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Voilà ce qu'on m'avait demandé, et ce qu'on me demande encore.

Je répondrai ce que j'ai déjà répondu, que je ne puis vous faire connaître cette faculté par des paroles. On ne définit pas les mots par des mots à l'infini. Lorsqu'on est arrivé à un mot primitif, à une idée première, on se trouve placé au commencement de tout on est au terme où il faut nécessairement s'arrêter. Or, l'attention est le principe des facultés de l'âme; elle est donc au delà de toute définition.

Ne croyez pas que, parce qu'il est impossible de définir l'attention, l'idée de cette faculté première laisse quelque chose à désirer du côté de la clarté; les principes portent avec eux leur lumière; et c'est cette lumière qui éclaire toutes les définitions, toutes les démonstrations, et qui se projette sur tous les développemens des sciences.

L'attention, ou la première manifestation de cette force qui, dans l'âme, modifie les sensations, les idées, et qui, hors de l'âme, produit les mouvemens du corps qu'on appelle volontaires, ne se fait sentir que par son exercice; elle ne peut donc être connue que par elle-même. On s'abuserait étrangement, si l'on croyait avoir une idée plus claire de la force que nous

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attribuons au corps, que de la force de l'âme. Lorsqu'un corps en choque un autre, et que par le choc il lui communique du mouvement, cette force de percussion, dont nous croyons avoir une idée, est, ou une force semblable à celle dont nous avons le sentiment, ou un phénomène d'un ordre différent. Dans la première supposition, c'est notre sentiment que nous prêtons au corps : nous jugeons qu'il se passe en lui quelque chose de semblable à ce qui se passe au dedans de nous ; et ce jugement, fondé sur une fausse analogie, ne peut être qu'une erreur.

Si l'on suppose dans le corps choquant une force qui n'ait aucun rapport, aucune analogie avec ce que nous sentons, il n'y a plus d'idée (je ne dis pas de réalité) sous les mots qu'on

prononce.

L'idée que nous avons de l'activité de l'âme lorsque nous sommes attentifs à un objet; l'idée de cette force qui se concentre pour rendre la sensation plus vive, n'est donc, pour le redire encore, susceptible d'aucune définition : il nous est impossible de l'exprimer par des paroles; et cette impossibilité même confirme la vérité de notre système.

Le système des facultés de l'âme est démon

tré dans toutes ses parties, et rien, j'ose le dire, ne nous est mieux connu, ni en physique, ni en mathématiques, ni en mécanique. Son évidence va de pair avec celle du système du monde, avec celle de l'arithmétique, avec celle du mécanisme de la montre, avec tout ce que nous savons le mieux.

N'est-ce pas, dira-t-on, la plus étrange des illusions, de prétendre que l'on puisse connaître un système qui ne tombe sous aucun de nos sens, un système abstrait, intellectuel, un système métaphysique enfin, avec la même évidence que nous connaissons un système mécanique, un système tout matériel? nous voyons la montre; nous la manions; nous pouvons la transporter d'un lieu dans un autre y a-t-il quelque chose de semblable ou d'analogue dans le système des facultés de l'àme?

L'objection, il faut en convenir, présente les apparences de la vérité. Mais souvent l'erreur se cache sous de telles apparences. Vous ne voyez pas les facultés de l'âme : voyez-vous la faim? voyez-vous la soif?

Non, mais je les sens, répondez-vous.

Eh quoi! ne sentez-vous pas l'attention? ne l'avez-vous jamais exercée assez long-temps pour fatiguer vos organes? ignorez-vous les ef

fets d'une contention d'esprit trop long-temps prolongée ? vous sentez donc l'attention, de même que vous sentez la faim ou la soif. Or, si vous la sentez, pourquoi ne pourriez-vous la connaître? nos connaissances ne sont-elles fondées sur le sentiment? (T. 2.)

pas

Mais prouvons ce que je viens d'avancer; que rien, en effet, ne nous est mieux connu que le système des facultés de l'âme; et, s'il faut répéter ce que nous avons dit plus d'une fois, ne craignons pas de nous répéter.

Pour former un système, ou pour le concevoir quand il est formé, trois conditions, avonsnous dit, sont indispensables: idées exactes et précises de toutes les parties; perception distincte de leurs rapports; connaissance du principe générateur.

Voilà, en bien peu de mots, tout ce qui est nécessaire pour faire des découvertes, ou pour s'approprier les découvertes des autres : mais ces expressions abrégées, ces propositions générales, admirables pour soulager la mémoire, parce qu'elles réduisent les connaissances acquises, à quelques mots, à quelques idées, sont tout-à-fait impuissantes pour faire naître des idées. Le vague qui les environne peut satisfaire la présomption qui ne sait pas douter, et

qui n'ignore rien. Il ne saurait contenter la

raison.

On peut comparer, à quelques égards, les propositions générales, les maximes universelles, à ces effets de commerce qui représentent de fortes sommes, qui même en tiennent lieu, mais dont on suspecte un peu la valeur, jusqu'à ce qu'on les voie réalisées.

Réalisons donc : faisons sortir les règles de leur universalité : appliquons - les à quelque exemple particulier.

Celui que je choisis, puisque je l'ai mis en avant, et puisqu'on me l'oppose, est un chefd'œuvre de l'industrie humaine, une des plus belles créations du génie de la mécanique; c'est une montre. Voyons en quoi consiste la connaissance que nous pouvons en acquérir, et comparons cette connaissance à celle que nous avons du système des facultés de l'âme.

Je suppose donc que nous voulions nous former une idée juste et parfaite de ce système mécanique. N'est-il pas naturel d'en mettre toutes les parties sous nos yeux, de les examiner les unes après les autres, d'en observer les formes et les dimensions? Lorsque ce premier travail est fait, lorsque nous connaissons bien la nature et le nombre de tous les rouages, pou

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