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tuelles ayant été mal observé, toutes les conséquences porteraient à faux ; et le système, ouvrage de l'imagination, n'aurait pas de modèle dans la nature. Comment la simple capacité de sentir, comment une propriété toute passive sera-t-elle la raison de ce qu'il y a d'actif dans nos modifications? la passivité deviendra-t-elle l'activité ? se transformera-t-elle en activité ?

Les sensations peuvent (1) avoir, avec les idées, avec les connaissances, un rapport de nature: mais elles n'ont aucun rapport de nature avec les facultés ou les puissances de l'esprit; et même on se tromperait singulièrement, si l'on pensait qu'il suffit d'avoir éprouvé beaucoup de sensations, pour être doué d'une grande intelligence.

Ce n'est point par les sensations que les hommes diffèrent tant les uns des autres. La nature a donné les mêmes sens à tous : tous ont reçu les mêmes impressions; tous ont vu les différentes saisons de l'année, et les différentes saisons de la vie ; tous ont l'expérience des biens

(1) Je dirai dans la seconde partie quels sont les rapports des idées aux sensations. Jusque-là je ne dois rien affirmer sur la nature, ni sur l'origine des idées.

et des maux qui nous viennent de la nature, de ceux qui nous viennent de nos semblables, et de ceux qui nous viennent de nous-mêmes. Tous les hommes du même âge ont donc passé, à peu près, par les mêmes épreuves de la vie : tous ont éprouvé, à peu près, les mêmes sensations; et, cependant, quelle différence entre l'intelligence d'un homme et celle d'un homme !

pas

Tout ce que nous savons, nous l'avons senti, sans doute; mais combien de choses que nous avons senties, et que nous ignorons! Les sensations peuvent être le principe ou la source de nos premières connaissances, mais elles ne sont pas nos connaissances; surtout elles ne sont toutes nos connaissances (T. 2, leç. 2) : et, s'il faut rappeler des exemples malheureusement trop communs, qui n'a pas vu de ces infortu-. nés qui sentent, et ne font que sentir; qui parviennent à un âge avancé, sans avoir jamais laissé paraître une étincelle de raison? Il n'est pas nécessaire de se transporter dans les montagnes du Valais, pour rencontrer des créatures à figure humaine qui vivent dans une stupidité absolue, et dans un abrutissement tout-à-fait animal.

Puisque la différence des esprits ne provient pas du plus ou du moins de sensations, elle ne

peut provenir que de l'activité des uns, et de l'inertie des autres; car, dans l'esprit humain, tout peut se ramener à trois choses: aux sensations (1); au travail de l'esprit sur les sensations; et aux idées, ou connaissances, résultant de ce travail.

Le premier développement de l'intelligence, celui qui laisse apercevoir les premières idées, est le produit d'une action qui s'exerce immédiatement sur les sensations.

Pour obtenir un second développement, ou pour acquérir de nouvelles connaissances nous avons de même besoin de trois conditions idées acquises par un premier travail : nouveau travail sur ces premières idées : nouvelles idées résultant de ce nouveau travail.

:

En sorte qu'il s'agit toujours de partir d'un senti ou d'un connu, d'opérer sur ce senti ou sur ce connu, afin d'acquérir les premières idées, ou d'arriver à de nouvelles idées.

(1) Nous sommes forcés ici, et jusqu'au moment où nous aurons donné la théorie de la sensibilité, de parler comme tous les philosophes, de nous servir du mot sensation, quoique inexact. Ceux qui liront la seconde partie de cet ouvrage, y verront la raison de cette inexactitude, et ils y trouveront le mot propre, le mot qui doit être substitué au mot sensation.

1°. Sensations, opérations, premières idées : 2o. Premières idées, opérations, nouvelles idées :

3°. Nouvelles idées, opérations, etc. : Et toujours de même, sans qu'on puisse signer des bornes à l'intelligence.

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Toutes nos connaissances étant donc le duit d'un travail de l'esprit, de l'action de ses facultés, il s'agit de nous faire une idée de ces facultés il faut en déterminer le nombre; et cette détermination semble présenter d'abord de grandes difficultés.

:

Qui nous dira, en effet, de combien de manières différentes nous devons opérer pour donner à l'intelligence tous ses développemens? combien de puissances l'homme doit faire agir pour s'élever, d'un état purement sensitif, au rang d'un Aristote, d'un Descartes, d'un Newton?

Nous le trouverons ce nombre précis de facultés, ou plutôt il est trouvé; et il va se montrer de lui-même, si nous nous souvenons de tout ce qu'exige l'étude de la nature.

Trois conditions sont indispensables, et elles suffisent à toutes nos connaissances, au plus simple de tous les systèmes, comme à la plus vaste des sciences.

Nous l'avons dit (pag. 66): il faut d'abord se faire des idées très-exactes de toutes les par ties de l'objet qu'on étudie; et c'est l'attention qui nous les donne.

Mais comment ces idées formeront-elles le corps d'une science, si elles ne tiennent pas les unes aux autres ? il faut donc connaître leurs rapports; et c'est la comparaison qui les décou

vre.

La science n'existe pas encore. Elle ne méritera son nom que du moment où, de rapport en rapport, l'esprit se sera élevé au rapport fondamental par où tout commence. Or, c'est le raisonnement qui nous porte ainsi jusqu'aux principes; comme des principes, il nous fait descendre jusques aux conséquences les plus éloignées.

Attention, comparaison, raisonnement : voilà toutes les facultés qui ont été départies à la plus intelligente des créatures : une de moins, et ce ne pourrait être que le raisonnement, nous cesserions d'être hommes: une de plus, on ne saurait l'imaginer.

Par l'attention, Galilée découvre que les corps, en tombant verticalement près de la surface de la terre, parcourent quinze pieds dans la première seconde, quarante-cinq dans

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