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machinations fabuleuses, des empoisonnements, des décharges électriques, des insufflations de gaz délétères voyageant en tous sens, des animaux vivants, des armées entières qui s'entre-choquent. Sans que les viscères soient affectés, ces phénomènes internes peuvent avoir lieu, comme lorsqu'un halluciné qui a craint un empoisonnement finit par en sentir les douleurs, ou qu'il entend dans les profondeurs du ventre des voix qui expriment ses pensées. Les hallucinations ont la plupart du temps pour cause quelque préoccupation particulière et personnelle; on conçoit combien elles seront favorisées par la préoccupation générale portée dans le même sens :

« Le cas où l'halluciné s'abusera le plus souvent et le plus facilement sur la nature de ses fausses perceptions, sera celui où ses idées, au lieu d'être purement personnelles, seront les idées d'une époque, lorsqu'elles se rattacheront à des croyances qui impliquent l'action des puissances surnaturelles sur les sens.... Tout à l'heure les bons ou les mauvais anges n'étaient que désirés ou craints; l'esprit s'illumine et ils apparaissent; ils parlent pour consoler ou menacer. Et comme les hallucinations ne sont pas toujours externes, qu'elles peuvent être rapportées aux centres nerveux intérieurs, les sensations internes, plus vagues, plus variées, seront attri

buées à cette assistance ou à cette agression surnaturelle. Des paroles même retentiront non plus à l'oreille, mais aux principales régions des foyers nerveux de la vie organique, et par exemple à l'épigastre. Enfin, par une sorte de couronnement à tous ces travestissements de la pensée, il se déclarera un état général où le corps, non moins compromis que l'âme, mêlera les émotions les plus matérielles aux aspirations les plus éthérées; ce qui sera rapporté par l'halluciné à une intussusception de la puissance céleste. »

M. Brierre de Boismont, à son tour, a publié un livre spécial sur les hallucinations', qui va nous fournir des observations utiles.

L'hallucination est une idée devenue sensible. Il y a des hallucinations compatibles, d'autres incompatibles avec la raison. Parmi les premières, quelques-unes peuvent être reproduites à volonté. Ainsi on n'a qu'à fixer les yeux sur le soleil ou sur une fenêtre éclairée, puis à les reporter sur un endroit sombre, pour voir le spectre solaire ou l'image de la fenêtre. Un peintre célèbre, Josué Reynolds, qui fit jusqu'à trois cents portraits en un an, après avoir

1. Des Hallucinations, ou histoire raisonnée des apparitions, des visions, des songes, de l'extase, du magnétisme et du somnambulisme, par A. Brierre de Boismont, 2o édition. 1 vol. in-8. Paris, Baillière.

considéré le modèle, l'abandonnait : « Je prenais, dit-il, l'homme dans mon esprit, je le mettais sur une chaise, où je l'apercevais aussi distinctement que s'il y eût été en réalité. » Talma a raconté que, lorsqu'il entrait en scène, il avait le pouvoir de substituer aux spectateurs vivants des squelettes, et que l'émotion de ce spectacle donnait à son jeu une force singulière. Par la rêverie, nous sommes transportés dans un monde imaginaire, qui se représente à nous avec une telle vivacité que, rappelés de là par un avertissement extérieur, nous ressentons une secousse et tombons, comme par une chute, dans le monde réel. Quant aux hallucinations que nous ne provoquons pas, mais que nous jugeons telles, les exemples sont innombrables. Combien de fois il nous arrive d'entendre, dans le silence, des bruits de cloche ou d'enclume. Un aïeul de Charles Bonnet passa une partie de sa vie dans son fauteuil à contempler des scènes fantastiques dont il s'amusait. Ben Johnson observa toute une nuit, autour de son gros orteil, des combats de Turcs et de Tartares, de Romains et de Carthaginois qui le divertirent. M. Andral, frappé par la vue d'un cadavre la première fois qu'il entra dans un amphithéâtre, rentré dans sa chambre, le vit pendant quelques instants. Tout le monde connaît l'état étrange dans lequel vécut M. de Savigny, obsédé

par des visions de toutes sortes, qu'il savait être des visions, et qu'il notait pour en faire l'histoire. D'autres fois, l'hallucination n'est pas reconnue, mais elle ne trouble pas la raison, et n'est, pour ainsi dire, que la raison excitée. On croit que ce fut le cas de Socrate, de Jeanne d'Arc, de Pascal, de Luther et de Napoléon, qui, en 1806, appela le général Rapp pour lui faire voir son étoile : « Elle ne m'a jamais abandonné; je la vois dans toutes les grandes occasions; elle m'ordonne d'aller en avant, et c'est pour moi un signe constant de bonheur. » Viennent les hallucinations qui compromettent la raison. Tantôt elles sont simples, n'affectent qu'un sens: voix invisibles, parlant du dehors ou au dedans du malade, dans la tête, le ventre, l'estomac, etc.; visions de toutes couleurs; sensations du vol, de la nage, etc.; odeurs et saveurs qui nous poursuivent; les hallucinations de l'ouïe étant les plus nombreuses, puis celles de la vue, du toucher, de l'odorat et du goût. Tantôt elles sont générales, plusieurs sens ou tous les sens étant en même temps troublés. Les hallucinations reconnues pour fausses peuvent conduire à la maladie et à la mort, par la fatigue et la crainte qu'elles causent; les hallucinations non reconnues, quand elles sont isolées, se trouvent d'ordinaire avec la folie; les hallucinations générales bien plus souvent encore; et les deux en

traînent des actes bizarres ou funestes, inexplicables sans elles.

Les hallucinations se montrent dans différentes maladies de l'esprit monomanie, manie, etc. A Bicêtre, à un moment, sur le nombre des aliénés, plus de la moitié étaient hallucinés. Combien d'actions, et justement les plus bizarres, s'expliquent ainsi, qui autrement seraient incompréhensibles! Vient d'abord la monomanie, la folie des idées fixes. Un monomane passe sa journée dans une immobilité complète; il est maintenu dans cet état par la terreur que lui inspire une voix qui le menace de mort s'il bouge. La stupidité vient souvent ainsi d'une sorte de rêve obstiné, où l'hallucination jette le patient. Un autre malade refuse de manger, par crainte du poison. Presque toujours il y a des hallucinations dans la démonomanie; ce sont toutes sortes de scènes que joue le malin esprit. Une folle par amour voit son ami partout avec elle, lui souriant, couronné de fleurs, dans un nuage; elle voit partout des roses qu'elle lui offre à respirer. Dans la nostalgie, les malades voient leur pays, leurs parents, leurs amis; dans la calenture, les marins voient à la place de la mer une plaine de gazon et de fleurs, où ils veulent se précipiter; quelquefois, au contraire, ils cherchent ainsi à échapper à des apparitions fantastiques parties du vaisseau. Les

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