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RAPPORT

SUR

LE CONCOURS DE 1884

(CLASSE DES SCIENCES)

PAR M. LOUIS LARTET

MESSIEURS,

La Commission que vous avez chargée d'examiner les travaux scientifiques présentés au concours de 1884 a eu à se prononcer sur les mérites de trois ceuvres bien distinctes, et par leur objet et aussi par la manière dont chaque auteur a poursuivi le but qu'il s'était proposé.

La première est une étude paléontologique imprimée, qui doit surtout son importance aux documents accessoires dont elle est accompagnée, et, plus particulièrement, à la belle collection. réunie par l'auteur au cours de ses recherches.

Dans la seconde, manuscrit émané de l'esprit philanthropique d'un savant médecin de Toulouse, ce sont surtout les aperçus médicaux et humanitaires qui appellent vos encouragements.

Enfin, dans la troisième, l'Académie a pu apprécier le zèle persévérant d'un ancien instituteur dont tous les efforts et les loisirs s'emploient à faciliter à ses collègues l'enseignement d'une science très utile, mais bien abstraite pour de jeunes intelligences l'arithmétique.

Ces trois œuvres, quelle que soit la diversité du but, sont

toutes inspirées par le sentiment noble et désintéressé du progrès scientifique que les Compagnies savantes telles que la vôtre ont pour mission de récompenser.

L'Académie les a donc jugées avec une bienveillance toute spéciale, et voici son appréciation sur chacune d'entre elles.

Vous avez déjà eu l'occasion de récompenser les premières recherches paléontologiques de M. Marty en lui décernant, dans la séance publique du 12 juin 1881, une médaille d'argent.

A cette époque, les collections formées par cet infatigable explorateur se rapportaient presque exclusivement à la caverne. de Lherm, célèbre entre toutes les grottes de l'Ariège par la longueur de son parcours souterrain, de près de 2 kilomètres, et surtout par la quantité vraiment prodigieuse des ossements de carnassiers quaternaires que les fouilles successives de MM. AIzieu en 1855, Rames, Garrigou, Henri Filhol et Pouech en 1862, enfin celles plus récentes de MM. Noulet et Édouard Filhol, y avaient déjà fait découvrir.

Cette grotte, qui porte le nom du village de Lherm, est située près du petit hameau de Montlaur, à 7 kilomètres de Foix, et dans la propriété de M. de Bertrand d'Artiguières, dont la libéralité, aussi louable que peu commune, a singulièrement facilité les recherches scientifiques dont elle a été l'objet. Le nom de Lherm, dérivé du roman Hermé, solitude, marquerait à lui seul quel fut l'aspect sauvage de cette contrée à l'époque où, selon Olhagaray, les forêts qui la couvraient furent défrichées ou brûlées. Vouée aux animaux féroces dès les temps préhistoriques, elle nourrissait encore des ours au seizième siècle, comme le prouve un récit de Lascazes, cité par M. l'abbé Pouech. La grotte fut de tout temps leur principal repaire, et leurs squelettes amoncelés en ont fait une mine véritable de richesses paléontologiques qui fut habilement mise à profit pour le premier développement de notre beau Muséum d'histoire naturelle. Des squelettes entiers d'Ursus spelœus de diverses races, certaines d'une taille double de celle de l'ours actuel des Pyrénées; des cranes du Grand Lion; des restes de divers autres Felis, de hyène, d'Aurochs, de Rhinoceros avec ceux de leurs com

pagnons de l'époque quaternaire, tirés de la grotte ou obtenus par échange, remplirent promptement les vitrines de cette belle galerie des cavernes, fondée en 1865 par M. Édouard Filhol, enrichie depuis par M. Noulet, et qui n'a pas de rivale dans les autres musées de province. Le directeur actuel du musée, dont la vie entière a été consacrée à l'étude de la région sous-pyrénéenne, de son histoire naturelle et de ses premiers habitants, a d'ailleurs, par un don magnifique, ajouté, comme digne pendant à cette galerie des cavernes, la salle consacrée aux animaux et aux plantes tertiaires du bassin pyrénéen, où les paléontologistes de l'Europe entière sont venus faire maint pèlerinage.

L'origine du beau musée dont les Toulousains ont aujourd'hui le droit d'être fiers, se rattachant de si près à la caverne de Lherm, l'Académie devait accueillir avec un intérêt tout spécial les nouvelles recherches dont elle serait l'objet. Venu après tant de naturalistes, M. Marty a eu le mérite d'explorer plus complètement qu'aucun autre cet immense ossuaire. Il a enrichi let matériel ordinaire des fouilleurs de nouveaux engins qui lui ont permis de pénétrer, non sans dangers parfois, dans les réduits réputés inaccessibles. Séjournant des semaines entières dans ces profondeurs souterraines, il en a fouillé jusqu'aux moindres recoins, et sa collection si complète et instructive est mise à la disposition des hommes de science avec une libéralité qu'on ne saurait trop reconnaître. C'est ainsi que M. Henri Filhol a pu, dans une communication faite à l'Académie des sciences de Paris, décrire deux curieuses espèces d'ours découvertes à Lherm par M. Marty: l'une, qui serait, d'après lui, nouvelle, l'Ursus Gaudryi; l'autre se rattachant à l'ours actuel, l'Ursus Arctos, dont elle témoignerait ainsi l'apparition, dès l'époque quaternaire, parmi les populations du Grand Ours des Cavernes, auquel il devait survivre. Les recherches continuées à Lherm depuis 1881, avec une passion si soutenue par M. Marty, ont beaucoup enrichi ses collections et lui mériteraient déjà des félicitations; mais ce n'est pas le seul titre qu'il présente aux encouragements de l'Académie.

Si curieuses que soient par elles-mêmes de telles trouvailles, M. Marty a compris bien vite que le rôle de l'explorateur de ca

vernes ne consiste pas seulement « à remplir, comme il le dit, ses caisses d'ossements. Il a voulu se rendre compte des causes qui avaient amené leur accumulation prodigieuse dans ce gisement.

Pour cela, le plan exact de la caverne, son nivellement et des coupes géologiques à travers les dépôts ossifères devaient tout d'abord être exécutés. Déjà, en 1862, M. l'abbé Pouech, l'excellent géologue ariégeois, avec la rigueur et le talent descriptif qu'il apporte dans toutes ses œuvres, avait consacré à la grotte de Lherm un important Mémoire, accompagné d'un plan et de coupes nombreuses. Jugeant que depuis cette époque les nombreuses fouilles pratiquées dans la caverne, ainsi que l'exploration de salles nouvelles, motivaient suffisamment l'exécution d'un nouveau plan ainsi qu'une nouvelle description, M. Marty a publié l'un et l'autre, et c'est ce double travail qu'il soumet actuellement à l'appréciation de l'Académie.

Le plan de la caverne, à une grande échelle, a été relevé avec une scrupuleuse exactitude. S'inspirant de ses études premières, alors qu'il accompagnait son père, ancien géomètre du cadastre, auquel il dédie pieusement cette étude, M. Marty a constamment marché dans ces souterrains la boussole et le décamètre à la main. I rectifie et complète ainsi les premières esquisses planimétriques qu'on avait essayé d'en donner.

Des coupes verticales annexées au plan donnent les pentes et les profils des diverses salles, ce qui met en évidence certains faits importants, tels que l'accumulation des ossements dans les parties basses de la grotte, comme s'ils y avaient été entraînés par les eaux. Une grande planche de sections géologiques montre la superposition, dans les diverses salles, des couches ossifères séparées par des bancs de stalagmites qui délimitent les principales phases de remplissage de la caverne. Ces bancs parfois épais de stalagmites avaient arrêté les premiers explorateurs; M. Marty les a percés, et ses fouilles, plus profondes, lui ont permis de relever la succession intéressante des formes animales qui correspondent aux diverses époques d'enfouissement. Sa brochure contient, à cet égard, des renseignements importants sur la différence de taille des grands ours, selon les niveaux correspondant à ces époques successives.

De cette brochure, en elle-même, nous ne dirons que quelques mots, car une analyse complète et la discussion des faits nombreux qu'elle présente nous entraîneraient à dépasser les limites habituelles d'un rapport.

L'auteur, après avoir mentionné d'une façon un peu trop sommaire, à notre avis, les recherches et publications de ses prédécesseurs, expose les résultats de ses fouilles personnelles. Il passe ensuite à la discussion des hypothèses proposées pour expliquer la formation de cet ossuaire. Tandis que M. l'abbé Pouech y voit simplement les conditions ordinaires d'un repaire de bêtes féroces longtemps habité et l'accumulation naturelle des squelettes de ceux de ces animaux qui y mouraient, M. Marty tire de la distribution des ossements, de leur abondance dans les salles les plus basses, la conclusion que ce gisement trahit un entrainement de ces débris par les eaux cou

rantes.

A la suite des grandes inondations de l'époque quaternaire, qui remplissaient d'eau les vallées et dont celles de nos jours n'offrent qu'une image bien réduite et affaiblie, des troupes d'ours se seraient, à diverses reprises, réfugiées dans cette caverne. Les eaux montant toujours les y auraient noyés et ensuite, en se retirant, entraînés vers les parties les plus profondes de ces immenses crevasses.

La brochure se termine par la description très détaillée des diverses salles de la caverne, que M. Marty fait successivement parcourir à ses lecteurs à l'aide du plan, des coupes et de dix vues pittoresques. Ce n'est assurément pas la partie la moins attachante de ce travail on y trouve comme un reflet de la passion qui soutenait l'auteur dans ces recherches pénibles et dangereuses, et lorsqu'on est parvenu, en le suivant à travers ces salles aux noms imagés ou mythologiques, à ce qu'il appelle le chemin du Paradis, on regrette, à plus d'un titre, d'en trouver le passage secret fermé par une cloison de stalactite qui oblige à revenir sur ses pas, mais que l'auteur se réserve de percer bientôt !

Disons, en terminant l'examen de cette brochure, que le changement apporté par M. Marty à la désignation habituelle

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