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sant les entrailles de la terre, et qui s'échappaient de quelques soupiraux de l'enfer, pour étouffer les mineurs de vapeurs empestées, ou éteindre leurs lampes, ou causer des explosions épouvantables.

II

Difficulté de constater les faits merveilleux.

Est-il donc si difficile de savoir la vérité sur un fail? Distinguons: on connaît assez aisément ceux qui sont sans intérêt; mais pour ceux auxquels l'imagination et la passion se mêlent, et les faits merveilleux sont de ceux-là, il n'est rien de plus malaisé, en France du moins. La folie, en d'autres pays est solitaire, chez nous elle est contagieuse : tout le monde à la fois est fou de la même folie; elle ne dure pas longtemps, c'est une fièvre de vingt-quatre heures, mais pendant ces vingt-quatre heures elle fait le vrai et le faux comme il lui plaît. Vous qui n'avez pas la fièvre, vous essayez une enquête; le premier jour, personne ne vous écoute, et le lendemain personne ne sait de quoi vous parlez.

Mais le témoignage de personnes honorables? Cela ne suffit pas encore. Je ne connais pas un fait incroyable qui ne s'appuie sur le témoignage de quelque personne honorable. J'ai beaucoup de goût pour cette sorte de témoins et ne les écoute jamais sans respect et sans sympathie; si j'étais à leur place, il est probable que je croirais; mais enfin c'est une grosse affaire d'admettre un fait qui vous force de changer toutes vos idées, et personne ne peut trouver mauvais que je reste sur la réserve jusqu'à ce que je me trouve dans la même circonstance où le témoin s'est trouvé. S'il est naturel qu'il croie avoir vu ce qu'il a vu, il est naturel aussi que j'attende, pour croire, d'être dans le même cas que lui. Je prie que l'on veuille bien réfléchir combien de choses prodigieuses on s'obligerait à admettre sur cette foi. Je considère comme un témoin très-honorable tel écrivain qui affirme que sa pelle et ses pincettes ont quitté d'elles-mêmes la cheminée, sont sorties par la porte et rentrées par la fenêtre; et pourtant ce témoin serait injuste s'il prétendait m'astreindre à sa parole. On a beau dire, ce ne sera jamais la même chose de voir un fait ou de voir quelqu'un qui l'a vu.

Mais, dit-on, pour les faits scientifiques, l'Acadé'mie est là; il est impossible qu'elle n'ait pas une autorité considérable. Nous répondrons en rappe

lant ce que chacun a pu observer bien des fois, les singulières dispositions du public à l'égard de ce corps savant. Dès qu'une nouveauté paraît, le public a les yeux sur l'Académie : on la presse de décider, on estime infiniment son jugement avant qu'il soit rendu; est-il rendu et défavorable, ce qui arrive quelquefois, c'est un soulèvement universel: « Aussi qu'allait-on faire de lui demander son avis? on sait bien que c'est un corps routinier, qu'il dort sur sa science, que ses idées sont comptées, et que cela le dérangerait d'en admettre une de plus; > cependant la nouveauté vieillit un peu, elle perd de son charme, on l'oublie et on oublie avec elle la belle passion qu'elle a inspirée; et quand elle se représente, on lui dit: « Mais pourquoi n'êtes-vous approuvée par l'Académie? Vous devriez vous faire approuver. Ainsi va le monde.

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Il est d'autant plus nécessaire d'être sur ses gardes avec les partisans du merveilleux, qu'ils donnent à un témoignage unique une plus grande valeur. Un seul fait qui affirme, prouve, disent-ils, plus que cent faits qui nient. Je le reconnais; car enfin ce fait solitaire, il faut l'expliquer, il ne s'est pas produit tout seul, il peut être l'œuvre d'une puissance qui aura été gênée ailleurs, et que la science doit constater; mais encore faut-il être sûr que ce fait est réellement merveilleux, qu'il n'y a pas là ou une

supercherie de l'opérateur, ou une illusion de l'ob servateur, ou une rencontre du hasard, ou un effet nouveau d'une cause connue; or, pour être sûr de cela, il est absolument nécessaire que le fait se répète, qu'on varie l'expérience avec toutes sortes de scrupules et d'adresse, de manière à détruire la quadruple chance d'erreur que nous avons signalée. Par exemple, un joueur prétend lire dans mon jeu; je ne nie pas, mais avant de croire, j'ai à écarter plusieurs motifs de doute. Il peut m'avoir servi des cartes biseautées ou les avoir mêlées en prestidigitateur, ou être convenu de certains signes avec quelqu'un qui regarde mon jeu. Il peut me faire dire, sans que je m'en doute, les cartes que j'ai, en tâtonnant, en avançant ou reculant sur les indications naïves de mes paroles ou de mes gestes; voilà l'illusion de l'observateur. Il peut tomber juste, par aventure; voilà la rencontre du hasard. Il peut, en consultant le calcul des probabilités et quelques cartes jouées, deviner ce que devinent les bons joueurs; voilà l'effet nouveau d'une cause connue. Méfiant comme on doit l'être quand il s'agit d'attribuer à un homme une puissance surhumaine, je demanderai donc qu'il me soit permis de faire et refaire l'expérience en lui ôtant toute équivoque. Je jouerai moi-même, avec des cartes neuves, tenant et cachant mon jeu, surveillant, s'il vient à toucher mes cartes, les mou

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