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tion, est une manière de préférer, ou de vouloir, qui prend un nom particulier. Nous appelons cette manière de vouloir, liberté.

La liberté est donc le pouvoir de vouloir, ou de ne pas vouloir, après délibération; et, comme l'expérience nous atteste que, dans beaucoup de circonstances, nous voulons en effet, ou nous refusons notre volonté après avoir délibéré, il faut bien que nous ayons le pouvoir d'agir ainsi; et par conséquent il est prouvé que nous sommes libres.

La liberté n'est pas un choix aveugle; il est éclairé par les lumières de l'expérience : ce n'est pas un choix sans raison, puisque c'est pour éviter un mal ou pour obtenir un bien, que nous faisons le sacrifice du présent au futur, ou, d'autres fois, du futur au présent.

Comme la volonté modifiée par l'expérience donne naissance à la liberté, la liberté produit elle-même la moralité; et ce nouveau caractère (je ne dis pas cette nouvelle faculté) fait prendre à la liberté, telle que nous venons d'en déterminer l'idée, le nom de liberté morale, c'est-à-dire, de liberté qui engendre la moralité.

Le sacrifice que nous faisons d'un plaisir présent, dans l'espoir d'un avenir plus heu

reux, se rapporte uniquement et exclusivement à notre bien-être, où il a pour ob

le bien-être des autres. Je sacrifie le plaisir présent que j'aurais de manger encore, par la crainte d'un dérangement de santé, ou pour secourir un malheureux. Dans ce dernier cas, il y a une bonté morale dans mon action.

Pareillement, si je reçois un service à condition de quelque retour; si je m'engage à payer un service rendu, par un autre service, je puis, oubliant ma promesse, prendre le parti de l'ingratitude et de la mauvaise foi, parce qu'il peut m'en coûter pour être fidèle à ma parole; mais je puis aussi sacrifier l'avantage présent qui me reviendrait de mon indigne procédé, au tort que je ferais. Dans la première supposition, ma conduite est moralement mauvaise est-elle moralement bonne, dans la seconde ?

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D'où il suit que la moralité et l'égoïsme sont deux contraires. L'homme moral se souvient qu'il a des frères ; l'égoïste, s'il y a de tels hommes, ne connaît que son vil moi; l'humanité lui est étrangère; ce mot n'est qu'un vain son qui ne retentit jamais dans son cœur.

Ce caractère de moralité ou d'égoïsme, qui

modifie la liberté, reçoit une infinité de noms qui en expriment autant de nuances différentes: c'est la bonté, la générosité, la reconnaissance, etc., et leurs contraires.

Ce qui constitue proprement la moralité, c'est la fin que se propose l'agent libre, c'est-àdire, le bonheur de ses semblables; et quelquefois aussi d'autres motifs, comme celui de ne pas blesser la dignité de notre nature, de nous conformer à l'ordre, de nous soumettre à la volonté du créateur en un mot, un motif que la raison approuve, et qui soit étranger à notre intérêt personnel.

Voilà, messieurs, ce que j'avais à vous dire sur la liberté morale. Si l'erreur s'est glissée à mon insu dans quelqu'une des propositions que j'ai successivement énoncées, il vous sera facile de la découvrir; car je me suis attaché à porter une grande clarté dans un sujet qui s'y refuse plus que tout autre. (Leç. 7.)

Le dogme de la liberté, ou du libre arbitre a été, dans tous les temps, en butte à des objections qui semblent l'anéantir. Aussi a-t-on vu des sectes de philosophes, et des nations entières, embrasser le système de la fatalité.

Je ne m'engagerai point dans ces interminables débats. Il me suffira de quelques mots pour

répondre à deux objections qui portent sur la notion que je viens de vous donner de la liberté, et à deux autres qui tendent à renverser la liberté, de quelque manière qu'on la conçoive.

Première objection. Tous les hommes se disent libres, quand ils ont le pouvoir de faire ce qu'ils veulent. Des philosophes célèbres, Locke, Collins, S'Gravesande, Bonnet, etc. pensent en cela comme le peuple. Ils voient la liberté partout où se trouve le pouvoir de faire ce qu'on veut. C'est ce pouvoir qu'ils appellent liberté.

Réponse. Le pouvoir de faire ce qu'on veut peut s'allier avec la nécessité. La liberté est le pouvoir de faire ce qu'on veut après délibération. Si l'agent ne délibère ne délibère pas, il ne se dirige pas lui-même; il est entraîné.

Je conviens que souvent le pouvoir de faire ce qu'on veut, est appelé liberté : mais c'est le pouvoir de faire ce qu'on veut après délibération, qui est la liberté.

Seconde obj. Plus on est éclairé, plus la délibération est prompte, moins il y a de délibération; et comme la liberté, d'après ce que

nous venons de dire, est un choix après délibération, il semble que les lumières diminuent la liberté, et qu'une raison parfaitement éclairée nous ferait retomber sous le joug de la nécessité.

Rép. On ne fait pas attention, qu'il en est de l'excellence de la liberté, comme de celle d'un bon gouvernement, dont la perfection consiste à ne pas se laisser apercevoir. La liberté la plus parfaite semble s'évanouir par sa perfection même, et prend l'apparence de la nécessité. Heureux celui qui s'est fait une pareille nécessité, puisqu'il choisit toujours ce qui est le mieux! Remarquez pourtant que la liberté suppose toujours une délibération ; mais cette délibération s'exécuterait si promptement dans une intelligence parfaite qu'elle ne serait qu'une simple comparaison, ou la vue simultanée des deux objets sur lesquels devrait s'exercer le choix ou la préférence.

Troisième obj. On ne peut pas vouloir sans motif. La volonté n'est donc pas libre.

Rép. Mais nous les pesons, ces motifs; nous les balançons; nous délibérons; et c'est parce

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