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seul l'âme le choisit, elle le veut, elle le préfère.

Cette préférence qui naît du désir, va ellemême donner naissance à une nouvelle faculté, sans laquelle il n'y aurait ni bien ni mal moral sur la terre, à la liberté.

S'il suffisait de nommer la liberté pour la faire connaître, cette leçon serait finie; car, après les déterminations libres de l'âme, viennent les mouvemens du corps qui exécutent ces déterminations; et les opérations du corps n'entrent pas dans le système des opérations, ou des facultés de l'âme.

Mais, si rien ne paraît d'abord plus clair que la notion de la liberté; si les hommes les plus ignorans, si les enfans même font de ce mot une application ordinairement très-juste; quand le philosophe vient à s'interroger sur l'influence des plus légers motifs, sur la nature des causes et des effets; quand il se dit que tout a été prévu; que des lois immuables régissent l'univers alors il hésite, partagé entre le sentiment qui lui crie qu'il est libre, et les argumens de sa raison qui semblent lui prouver que tout est soumis à la nécessité.

:

La liberté est d'une si haute importance dans les destinées de l'homme, qu'on nous saura gré,

peut-être, de nous arrêter un instant sur cette faculté.

Mais j'ai besoin de prévenir une réflexion qu'on pourrait m'opposer..

La question de la liberté se prête à tant de considérations, et à des considérations si subtiles, qu'il serait très-possible que tout le monde ne se rendît pas aux argumens que je vais produire. Comment, en effet, dans une matière qui a tant divisé, et qui divise tant encore les hommes, théologiens et philosophes, anciens et modernes, individus et nations; comment se flatter de rallier tous les esprits, en les ramenant à une seule et même manière de voir? Si donc quelqu'un d'entre vous, messieurs, n'était pas satisfait de ce que je vais dire sur la liberté, il ne faudrait pas qu'il se crût en droit d'en rien inférer contre le système des facultés de l'âme, objet de cette leçon. Seulement il pourrait en conclure que l'article de la liberté est à refaire.

J'ai besoin de prévenir aussi, que dans ce que je vais dire sur la liberté, je prends l'homme tel qu'il est dans l'état actuel, et non pas tel qu'on peut le supposer dans un état antérieur. Je parle de l'homme, sujet à l'ignorance, portant dans sa nature un penchant au mal comme au bien ; et non pas d'une créature qui naîtrait

avec une intelligence toute formée, et une volonté toujours droite. Je parle des enfans d'Adam, et non pas d'Adam avant sa chute : mais commençons.

La condition de l'homme n'est pas de jouir d'un bonheur constant et inaltérable: il n'est pas destiné, non plus, à être toujours malheureux. Sa vie s'écoule dans une alternative de biens et de maux. Si ses vœux étaient exaucés, si ses désirs ne rencontraient jamais d'obstacle, il connaîtrait à peine le malheur : il se délivrerait bien vite des sensations pénibles, pour se livrer tout entier à celles qui lui font aimer l'existence.

L'homme préfère donc, comme nous l'avons observé, certaines sensations à d'autres sensations de plusieurs manières d'être qu'il connait, il recherche les unes, il écarte les au

tres.

:

C'est encore un fait que souvent l'homme préfère ou choisit mal; c'est-à-dire, qu'en comparant l'état qu'il a choisi à celui qu'il a rejeté et que sa mémoire lui rappelle, il juge préférable celui qu'il a rejeté, et qu'il souffre de l'avoir rejeté. Or, juger que l'état qu'on a rejeté est préférable à celui qu'on a choisi, et souffrir d'avoir mal choisi, c'est se repentir.

Ainsi donc, l'homme a le pouvoir de préférer, ou de choisir, ou de vouloir; et il lui arrive ensuite, quelquefois, de se repentir.

Le repentir étant un sentiment désagréable, c'est une conséquence que l'homme ne veuille pas s'y exposer: c'est donc une conséquence qu'instruit par l'expérience, il examine, avant de préférer, lequel des deux états qui se présentent à lui peut être suivi du repentir, lequel peut en être exempt.

Le voilà donc qui délibère, qui compare les deux états, qui cherche à en prévoir les suites. Il ne suffit plus qu'un état se présente comme agréable; il faut qu'il n'entraîne pas après soi le repentir.

On voit donc qu'il y a deux manières de préférer, de choisir, de vouloir : l'une a lieu avant l'expérience du repentir; l'autre, quand nous en avons éprouvé les tourmens.

Lorsque nous n'avons pas encore été instruits par l'expérience, nous préférons, nous choisissons, nous voulons nécessairement l'état agréable, puisqu'un état agréable, qui nous agrée, ou que nous préférons, c'est la même chose; et, il y aurait contradiction à supposer, qu'avant toute leçon de l'expérience, un état agréable pût n'être pas préféré.

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Mais, lorsque nous avons fait l'épreuve du repentir lorsque nous savons qu'il peut être la suite d'une manière d'être agréable; alors, cette manière d'être peut cesser d'être préférée, car elle peut cesser de paraître agréable. Cette manière d'être ne se présente pas seulement sous le rapport de plaisir, mais sous le rapport de plaisir qui peut être suivi de peine.

Si nous jugeons que la peine doive suivre le plaisir; et surtout, si nous nous représentons cette peine comme fort considérable, alors il pourra arriver, l'expérience l'atteste, que nous ne voudrons pas d'un tel plaisir. L'idée et la crainte de la peine feront rejeter un état qui eût été préféré sans cela. Nous ne préférerons pas ce que nous eussions préféré. Nous ne voudrons pas ce que nous aurions voulu.

L'expérience du repentir fait donc que, bien souvent, nous ne préférons pas ce que nous eussions préféré sans cette expérience. Le repentir nous apprend à sacrifier un plaisir présent, la crainte d'une douleur à venir; un bien présent par la crainte d'un mal futur.

par

Sacrifier le présent à l'avenir; se priver d'un plaisir actuel par la considération des suites fàcheuses qu'il peut entraîner après lui; préférer, ou vouloir, ou se déterminer, après délibéra

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