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DISCOURS D'OUVERTURE

PAR M. LAVOCAT, Président.

MESSIEURS,

De même que la Littérature et l'Histoire, les Sciences ont de ténébreuses profondeurs et des sommets lumineux. Elles ont les principes qui les dirigent dans leurs longues et difficiles recherches. Elles ont surtout la Méthode, sans laquelle, a-t-on dit, il n'y a point de science; mais, à cet axiôme, il faut en ajouter uu autre c'est que telle est la méthode, telle est la Science elle-même.

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Quel est donc ce régulateur indispensable de toute Science? C'est, croyons-nous, l'ensemble des procédés intellectuels, à l'aide desquels l'Homme peut découvrir et démontrer la Vérité. Les Sciences Mathématiques, la Physique et la Chimie ont produit, dans ce siècle, d'admirables découvertes; et leurs merveilleuses applications resteront comme autant de conquêtes dans la voie brillante du progrès, comme autant de bienfaits pour l'humanité.

Toutes les branches scientifiques ne pourraient-elles pas suivre ce mouvement? Pourquoi les mêmes principes, diversement modifiés dans l'application, ne régneraient-ils pas dans le cercle entier des connaissances humaines, de manière à réaliser, au point de vue logique, cette pensée d'un philosophe moderne: « Il n'existe qu'un seul modèle du vrai. »

Les obstacles que rencontre cette réalisation sont presque toujours des dissentiments sur les questions fondamentales, sur la méthode elle-même : ce sont des dissidences sur la manière d'interprêter les faits, afin d'établir les lois qui doivent les généraliser.

Cette remarque, Messieurs, est surtout applicable aux Sciences naturelles, qui, ayant l'observation pour base principale, sont, comme nos sens, sujettes à de nombreuses erreurs, dans l'analyse et, par suite, dans les conclusions. C'est en grande partie à ces causes qu'on peut attribuer la marche si lente qu'à suivie la Biologie.

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Pendant longtemps, les diverses branches des connaissances humaines ont formé un ensemble, dont s'occupait tout érudit de l'antiquité. Un Sage, un Philosophe se livrait tour à tour aux abstractions de la Métaphysique et à l'étude des phénomènes de la Nature. Une telle concentration ne pouvait pas fournir de grands résultats. Pour surmonter tant de difficultés, pour marquer sa place dans l'histoire, il fallait des hommes de génie, tels qu'Hippocrate et Aristote.

Ce n'est qu'au seizième siècle que les branches scientifiques tendent à se spécialiser et, dès lors, chaque science, devenant plus précise, commence cette prodigieuse évolution, qui, pour quelques-unes, n'est pas encore terminée.

Dans son acception la plus élevée, une science est la connaissance raisonnée de la réalité mème des choses. — La vie des sciences a ses débuts et ses périodes. Les premiers essais sont et doivent être timides: c'est le temps de la jeunesse et des illusions; plus tard, viennent l'assurance, la précision et, avec elles, l'exacte appréciation des faits, de leurs rapports généraux et des lois qui les dominent.

L'observation est donc ce qui convient aux débuts d'une science; mais, après la patiente analyse, doit venir la synthèse, qui conduit à la Vérité.

Ces principes ont été combattus, mais ils ne pouvaient pas être renversés, parce qu'ils sont la condition essentielle de tout progrès scientifique.

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Déjà, Linné avait dit que le caractère éminent de la supériorité de l'Homme, c'est d'observer, de raisonner et de conclure. En même temps, Buffon, dans son 1er discours, avait déclaré qu'il fallait généraliser les faits, les lier ensemble par la force des analogies, -- afin de parvenir à ce haut degré de connaissance, où nous pouvons juger que les effets particuliers dépendent de causes générales, et comparer la Nature avec elle-même, dans ses grandes opérations.

Messieurs, c'est par ces vues fécondes et vraiment philosophiqucs, que la Zoologie s'est fondée, en France, au dix-huitième siècle. Bientôt, Daubenton créait l'Anatomie comparée, et Vicq-d'Azyr publiait cette belle théorie des Homologues, dont l'école allemande a poussé si loin les déductions.

Les voies ouvertes par ces grands naturalistes furent suivies par Lamarck et Geoffoy Saint-Hilaire, — qui doivent être rangés parmi les gloires scientifiques de la France.

Je ne pis entreprendre d'analyser l'œuvre entière de ces deux hommes. Je dois me borner à indiquer les grandes conceptions, par lesquelles ils ont donné un nouvel essor et de si larges horizons aux sciences naturelles.

A la fin du siècle dernier, tous deux furent distingués par Lakanal et chargés d'enseigner la Zoologie, au Muséum de Paris, qui venait d'être fondé. Lamarck avait alors quarante-neuf ans, et Geoffroy Saint-Hilaire n'en avait que vingt et un. Cette différence d'âge est peut-être la cause qui nous fait regretter que les deux penseurs n'aient pas réuni leurs principes et leurs travaux.

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Lamarck, après avoir quitté la vie militaire, s'était livré à l'étude des végétaux et avait publié la Flore française, œuvre importante et remarquable, reprise plus tard par de Candolle. De 1802 à 1809, il fit paraître des considérations sur les corps vivants et, comme développement, la Philosophie zoologique, où se trouve exposée la doctrine qui a tant contribué à illustrer son nom.

Lamarck examine l'origine des êtres et leur enchaînement.

Essayons de condenser en quelques lignes les idées principales qu'il a formulées sur ce vaste sujet :

La formation du monde est unitaire et due à des causes naturelles. L'étude des végétaux et des animaux, la comparaison des formes anciennes et nouvelles, les analogies qui les rapprochent et les unissent, tout démontre que ces formes

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Les Espèces n'ont qu'une

existence relative et temporaire, et les Variétés ne sont que des Espèces qui commencent.

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Le changement des conditions. d'existence, d'une part, l'usage ou le non usage des organes, d'autre part, agissent continuellement sur les organismes, de manière à les transformer: par l'adaptation, s'opèrent de lentes modifications, dont les principaux résultats se transmettent par hérédité. - L'organisation entière et comparée des animaux, - qui est, pour ainsi dire, leur arbre généalogique, nous dévoile leurs rapports naturels et leur situation. - L'évolution de la vie sur le globe se poursuit d'une façon non interrompue, comme l'évolution de la Terre elle-même.

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Dans le même ordre d'idées, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire publiait, dès 1795, de nombreux mémoires qu'il couronna, en 1848, par la Philosophie anatomique. On sait que, par ces mémorables travaux, Geoffroy, comme Lamarck, fonda ce qu'on appelle l'Ecole des analogies. A l'appui de l'Unité de composition organique, il constitua la Théorie des analogues, le Principe des connexions, etc. -- Ses larges pensées peuvent

être ainsi résumées :

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Tous les êtres vivants sont construits d'après un plan unique, essentiellement le même, dans son principe, mais varié de mille manières, dans toutes ses parties accessoires. Dans la même classe d'animaux, les formes diverses dérivent toutes les unes des autres. Il suffit à la nature de changer quelques-unes des proportions des organes, pour les ren ire propres à de nouvelles fonctions.

Ces idées d'analogie devaient nécessairement conduire Geoffroy à se prononcer sur l'origine des Espèces, leur enchainement et leur variabilité. En effet, d'après ses recherches, les

animaux ont une origine commune : ils procèdent de types très simples, lentement perfectionnés. Les Espèces sont variables sous l'influence des circonstances, telles que la chaleur, la quantité et la nature des aliments, et d'autres causes par

encore.

Les preuves de cette variabilité sont nombreuses: on en trouve de très significatives, chez les animaux domestiques, qui, sous diverses influences, ont produit des races et des variétés; il en est de même pour les végétaux. Ce que l'éleveur et l'horticulteur réalisent en peu de temps et à leur profit, la Nature l'effectue en un temps beaucoup plus long et au profit des organismes.

Telle est, Messieurs, d'après Lamarck et Geoffroy SaintHilaire, la doctrine de l'Evolution. Mais cette conception n'était pas nouvelle ce n'était qu'un retour à de très anciennes idées. On peut dire que de tout temps l'esprit de l'Homme s'est préoccupé du mystère de la création, et qu'il a presque toujours cherché la solution de ce problème dans l'origine commune et la succession continue des êtres vivants.

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Aussi loin qu'on remonte dans le passé, on rencontre les traces de cette graude pensée. Ainsi, dès le sixième siècle avant notre Ère, les Philosophes grecs admettaient que les plus anciennes formes vivantes de notre globe ont été produites au sein des eaux par l'action du Soleil. De ces formes primitives sont dérivés les végétaux et les animaux terrestres, qui, en changeant de séjour se sont accommodés à de nouvelles conditions d'existence. Un flux continuel règne dans l'Univers; l'immobilité n'est qu'apparente; le mouvement et la lutte produisent toutes les modifications. -- Les formes actuelles ont persisté, parce qu'elles étaient mieux armées pour vivre.

Voici donc la doctrine de l'Evolution clairement formulée par des penseurs anciens, dont les notions étaient peu étendues en Zoologie et tout à fait nulles en Paléontologie.

Plus tard, cette explication si naturelle de l'unité du monde fut combattue et renversée par la Philosophie dualiste. Alors, les formes infiniment variées des Espèces végétales et animales

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