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ne furent plus considérées comme les différents degrés de déve loppements d'un type originaire commun, mais comme autan t d'incarnations particulières, comme autant d'Espèces constante s et immuables.

Bien que contraire à la réalité, cette théorie, brillante d'imagination spiritualiste, a régné très longtemps, surtout parce qu'elle flatte l'amour-propre de l'Homme, en lui permettant de croire qu'il est en dehors et au-dessus de la Nature.

Il en fut ainsi jusqu'au réveil de l'esprit scientifique. Alors, l'observation directe se rétablit elle s'applique à la forme extérieure, ainsi qu'à la structure intime des animaux et des végétaux. Elle étudie leurs fonctions, leur développement, afin d'en connaître les causes efficientes.

Les premières tentatives dans cette voie féconde apparaissent au milieu du 46° siècle. On les doit à Pierre Belon, naturaliste français, très distingué, mais trop oublié. A cette époque de Renaissance, il publie son grand ouvrage sur la Nature des Oiseaux, dans lequel il fait des rapprochements, appuyés de figures comparatives, afin, dit-il, de faire apparaître combien l'affinité est grande entre les os d'un Oiseau et ceux de l'Homme. »

L'entreprise fut peut-être considérée comme audacieuse. Toujours est-il que, peu de temps après, Pierre Belon, à l'âge de 46 ans, fut assassiné, dans le bois de Boulogne, près de Paris. On n'a jamais su par qui, ni pourquoi ce crime fut commis.

Mais la Vérité ne périt pas : elle peut être contestée, obscurcie; tôt ou tard, elle se relève et brille d'un nouvel éclat.

Au commencement du 18° siècle, une vive réaction se produit en sa faveur. Newton, puis Linné affirment qu'il y a, dans les animaux, une grande conformité de construction, et que, chez tous, les organes analogues ont une position semblable.... Il est facile de voir, dans ces déclarations, le germe renaissant des thèses qui seront bientôt soutenues par Buffon et Daubenton, puis par Lamarck et Geoffroy St-Hilaire.

Au début de notre siècle, la réforme scientifique s'accomplit,

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par les travaux des savants que nous venons de nommer, par ceux de Cuvier sur l'Anatomie comparée et la Paléontologie. En même temps, la doctrine des analogies et de l'évolution. naturelle s'établit et se développe, en Allemagne, dans l'esprit des naturalistes et des philosophes. Parmi ces penseurs d'élite, on voit briller Goethe, grand partisan de la nouvelle. Ecole française.

Pour lui, dans les animaux comme dans les végétaux, les formes, sans être identiques, sont analogues, et leur harmonie fait pressentir leur commune origine. — Ces constructions sont faites d'après des lois éternelles, et les formes les plus singulières conservent la trace d'un type primitif. — La transformation incessante et progressive, qui résulte des relations nécessaires avec le monde entier, n'est que l'adaptation des organismes aux conditions variées de l'existence.

Telles sont les vues élevées de Goethe sur la Morphologie. Il est à remarquer qu'elles sont partagées et, pour ainsi dire, résumées par Kant, le célèbre philosophe de Kœnisberg, qui, à la même époque écrivait, dans sa Critique du jugement : « La doctrine qui fait descendre d'une souche commune tous les êtres organisés est la seule qui soit en harmonie ave; le véritable principe du mécanisme de la Nature. »

C'est là, Messieurs, une des plus belles phrases de la thèse soutenue par Lamarck et Geoffroy St-Hilaire. Après quelques années de calme, elle parvient à son entier épanouissement par les travaux de Ch. Darwin, en Angleterre, et de Hockel, en Allemagne.

Pour le grand Naturaliste anglais, comme pour le savant Professeur d'Iéna, la route était largement ouverte par leurs prédécesseurs. Il était bien établi que les ressemblances entre les animaux procèdent d'une origine commune, — et que les dissemblances s'expliquent par des modifications lentes et successives, produites elles-mêmes par l'adaptation aux moyens d'existence.

Ces principes devaient être repris, afin de leur donner une complète démonstration: c'est ce qui fut fait à l'aide du rai

sonnement, de l'observation et de l'expérience. Telle a été, de nos jours, l'œuvre importante de Hoeckel et surtout de Darwin, mort il y a deux ans, après avoir consacré sa vie à ses longues et profondes études. Le résultat essentiel de ces recherches est que les causes physiologiques des transformations progressives sont la lutte pour l'existence et, par suite, la sélection naturelle.

Telle est l'explication de ce qu'on appelle le Transformisme. Elle n'est pas entièrement nouvelle : Comme on l'a vu précédemment, les devanciers de Darwin l'avaient pressentie et indiquée; mais il l'a appuyée de tant de faits consciencieusement observés et de si nombreuses expériences, que, par ses remarquables travaux, la thèse de l'Evolution est devenue positive et l'une des bases solides de la science biologique.

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Messieurs, ce n'est pas sans obstacles et sans combats que cette doctrine est parvenue à s'établir : elle aussi lutter pour l'existence. Les objections qu'elle a rencontrées et qu'elle rencontre encore, sont fortes en apparence, mais, en réalité, sans aucun fondement. De tout temps, que lui a-t-on opposé? Des hypothèses entièrement idéales, des théories sans démonstration possible, des légendes et des croyances surnaturelles.

Pour comprendre le monde vivant, et pour l'expliquer, il faut nécessairement l'examiner dans sa réalité; il faut édudier les effets, afin de pouvoir remonter aux causes.

Ce sont précisément les moyens auxquels a eu recours la doctrine de l'Evolution aux problèmes de la Nature, elle a donné une solution scientifique et non arbitraire.

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Après avoir observé les faits, dans tous leurs détails, en présence des analogies constatées, n'était-il pas rationnel de reconnaître que, malgré la diversité, il y a conformité orgaganique, chez tous les animaux.

Cette conclusion est infiniment supérieure à celle que poursuivent les naturalistes qui, repoussant l'Unité, ne voient que les dissemblances, et ne cherchent qu'à séparer ce que la Nature a réuni dans un admirable ensemble.

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D'ailleurs, la démonstration de l'Unité est rendue, chaque jour, plus manifeste par l'Anatomie comparée, — qui, sans les analogies, n'existerait pas, - et par les découvertes de la Paléontologie.

Les organismes étant analogues, il est naturel d'admettre que les diverses espèces d'animaux sont reliées entr'elles par la chaine des filiations, dont la continuité est de plus en plus démontrée par les types intermédiaires.

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Les conséquences nécessaire de ce fait incontestable ne sont-elles pas d'abord, l'origine commune des Espèces; puis, leur variabilité, c'est-à-dire, leur transformation lente et successive, par adaptation aux milieux et aux besoins de l'existence? Ici, encore, l'observation et l'expérience viennent à l'appui de la doctrine, puisque nous voyons, dans un faible espace de temps, les formes des animaux et des végétaux se modifier sous l'influence variable de l'air, de l'eau, de la lumière, de la chaleur et du mode d'alimentation.

Enfin, dans les conditions de la vie, il est une loi qui s'impose fatalement à toutes les espèces d'animaux Parmi les faibles, les uns succombent, les autres s'éloignent, prennent

un autre genre de vie, et leur organisme subit des changements qui deviennent héréditaires; les plus forts, restés victorieux, transmettent à leurs descendants des organes graduellement modifiés, afin de mieux soutenir la lutte pour l'existence.

Telle est, Messieurs, la Morphologie générale, c'est-à-dire l'Evolution des êtres organisés. Nous en avons retracé l'origine et les bases principales, parce que, croyons-nous, celte synthèse rationnelle et méthodique est, pour l'esprit de l'Homme, la plus haute conception de la puissance créatrice et des merveilles de la création.

NOTICE BIOGRAPHIQUE

SUR M. G. GASCHEAU

PAR M. DAGUIN (1)

Quand un savant éminent est enlevé par la mort à ses affections et à ses travaux, jeune cncore, et dans la plénitude de ses forces, on éprouve une double peine; car, à celle de sa perte en elle-même vient s'ajouter le regret de se voir privé de tout ce que la science pouvait en espérer encore, d'après ce qu'il avait déjà produit.

Mais quand celui qui n'est plus a quitté cette vie, plein de jours, entouré de l'affection et de la considération de tous, après avoir donné tout ce qu'on était en droit d'attendre de ses efforts et de sa capacité, à côté de la douleur de l'avoir perdu, on trouve une sorte de consolation dans le souvenir de ce qu'il a été et de ce qu'il a accompli pendant sa longue carrière.

Tel est le cas de notre regretté confrère, M. Gascheau, qui nous a été enlevé, le 20 avril 1883, à l'âge de quatre-vingtcinq ans, pendant cette année si fatale à notre Académie, qui a eu à déplorer la perte de tant de ses membres pris parmi les plus dignes. De ceux-là, Gascheau était le plus àgé; mais l'habitude de le voir, sans infirmités, jouissant de tous ses moyens intellectuels, et se livrant avec une ardeur juvénile à de difficiles recherches sur les parties les plus ardues des mathémati

(1) Lue à la séance publique du 8 juin 1884.

8e SÉRIE.

TOME VI, 2.

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