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Je ne continue pas cet examen. Il est prouvé qu'il suffit de l'attention, de la comparaison et du raisonnement pour obtenir cet effet, qu'on appelle genre descriptif : et remarquez que le raisonnement doit toujours s'entre-mêler dans les descriptions, sans quoi nous nous en lasserions bien vite. En lisant une pure description, nous sommes presque entièrement passifs; au lieu que nous agissons dans le raisonnement; et les plaisirs de l'esprit sont surtout dans l'action.

On peut voir, d'après la manière dont s'exprime La Fontaine, que pour faire un raisonnement, il n'est pas nécessaire d'employer des signes matériels, car, donc, en effet, etc. : ces conjonctions ne peuvent être heureusement employées que lorsque les conséquences sont inattendues, soit à cause de leur singularité, soit parce qu'elles sont, ou qu'elles paraissent éloignées de leurs principes : j'existe; donc il existe quelque chose d'éternel: voilà le donc bien placé. Il avertit l'esprit du rapprochement de deux propositions, qui semblaient séparées par un intervalle immense. Il en est de même du fameux argument de Descartes, quoique je ne veuille pas en garantir la solidité : Dieu est possible; donc il existe. Mais, en général, il

faut raisonner sans afficher le raisonnement : c'est la manière des grands écrivains, de Fénélon, de Bossuet, de Molière, de Boileau, et de tous les hommes de goût.

A l'occasion des vers que je viens de citer, et en vous rappelant le plan du cours de philosophie que j'ai indiqué dans une des premières séances, je hasarderai une idée qui, peut-être, vous surprendra d'abord; c'est qu'on pourrait faire un cours de philosophie, ou du moins de métaphysique et de logique, sur une page de Boileau, ou sur une scène de Racine, ou sur une fable de La Fontaine. Et pourquoi ne le trouverions-nous pas tout entier dans la fable du Chêne et du Roseau ? n'y voit-on pas l'emploi le plus heureux des facultés de l'esprit, l'attention, la comparaison et le raisonnement? cette fable, chef-d'oeuvre du génie, n'est-elle pas un des plus beaux produits de l'action de ces facultés? n'offre-t-elle pas, enfin, le moyen le plus parfait dont puissent s'aider nos facultés dans la langue admirable que parle La Fontaine? car, je veux le dire d'avance, pour vous fournir un texte de méditation : les langues sont l'instrument nécessaire et unique du raisonnement : les langues, et les organes des sens, sont les instrumens de l'attention et de la comparaison;

les langues, aidées de la mémoire, en l'absence des objets; les langues et les organes, en leur présence.

Ne me demandez pas à l'instant, la preuve de ces propositions ; dispensez-moi d'ajouter une légère modification à ce que je viens de dire sur le raisonnement; et cependant ne vous plaignez pas, comme on l'a fait plus d'une fois, que chacune de nos leçons laisse quelque chose à désirer il faut bien qu'elles laissent quelque chose à désirer. Si chaque leçon se suffisait à elle-même, nous n'aurions pas un cours, un traité; nous aurions autant de traités différens que de leçons. Si chaque leçon fait désirer la suivante, tant mieux pour vous et pour moi.

Je l'avais déjà dit (pag. 177 ), et la fable du Chêne et du Roseau semble le confirmer. Le cours tout entier doit se trouver, en quelque sorte, dans chacune de ses parties, mais je ne puis pas l'en faire sortir en une heure. Si je pouvais vous montrer la métaphysique, la morale et la logique, comme un peintre montre une action entière, dans un tableau, vous verriez tout à la fois; mais vous ne verriez que confusion. Heureusement, il m'est impossible de vous présenter mes idées autrement

que dans un ordre successif, parce qu'il m'est impossible d'articuler plusieurs sons à la fois.

Mais l'impuissance de tout dire en un instant est une chose dont il ne faut pas nous plaindre, puisque nous lui devons ce qu'il y a de clair et de distinct dans la pensée.

Cette succession forcée des idées par le langage parlé, démontre de la manière la plus sensible, une proposition dont la vérité semble contredite par l'expérience, savoir, que les langues sont autant de méthodes analytiques, quoiqu'il y ait si peu d'hommes qui sachent, en parlant, bien analyser leur pensée.

Voilà encore une idée, et une espèce d'énigme, que je livre à vos méditations.

Troisième obj. Dans tout ce que nous avons entendu jusqu'ici, une chose a droit de nous surprendre. Vous avez proposé un système des facultés de l'âme vous avez rejeté un autre système des facultés de l'âme : vous avez cherché à repousser les objections qu'on a faites contre votre système des facultés de l'âme. Ce mot áme revient, à chaque phrase, dans vos discours mais avez-vous démontré que nous ayons une âme ?

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Rếp. 1°. Est-il bien nécessaire d'avoir démontré l'existence de l'âme, pour connaître les facultés de l'entendement ? Avant, comme après cette démonstration, il est incontestable que l'homme conçoit les choses, qu'il s'en fait des idées : il a donc des facultés par lesquelles il forme son intelligence, et que, par conséquent, on a le droit d'appeler facultés intellectuelles. Vous ne voulez pas que j'aie exposé le système des facultés de l'âme : convenez, du moins, que j'ai exposé le système des facultés intellectuelles de l'homme; et, si je viens à, vous prouver que ces facultés intellectuelles, qui appartiennent à l'homme, ne peuvent pas appartenir à son corps, vous serez obligés d'avouer qu'elles appartiennent à quelque chose qui diffère du corps, et qui, cependant, fait partie de l'homme; mais je n'ai pas besoin, pour le moment, de vous donner cette preuve, puisque notre système reste tout entier, quelque opinion qu'on ait sur la nature de l'âme, ou sur la nature du principe qui possède des facultés intellectuelles.

2o. Je prie celui d'entre vous qui a fait l'objection à laquelle je viens de répondre, de vouloir bien sesouvenir que j'ai averti, en commençant, que je supposais d'abord l'existence de

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