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Un tel système n'a pu être conçu et déve→ loppé que par un esprit extrêmement habile à manier l'analyse. On y aperçoit clairement l'intention de mettre un enchaînement rigoureux entre toutes les parties, et de les ramener à l'unité. Rien ne paraît arbitraire : rien ne semble pouvoir être déplacé, et l'on éprouve d'abord un sentiment mélé de plaisir et de surprise, en voyant qu'une question, jusque-là toujours présentée de la manière la plus obscure et la plus embarrassée, ait pu être ramenée à ce degré de clarté et de simplicité.

Cependant, si cette clarté était plus apparente que réelle; si cette simplicité laissait échapper ce qu'il importe le plus de retenir sous les yeux de l'esprit; si elle était l'oubli de quelque condition nécessaire à la solution du problème; si le principe d'où part Condillac ne contenait pas tout ce qu'il en déduit ; et si enfin le fil des déductions se trouvait rompu plusieurs fois ; alors, entre un système simple, facile, ingénieux, mais manquant d'exactitude, et un système plus approchant de la vérité, fût-il présenté sous des formes moins heureuses, il n'y aurait pas à balancer; car, la simplicité est une chose relative à nous; au lieu que la vérité est une chose indépendante de la faiblesse de notre esprit.

TOME I.

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Mais si l'on connaissait un système qui n'eût pas les défauts qu'on voit bien que nous reprochons à celui de Condillac; si en même temps il avait l'avantage de porter les choses à un plus grand degré de simplicité, pourrions-nous ne pas l'adopter?

J'ose à peine dire que je vous communiquerai un tel système.

De bons esprits, je le sais, regardent l'analyse de Condillac comme l'histoire la plus fidèle des développemens successifs de la pensée. Peutêtre en est-il parmi vous qui partagent ce sentiment; j'en ai même la certitude.

Je vous prie d'accorder une attention particulière à la leçon qui va suivre. Vous y trouverez un principe autre que la sensation, des différences dans les facultés, et quelques changemens dans la langue. Ce sera à vous à juger ensuite ce qu'il ne m'appartient que de vous proposer.

QUATRIÈME LEÇON.

Autre système des facultés de l'âme.

A quoi bon ces recherches, plus curieuses qu'utiles, sur les facultés de l'âme? Feronsnous un meilleur usage de ces facultés, quand nous aurons pénétré leur nature? nos désirs seront-ils mieux réglés quand nous saurons ce que c'est qu'un désir? et serons-nous plus raisonnables quand nous croirons savoir définir la raison ?

:

J'aurais bien des réponses à faire je n'en ferai qu'une.

Placés, comme nous le sommes, à une époque de la civilisation, où la prodigieuse complication des intérêts semble avoir substitué une nouvelle espèce d'hommes à ces hommes simples qui vivaient à la naissance des sociétés, nous sommes forcés, pour nous soutenir dans cet état artificiel, de porter le secours de l'art dans notre raison et dans nos lois.

Du moment que les hommes, trop rapprochés, commencent à se faire obstacle; quand

l'opposition des intérêts fait succéder, à l'union la discorde, et la guerre à la paix, tout change sur la terre. Les lois éternelles de la morale et de la justice cessent de faire entendre leurs voix à des coeurs qui se sont ouverts aux passions; et elles sont remplacées par des lois positives, par des pactes, par des traités. Le bon sens naturel devient insuffisant pour démêler les rapports qui naissent de ce nouvel état : il se voit obligé de renoncer à sa simplicité primitive; et on se fait une raison artificielle, comme on s'est fait des lois artificielles.

Ainsi, l'homme ajoute à la nature, heureux, si dans les développemens successifs de ses facultés il la prend pour modèle; malheureux, si, indocile à ses leçons, il veut la soumettre à ses vains caprices.

Nous ne saurions étudier trop soigneusement les facultés que nous tenons immédiatement de la nature, et qui appartiennent à tous les hommes sans exception.

Reprenons donc cet utile sujet ; et, pour le traiter avec plus de vérité, attachons-nous à le traiter avec plus de simplicité.

Lorsque des rayons de lumière frappent nos yeux, le mouvement imprimé à la rétine se

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communique au cerveau; et ce mouvement du cerveau est suivi d'un sentiment de l'âme, d'une sensation, de la sensation de couleur.

Lorsqu'un corps sonore met en vibration les molécules de l'air, ces vibrations se transmettent à l'organe de l'ouïe; le mouvement reçu par cet organe se communique au cerveau, et l'àme éprouve le sentiment du son.

Il en est des autres sens comme de ceux de la vue et de l'ouïe. Toutes les fois que le goût, l'odorat et leoucher reçoivent l'impression de quelque objet extérieur, le mouvement reçu se communique au cerveau, et ce mouvement du cerveau est toujours suivi d'un sentiment de

l'âme.

Il y a donc trois choses à considérer dans nos sensations, dans les sentimens produits par l'action des objets extérieurs ; l'impression sur l'organe, le mouvement du cerveau et le sentiment lui-même.

Ce que nous venons de dire est incontestable, et nous n'imaginons pas que la contradiction puisse nous arrêter au premier pas que nous venons de faire. Essayons d'en faire un second aussi assuré que le premier.

L'âme vient d'être modifiée, d'éprouver des sensations à la suite des mouvemens du cer

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