caractère. Pour peu que cette lumière vacille, la langue hésite : la lumière vient-elle à manquer, la langue s'arrête.

Son nom doit rappeler l'opération de l'esprit qui rapproche les idées, qui les combine de toutes les manières, et qui n'en laisse échapper aucun rapport, afin de saisir le seul rapport qui l'intéresse, le

rapport qui fait briller l'évidence, en nous donnant la certitude. Nous l'appellerons la langue du raisonnement.

Cette langue, on le pense bien, exige un travail soutenu, elle exige une habitude d'autant plus longue, que les langues vulgaires, dont elle est l'emploi le plus parfait, sont elles-mêmes plus éloignées de la perfection.

Comment, avec des langues où manque si souvent l'analogie, et qui ne sont que des débris de langues plus ou moins polies, plus ou moins barbares, le raisonnement, qui n'est au fond que l'analogie, ne présenterait-il pas des difficultés? Comment des langues qu'on fait servir à tant de sophismes, à tant d'équivoques, à tant de jeux de mots, pourraient-elles, sans l'attention la plus scrupuleuse, être ramenées à cette sévérité qu'exige la raison? Comment ne pas s'égarer dans une route mal tracée et toute remplie de fausses indications? Et cependant, si l'on s'écarte de la ligne qui mène à la vérité, le sol fuit, tout appui

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