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et du corps entier, par le resserrement de la gorge, par des soubresauts des hypocondres et de l'épigastre, par le trouble et l'égarement des yeux, par des cris perçants, des pleurs, des hoquets et des rires immodérés. Elles sont précédées ou suivies d'un état de langueur ou de rêverie, d'une sorte d'abattement et même d'assoupissement. Le moindre bruit imprévu cause des tressaillements; et l'on a remarqué que le changement de ton et de mesure dans les airs joués sur le piano-forte influait sur les malades, en sorte qu'un mouvement plus vif les agitait davantage et renouvelait la vivacité de leurs convulsions. On voit des malades se chercher exclusivement et, en se précipitant l'un vers l'autre, se sourire, se parler avec affection et adoucir mutuellement leurs crises. Tous sont soumis à celui qui magnétise; ils ont beau être dans un assoupissement apparent, sa voix, un regard, un signe les en retire. On ne peut s'empêcher de reconnaître, à ces effets constants, une grande puissance qui agite les malades, les maîtrise, et dont celui qui magnétise semble être le dépositaire. Cet état convulsif est appelé crise. Les commissaires ont observé que, dans le nombre des malades en crise, il y a toujours beaucoup de femmes et peu d'hommes; que ces crises étaient une ou deux heures à s'établir; et que dès qu'il y en avait une d'établie, toutes les autres

commençaient successivement et en peu de temps. » Le maître de cette foule était ici Mesmer, vêtu d'un habit de soie lilas ou de toute autre couleur agréable, promenant sa baguette avec une autorité souveraine; là Deslon, avec ses aides, qu'il choisissait jeunes et beaux. Les salles où ces scènes se passaient avaient reçu, dans le monde, le nom d'enfer à convulsions.

On magnétisait, outre l'homme, des objets inanimés, surtout les arbres, puis on attachait au tronc, aux branches, des cordes que les malades appliquaient à leurs maux. Quand c'était de l'eau qu'on magnétisait, elle prenait, pour le malade en crise, un goût et une température tout particuliers.

Il y eut de petits échecs: on ne réussissait pas à tous les coups, et, si le témoin de cet insuccès était quelque homme de lettres, un de ceux qui contribuent à faire l'opinion, le magnétisme en souffrait. La Harpe alla chez Deslon huit jours de suite, sans rien éprouver entre les mains du magnétiseur. Il demanda de la limonade et la trouva un peu aigrelette : c'était une médecine. « Je vis fort bien que, pour me faire quelque chose, on n'avait trouvé rien de mieux que de me purger. Enfin il emporta et il communiqua partout l'impression qu'il consigne dans ses Lettres. « Je n'y ai rien vu, en mon âme et conscience, qui ne m'ait paru ridicule et dégoûtant,

hors l'harmonica dont on joue de temps en temps dans la salle du baquet. »

Le maître avait déjà échoué chez d'Holbach. Il avait une lettre de recommandation pour le baron. Peu après son arrivée à Paris, il la présenta et fut invité à dîner avec tous les philosophes de la société. Soit que lui-même, soit que ses auditeurs fussent mal préparés aux merveilleux effets du magnétisme, il ne fit ce jour-là, dit Grimm, aucune impression sur personne; et, depuis ce fâcheux contre-temps, il n'a plus reparu chez M. d'Holbach. »Ne voilà-t-il pas que, pour humilier Mesmer, au même moment, le docteur Thouvenel, un savant chimiste, avait composé une préparation de poudre d'aimant fortement électrisée, dont il suffisait de se frotter les mains ou de porter des sachets dans sa poche pour produire à peu près les mêmes effets que produisait Mesmer! Il parvint à en faire éprouver chez d'Holbach à plusieurs personnes, sur qui le doigt de Mesmer n'avait fait aucune impression.

Néanmoins, Mesmer arriva et séjourna à Paris dans un temps favorable. Voltaire mourait. Il avait pendant cinquante ans surveillé la raison en tuteur assez sévère, qui ne lui passait pas la plus petite. fantaisie, le plus petit excès; lui mort, elle s'échappait, Puis, on était dans un moment de confiance

superbe en la puissance de l'esprit humain on avait découvert l'inoculation, Franklin avait trouvé le paratonnerre, les frères Montgolfier inventaient les aérostats. Si on avait pu cela, que ne pouvaiton pas? Condorcet, peu d'années après, devait bien promettre qu'on ne mourrait plus? Quand des philosophes se permettaient ces présages, la foule avait le droit d'espérer et de croire un peu plus qu'il n'est permis. Aussi le merveilleux paraît alors tout naturel. Les journaux annoncent qu'un homme a trouvé le moyen de marcher sur l'eau sans enfoncer; on n'attend qu'une souscription assez considérable, pour l'inviter à faire une expérience sur la Seine. Immédiatement la souscription se remplit, toute la cour y contribue. Une seule personne se permet de douter: c'est le roi. Bien entendu que l'homme en question ne se présenta pas, et n'existait que dans les journaux. On rit, on tourna honnêtement la souscription en œuvre de charité, et on ne se corrigea point. C'est en effet la logique de tous les temps: on voyage en ballon dans l'air, donc on peut marcher sur l'eau; on communique en un instant à de grandes distances par des fils électriques, donc on peut s'entendre sur l'heure d'un bout à l'autre du monde au moyen de boussoles magnétiques ou d'escargots sympathiques. La démarcation entre le possible et l'impossible est tou

jours flottante, et particulièrement à de certaines époques de succès.

Déjà, sous Mme de Pompadour, un personnage célèbre, le comte de Saint-Germain, représentait le mystère. Il prétendait vivre depuis des siècles, il parlait de Charles-Quint, de François Ier, de JésusChrist, comme de ses contemporains, ayant, dans cet intervalle, recueilli d'admirables secrets; et, après lui, Cagliostro continuait sa tradition. Grimm nous a laissé ce mot sur lui : « A la sollicitation du cardinal de Rohan, Cagliostro vint de Strasbourg à Paris voir le prince de Soubise dangereusement malade; il n'arriva que lors de sa convalescence. Quelques personnes de la société de M. le cardinal, qui ont été à portée de le consulter, se sont fort bien trouvées de ses ordonnances, et n'ont jamais pu parvenir à lui faire accepter la moindre marque de leur reconnaissance. On a soupçonné longtemps le comte de Cagliostro d'être un valet de chambre de ce fameux M. de Saint-Germain, qui fit tant parler de lui sous le règne de Mme de Pompadour; on croit aujourd'hui qu'il est le fils d'un directeur des mines de Lima; ce qu'il y a de certain, c'est qu'il a l'accent espagnol (quatre ans plus tard, on lui trouvait l'accent napolitain), et qu'il paraît fort riche. Un jour qu'on le pressait chez Mme la comtesse de Brienne de s'expliquer sur l'origine d'une existence

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