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JEAN DE QUAYRATS

PROFESSEUR DE CHIRURGIE ET DE PHARMACIE A TOULOUSE

PAR

M. L. SAINT-CHARLES (1)

En lisant le numéro du 5 janvier 4884 de la Revue scientifique, nous avons trouvé, sous le titre Variétés, un article très intéressant sur l'essai d'une faculté libre, au dix-septième siècle, par Théophraste Renaudot.

Ce médecin, né à Loudun en 4586, et qui avait fait ses études à Montpellier, alla s'établir à Paris en 1625. Fondateur d'un bureau d'adresse, où chirurgiens, médecins et apothicaires venaient se faire inscrire, il put arriver à organiser des conférences dans ce bureau qui fut une Académie au petit pied. Ces conférences devinrent publiques en 1533, et exclusivement réservées à la médecine.

Recruté en grande partie parmi les médecins des Facultés provinciales, ce corps professoral pouvait rendre de grands services; c'est ce qui arriva, en fournissant des consultations gratuites aux malades, institution que sanctionnèrent des lettres patentes de Louis XIII, du 2 septembre 1640.

La création de fourneaux laboratoires pour la préparation des remèdes, le projet d'établir un hôpital qui aurait pu devenir le siège de l'enseignement privé dont Renaudot avait le projet, lui firent une sérieuse réputation d'homme intelligent

(1) Lu dans la séance du 19 juin 1884.

et de philanthrope. C'était assez pour lui créer des ennemis, malgré la protection dont l'entourait le cardinal de Richelieu.

Attaqué par la Faculté de médecine de Paris, il eut un long procès à soutenir, dont le rédacteur de la Revue scientifique a noté les péripéties très curieuses, procès qui se termina à l'avantage de Renaudot en 1641, en lui reconnaissant, comme aux médecins étrangers, ses collègues, le droit d'exercer la médecine à Paris.

Mais ce succès fut de courte durée. L'Université de Paris triompha à la fin, à force d'intrigues, et Renaudot se vit déchu de tous les privilèges qui l'avaient rendu un instant heureux, sans pouvoir protester contre la Faculté sa rivale qui lui avait pris, ce à quoi il tenait le plus, ses consultations charitables. Il mourut pauvre; ainsi finissent généralement ceux dont la vie fut toute de labeurs et de sacrifices.

Nous avons étudié et résumé ce travail, afin de voir si dans. les documents que nous avons recueillis concernant notre Université de Toulouse il se trouve un cas anologue à celui du philanthrope de Loudun. Hàtons-nous de le dire, les rigueurs des règlements étaient telles à Toulouse, en face de cette Université si jalouse de son passé et de la conservation des statuts, qu'il a été difficile à toute personne d'obtenir les succès relatifs de Théophraste Renaudot.

Nous devons néanmoins faire connaitre le cas suivant :

Et d'abord il s'agit d'un professeur que le Roi a nommé par édit et que l'Université de Toulouse et la ville repoussent. Spécifions le cas; nous empruntons certains détails de cette affaire aux plaidoyers de l'avocat au Parlement de Toulouse, Jacques de Puymisson.

Nous sommes au commencement du dix-septième siècle; il y avait dans l'Université de Toulouse des docteurs régents de théologie, de droit civil et canon et des arts, avec deux chaires pour la médecine, ce qui était fort insuffisant pour cette branche de l'enseignement.

Le Roi voulut ériger une chaire spéciale pour la chirurgie et la pharmacie, et les provisions en furent expédiées, sous forme d'édit, en août 1604, sans assignation de gages, en faveur de

Jean de Queyrats, docteur de l'Université de Montpellier, avec dispense d'examen, à la charge toutefois que si cette chaire venait à vaquer, elle serait disputée comme les autres.

A l'enregistrement de cet édit s'opposent le syndic de l'Université, ceux de la ville de Toulouse et du pays de Languedoc. Les capitouls tiennent une assemblée générale à ce sujet, le 16 juin 1605. Dans les motifs qui précèdent le délibéré, on y déclare que il n'y va pas tant de l'intérêt de l'Université que

de celui de la ville et autorité des capitouls, et on décide qu'on s'opposera de toute manière à tout registre d'arrêt qui pourra être pris à ce sujet, par le moyen qu'on se pourvoira en interprétation. La ville, toutefois, voulait bien engager un procès, mais sans en supporter les frais.

Les docteurs régents de l'Université interviennent en particulier. On oppose que le nombre de régences est limité, et que les professeurs lisent dans leurs maisons en chirurgie et pharmacie, quand ils en sont requis. On dit aussi que les écoliers en médecine ne voudront pas suivre les mèmes cours où vont aller les compagnons de boutique. Enfin, on s'appuie sur la violation des ordonnances en vertu desquelles les chaires ne doi vent pas être données sans examen. Un procês sérieux est engagé. Queyrats allègue l'utilité de cet enseignement, affirme sa capacité, son titre de docteur, son expérience. Il se défend de porter préjudice à l'Université, puisque des gages ne lui sont pas accordés, non plus que des émoluments. Au contraire, il fournira un enseignement d'autant plus sérieux, qu'il devra ètre donné publiquement, ce qui exige une préparation dont les leçons particulières peuvent se passer.

L'avocat Puymisson plaida ce procès, et n'obtint qu'un succès relatif. Le triomphe absolu eût été de faire enregistrer l'édit d'août 1604, de faire reconnaître Queyrats comme professeur de l'Université, pouvant enseigner la chirurgie et la pharmacie dans les batiments universitaires.

L'arrêt, qui porte la date du 2 mai 1605, est conçu en ces ter

mes :

La Cour ayant appoincté au conseil, pour vuider l'affaire « sur le registre, et après avoir veu les susdites lettres patentes

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données à Fontainebleau, au mois d'août 1604, ensemble la requète par ledit Queyrats présentée, contenant déclaration qu'il n'entend au moyen des dites lettres en rien préjudicier aux droits et émoluments de toute ancienneté attribués et appartenant aux docteurs régents en ladite Faculté de médecine qui sont de présent, ni aucunement participer aux émoluments sauf après le décès de l'un d'iceux, de pouvoir participer aux émoluments pour sa quotité, a donné arrêt du second de mai 1605, par lequel il est dict que sans avoir esgard aux oppositions, lesdites seront registrées es registre d'icelles, pour par ledit Queyrats jouir de l'effet et contenu d'icelles, suivant leur forme de teneur, à la charge que luy, < ny ses successeurs de ladite régence n'auront aucuns gaiges et sans diminution de droits, profits et émolumeuts, de tout «tems attribués aux docteurs régens de ladite Faculté de médecine et autres de ladite Université desquels lesdits docteurs régens jouiront seuls. Et à la charge par ledit Queyrats de lire et faire ses leçons en autre lieu public qu'en l'escole ordinaire desdits docteurs régents de ladite Faculté de médecine et de faire les leçons ordinaires auxdits chirurgiens et pharmaciens sur peyne d'y estre en défaut pourvue sur la « dite Cour. Et en oultre que, advenant vacation ci-après de la « dite régence en chirurgie et pharmacie, icelle sera disputéc comme les autres régences de ladite Université, suivant les édits du roi et arrêts de la Cour, sans dépens et pour cause. Prononcé à Tholose, en Parlement, le second de may 1605. › Mais Queyrats devait être aussi inquiété que le fut plus tard Théophraste Renaudot; jamais il ne serait laissé en repos. Seulement plus heureux que le philanthrope de Paris, il gagna sa dernière cause comme on va le voir.

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Aussitôt que la Cour eut prononcé son arrêt du 2 mai 1605, la partie adverse se retira devers Sa Majesté pour faire révoquer l'édit d'août 1604 et elle présenta requête en évocation d'instance. La cause fut ensuite portée au conseil; il y est dit que l'arrêt du Parlement de Toulouse sortira effet; ce n'est point fini. Le syndic de l'Université relève appel de l'exécution de l'arrêt et se porte suppliant à ce que la Cour, interprétant

« les arrêts, déclare n'avoir entendu ordonner que Queyrats, docteur régent en chirurgie et pharmacie, soit du corps de « l'Université, qu'il y ait séance, suffrage et voix délibérative. ›

Chacun argumente à sa façon dans cette cause. Les professeurs ès arts veulent être préférés à Queyrats en tous lieux, et le précéder. L'Université lui refuse d'être de son corps, puisqu'il en a aucuns gages; que son rôle de professeur de compagnons de boutiques manque de dignité; ce qui n'est pas d'un ton différent des propos tenus par les professeurs ès arts, disant qu'il n'y a rien de plus vil que la pharmacie et la chirurgie, à cause des sujets traités et des moyens mécaniqnes pour les résoudre. Chacun fait appel aux passions, faute de trouver des raisons suffisantes.

Queyrats a beau prétendre que la chirurgie et la pharmacie tiennent de la médecine et lui prêtent le concours le plus utile, il ne se prive pas de parler sur le ton de ses adversaires contre les curiosités inutiles de la grammaire qui anéantissent l'esprit et contre les déguisements de la rhétorique qui l'offusquent..., il faut une sentence pour calmer leur passion; le Parlement la prononce :

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«La Cour, eue délibération, faisant droit sur l'appel, a mis et met l'appellation à néant, et a ordonné et ordonne que ce dont a été appelé sortira son plein et entier effet, et sans avoir esgard aux requêtes en interprétation d'arrest playdées par le syndic de l'Université et par les régens ès arts, a déclaré et déclare ledit maître Jean Queyrats, en qualité de docteur régent en pharmacie et chirurgie, estre du corps de ladite Université, a ordonné et ordonne qu'en ladite qualité, il jouira des honneurs, immunités, franchises et privilèges, tout ainsi qu'il est porté par les lettres patentes du Roi, arrest de registre d'icelles et autre arrest donné par le dit seigneur en son conseil. Et en oultre que ledit maître Jean Quayrats assistera à toutes les assemblées et délibérations de ladite Université, fors excepté qu'en celles où il se traitera de gages et émolumens, il ne sera présent ny opinant, et néanmoins qu'en tous lieux ledit Quayrats ira après les docteurs régens en Faculté de médecine et avant les régens

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