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la résonnance du corps sonore; de même, dans l'étude de l'esprit humain, tout devait se ramener à un principe unique, qui, dans une variété infinie de transmutations, offrît tous les phénomènes de la raison et de la pensée.

Condillac exposa d'abord cette doctrine dans son Essai sur l'origine des connaissances humaines, ouvrage dans lequel il fait tout dériver de la perception ou de la conscience. (Essai sur l'origine, etc., pag. 40 et 50.) Depuis il a substitué à ces deux mots celui de sentiment, et plus souvent, celui de sensation. Mais, en changeant le mot, il n'a pas changé l'idée. Son principe générateur est toujours le même: c'est toujours la modification que l'âme éprouve, à l'occasion des mouvemens produits dans les organes par l'action des objet extérieurs.

L'auteur a regardé cette découverte comme un des premiers titres de sa gloire. Il l'a reproduite plusieurs fois, dans des ouvrages compo sés à des époques séparées par de longs intervalles; et elle lui paraissait si évidente, que dans sa Logique, après une analyse des facultés de l'entendement, qu'il fait toutes sortir de la sensation, qui se transforme (ou qu'il transforme) en chacune d'elles, il ne craint pas de dire que, comme en algèbre l'équation fon

damentale passe par différentes transformations pour devenir l'équation finale qui résout le problème, de même la sensation passe par différentes transformations pour devenir l'entendement. ( Logique, pag. 175.)

Vous connaissez les motifs qui ont amené Condillac à ce degré de conviction : vous avez médité les passages où il les expose, et particulièrement ceux que je vous ai fait remarquer (leçon 3): ils ont été aussi l'objet de mes méditations, non pas seulement pendant quelques jours, mais pendant plusieurs années. Attiré par le charme de leur simplicité, caractère ordinaire du vrai, j'entrais dans des détails que l'auteur a négligés; je me plaisais à développer ce qui n'était qu'indiqué; je cherchais à éclairer ce que d'abord on pouvait ne pas apercevoir, à fortifier ce qui semblait manquer d'appui. Inutiles efforts! le raisonnement a toujours été impuissant pour franchir le passage de la sensation à l'attention; et, soit que Condillac ait été dans l'illusion pendant trente ans, soit que jamais il n'ait énoncé sa pensée avec une clarté suffisante, soit que j'aie manqué de pénétration; il m'a toujours été impossible de concevoir, non pas que la sensation précède l'attention, mais que la sensation se change en

attention; non pas que, dans l'àme, un état actif succède immédiatement à un état passif, mais qu'il y ait identité de nature entre ces deux états, en sorte que l'activité soit une transformation de la passivité ; et je suis si loin de donner mon assentiment à cette proposition, qu'à peine sais-je ce qu'il est possible d'entendre, par le rapprochement des termes dont elle se compose.

Le changement de la sensation en attention n'est pas la seule chose qui m'ait arrêté dans l'analyse de Condillac. Ce qu'il dit sur le jugement, et sur l'inquiétude qui succède au malaise, se refuse obstinément à entrer dans mon intelligence; et les raisons qui paraissent si lumineuses à l'auteur, ne sont pour moi qu'un faux jour, ou plutôt que l'absence de toute lu

mière.

Il s'agit de motiver l'opposition qui se trouve entre ma manière de voir, et celle d'un aussi excellent esprit, sur une matière qui l'avait occupé toute sa vie.

Revenons sur l'exposition dont je vous ai donné lecture à la troisième séance, et parcourons-en successivement les principaux passages.

(A) (pag. 88.) Si ce n'est que parce que

l'âme sent que nous connaissons les objets qui sont hors d'elle, connaîtrons-nous ce qui se passe en elle autrement que parce qu'elle sent?

Il est très-vrai que l'âme ne connaît les objets qui sont hors d'elle, que parce qu'elle sent; et il n'est pas moins vrai qu'elle ne peut connaître ce qui se passe en elle que parce qu'elle sent mais s'ensuit-il de là que ses facultés ne soient que sensation?

Non assurément. De ce que l'âme ne connaît ses facultés que parce qu'elle sent, il s'ensuit, tout au plus (1), que la connaissance qu'elle prend de ses facultés dérive de la sensation : mais il ne s'ensuit pas que les facultés ellesmêmes dérivent de la sensation, qu'elles soient enveloppées dans la sensation, qu'elles soient des transformations de la sensation.

Condillac confond ici l'idée que nous nous faisons des facultés, avec les facultés; la connaissance d'un objet, avec la réalité de cet objet.

Il devait les confondre, dira-t-on; car il n'appartient pas à la bonne philosophie de parler de ce que les choses sont en elles-mêmes, mais

(1) On verra, dans la seconde partie, leçon 2, pourquoi j'ajoute cette restriction.

TOME I.

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seulement des idées que nous pouvons nous en former.

Pourquoi donc traite-t-il successivement de l'origine et de la génération des idées, et de l'origine et de la génération des facultés de l'áme? pourquoi annonce-t-il (Logique, p. 4) qu'il expliquera l'origine et la génération, soit des idées, soit des facultés de l'âme ? Il lui était si aisé de dire qu'il expliquerait l'origine et la génération des idées que nous nous faisons des facultés de l'âme! Condillac a donc voulu parler des facultés.

Quant à ce que la bonne philosophie permet ou défend, relativement à la recherche de la nature des choses, ou des choses considérées en elles-mêmes, il ne sera pas difficile de le dire quand nous aurons levé l'équivoque où l'on tombe dans l'emploi du mot connaître. Je ne puis donner cet éclaircissement que dans la seconde partie. (T. 2, leç. 7. )

(B) (pag. 89.) L'attention que nous donnons à un objet n'est, de la part de l'âme, que la sensation que cet objet fait sur nous.

On distingue dans l'organe deux états opposés; celui où il reçoit l'impression de l'objet, et celui où il se dirige sur l'objet. Il faut de même

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