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n'est qu'un songe éveillé, dans cette aliénation où l'homme, devenu étranger à lui-même, attribue la réalité et la vie aux fantômes de son esprit. Enfin, hors de ces états extraordinaires de songe et de folie, sous l'influence de l'imagination fortement excitée ou d'une affection nerveuse, nos yeux, nos oreilles, tous nos sens sont en proie à l'illusion. C'est l'hallucination, mal connue autrefois, aujourd'hui bien connue. On croit avoir tout dit, quand on a dit : « J'ai vu, j'ai entendu, j'ai senti; » mais l'halluciné dit précisément cela, et il est jugé tel par les hommes de sang-froid qui ne peuvent ni voir, ni entendre, ni sentir comme lui.

On raconte qu'une des merveilles ordinaires des séances d'apparitions est de faire sentir à une femme la pression de la main d'un mari qu'elle a aimé ou de lui faire apparaître un enfant qu'elle a perdu. Je ne demande pas comment on réussit, je demande comment on ne réussirait pas. Comment une pauvre femme tout émue de l'idée de retrouver un instant ce qu'elle a perdu pour toujours, ne reconnaîtrait-elle pas la main de son mari dans cette main qui serre tendrement la sienne? Comment cette mère qui est possédée par le souvenir de son enfant, qui travaille à se le représenter, qui l'a vu dans ses rêves, qui peut-être l'a vu dans sa veille, qui peut-être a demandé à Dieu de lui ôter un mo

ment la raison pour lui donner une vision, com+ ment, dis-je, cette mère, quand elle entre seule dans une chambre obscure et aperçoit dans un cercle lumineux une vague figure d'enfant, ne reconnaîtrait-elle pas le sien? C'est un horrible jeu.

En résumé, toute cette légende merveilleuse se compose de phénomènes réels, qu'on a eu tort de ne pas prendre pour réels, et d'illusions, qu'on a eu tort de ne pas prendre pour des illusions. Ce qui explique les uns et les autres, ce sont l'imagination et les nerfs. L'imagination a été souvent étudiée, on ne sait pourtant pas encore tout ce qu'elle peut; quant au trouble nerveux, moins connu jusqu'ici, il vient de deux causes différentes, l'une physique, l'autre morale. La cause physique, c'est ou une névrose ou une excitation momentanée des nerfs, et c'est le cas de la fixité du regard attaché sur un objet, de la station prolongée autour d'une table, les mains étendues, des danses effrénées des nègres dans le Vaudou, des breuvages narcotiques. Pour la cause morale, comptez, en plusieurs cas, le regard fixe attaché sur vous par l'opérateur et l'empire de son commandement, et la contagion, qui est immense; mais mettez en première ligne l'attente de quelque chose d'extraordinaire, et dites si cette attente n'est pas la meilleure préparation à tous les faits extraordinaires; si, une fois le phénomène

dessiné fortement dans notre idée, il y a loin de là à ce qu'il se produise en réalité. Ne mettez pas seulement l'attente de quelque chose d'extraordinaire, mettez aussi le désir, car le désir y est. On cherche, on veut des émotions; celui-ci les demande aux romans, aux spectacles, aux voyages, au jeu, à la guerre, à la chasse; celui-là aux aventures d'amour; un autre au vin, à l'opium, au haschich, à ce qui fait vivre quelques minutes d'une vie plus intense; enfin, tous nous sommes curieux de passer du monde ordinaire dans le monde surnaturel et de nous éprouver dans ce passage.

CONCLUSION.

Quelque intérêt que m'inspirent les recherches sur le merveilleux, les livres de M. Maury, celui-ci sur le Sommeil et les rêves, et celui dont je parlais plus haut, le livre sur la Magie et l'Astrologie dans l'antiquité et au moyen áge, ont pour moi un autre intérêt, plus fort peut-être que le premier : ils montrent à l'œuvre l'esprit nouveau, qui sera décidément l'esprit du dix-neuvième siècle, et qui est destiné à renouveler toute la science.

Le dix-huitième siècle a connu l'homme, l'homme abstrait, l'homme universel, celui de la philosophie; quant à l'être varié, qui est façonné sous une multitude de formes par la race, le climat, les accidents de la vie, quant à l'homme de l'histoire, il ne l'a pas connu. Dans l'homme abstrait, il n'a pas saisi tout également; ce qu'il a le mieux vu,

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