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du couronnement, l'apparition de l'empereur François-Joseph, revêtu des insignes de roi apostolique de Hongrie, et laissant flotter autour de lui le drapeau des honveds de Kossuth, ne contesteront pas la puissance de ces vieux symboles qui tiennent aux entrailles des peuples et qui relient le présent avec le passé.

Nous n'ignorons pas que la réintégration de notre emblème national, déjà consacrée dans les monuments historiques et dans les armoiries municipales, pourrait, à première vue, prêter à des malentendus et soulever quelques objections. Mais ces objections nous paraissent plus spécieuses que fondées, et une critique impartiale aura peu de peine à en faire justice.

Parmi les causes de la répugnance qu'inspire la fleur de lis à certains esprits, il faut compter ce préjugé courant que notre symbole traditionnel a un caractère théocratique. Nous ne contesterons pas qu'à détacher quelques périodes spéciales de sa longue histoire, on peut le trouver associé à des actes d'intolérance et de passion religieuse. Il est clair, par exemple, que de 1815 à 1830, quand l'alliance du trône et de l'autel passait aux yeux des ultras pour le dernier mot de la politique moderne, on a cherché très consciencieusement à fausser le sens de notre vieil emblème populaire, à le compromettre par des déviations qui blessaient la vérité et la conscience publique. Mais que valent quelques années d'erreur dans une chronologie de sept siècles?

Est-ce d'un emblème ultramontain que parle Dante, lorsque, dans sa fougueuse invective gibeline, il fait dire à Hugues Capet, rangé par lui parmi les patients du purgatoire :

« J'ai vu dans Anagni la fleur de lis entrer et le Christ captif!

Il y a, du reste, au point de vue de l'interprétation politique une distinction fondamentale à faire entre la fleur de lis et le drapeau blanc. Le drapeau blanc, qui, d'ailleurs, n'était pas ancien, et dont l'adoption rappelait surtout l'époque d'infatuation de l'autorité royale, le centralisme poussé à outrance, la suppression des vieilles franchises, l'abus du pouvoir ministé

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riel et bureaucratique, la rupture avec les traditions représentatives de la monarchie, le règne des courtisans et des favorites, a été bien et dûment relégué parmi les dépouilles du passé par la mémorable délibération de l'Assemblée nationale du 22 octobre 1790, lorsque furent adoptées les trois couleurs destinées, suivant l'expression de Lamartine, haranguant, du perron de l'Hôtel-de-Ville, les soldats du drapeau rouge, à faire le tour de l'Europe avec nos gloires et nos libertés ». C'est la cocarde blanche qui a été, soit pendant la Révolution, soit pendant l'Empire, le signe de ralliement classique des partisans de l'ancien régime. Qu'au fort de la tourmente de 1792, la fleur de lis ait été emportée indistinctement avec les symboles de la royauté par les passions furieuses du temps, le fait s'explique sans peine; on a supprimé alors bien d'autres choses, que les nécessités de gouvernement ont fait depuis rétablir, et ce n'est pas à des périodes de fièvre insurrectionnelle qu'il faut demander l'impartialité, la mesure, la saine appréciation des

nuances.

La fleur de lis n'en avait pas moins survécu au drapeau blanc. Elle a figuré, comme nous l'avons dit, sur les sceaux de l'Etat, sur la monnaie de Louis XVI, roi constitutionnel des Français, et il n'y a pas une des grandes réformes inspirées du mouvement de rénovation qui animait les états généraux, dont cet emblème héréditaire n'ait consacré la promulgation.

Le principe de la territorialité des armoiries, si je puis m'exprimer ainsi, n'est point, du reste, une nouveauté, une conception spécieuse destinée à soutenir un paradoxe, et les mystiques de la royauté n'auraient nullement le droit de s'en plaindre comme d'une atteinte à la propriété dynastique.

La langue du blason, dans sa précision technique, ne s'y est point méprise; depuis que les héraldistes en ont fixé la terminologie, elle a constamment adopté les expressions d'armes de France, d'écu de France, de chef de France, faisant de cet emblème historique le patrimoine de la nation tout entière, et non pas seulement des princes qui avaient l'honneur d'en soutenir le drapeau.

Ce droit que nous revendiquons pour la France de garder

son emblème national, toutes les anciennes provinces, toutes les villes de France l'ont exercé ou l'exercent encore (1).

La dernière comtesse de Toulouse du sang des Raymond reposait depuis plus de sept cents ans dans les caveaux de l'abbaye de Fontevrault, que les états de Languedoc maintenaient sur leur sceau la croix à douze perles portée en Palestine par le comte de Saint-Gilles, la faisaient sculpter sur les ouvrages publics de la province et graver au frontispice des procès-verbaux de ses séances, et au revers des jetons de pré-sence distribués aux membres de leur assemblée.

Quatre cent trente ans après le traité de Londres, qui réunit définitivement à la France les États continentaux de Guillaume le Conquérant, la Normandie conservait sous la royauté française ses deux léopards d'or sur champ de gueules.

Ainsi de la Guyenne, dont le léopard d'or a survécu de quatre siècles à l'extinction de ses dues particuliers.

Ainsi de la Bourgogne, de la Provence, de la Bretagne, qui ont perpétué, après la mort de Philippe de Rouvre, de Charles du Maine, de la reine Anne, l'une ses bandes d'or et d'azur, l'autre sa croix blanche, l'autre son écu d'hermine.

Ainsi de la Champagne, de l'Auvergne, de la Lorraine.

On peut donc considérer comme un fait normal et de tradition constante l'adoption par un pays des emblèmes chevaleresques portés par les princes qui ont présidé à leurs destinées.

En résumé, la fleur de lis a été pendant sept siècles l'emblème de la terre de France et le symbole de la puissance de l'Etat. Son histoire se confond avec celle de la formation progressive de notre droit public, dégagé par les légistes des ténèbres et du chaos des âges barbares, du développement de nos institutions et de notre unité territoriale. Elle a tenu dans l'art

(1) M. de Barthélemy, dans l'Essai plusieurs fois cité plus haut, met parfaitement en lumière cette vérité, qu'à l'origine, les armoiries féodales ont été réelles et non personnelles, qu'il faut y voir le symbole du fief et non celui de son détenteur.

Il rappelle à ce propos que la fille de Baudouin IX, comte de Flandre, en devenant héritière de ce grand fief, et confirmant des conventions antérieures avec le roi de France, s'engage à sceller l'acte, avant la fête de la Purification, « avec son nouveau sceau du comté de Flandre. » Sigillo meo novo comitatus Flandrie sigillare. (Mém. de la Soc. des Antiq de l'Ouest, XXXV, p. 54.

français et dans la vie familière de notre vieille société une place aussi large que dans les événements politiques. Elle n'a pas été remplacée, aucun des innombrables symboles essayés depuis 1792 n'ayant trouvé grâce devant l'indifférence générale. La mort du chef de notre ancienne maison royale, qui pouvait seul lui maintenir le caractère accidentel d'une enseigne de parti, et la répudiation indirecte qui en a été faite en 4830 par le chef de la branche cadette font désormais de la fleur de lis un emblème exclusivement national; et à une époque où toutes les grandes familles de peuples européens, sans repousser aucune des conquêtes de la science moderne, aucune des formes de progrès social ou politique, s'attachent à rechercher dans leur passé, dans leurs traditions, des titres de gloire durable et les éléments d'un idéal historique, favorable au patriotisme, il nous semble que la France, loin de s'obstiner dans un parti pris injuste et mesquin de dénigrement, d'exclusion et de pusillanimité, devrait avoir le courage de reprendre son bien et d'associer aux couleurs nationales acclamées par les états généraux de 1789 cet emblème brillant et respecté, dont aucun des plus glorieux symboles d'Etats contemporains n'a pu atteindre l'illustration.

EXPÉRIENCES

SUR

LES INOCULATIONS PRÉVENTIVES DU CHARBON

PAR M. BAILLET (1)

QUATRIÈME PARTIE

Dans diverses communications que j'ai faites à l'Académie en 1881, en 1882 et en 1883, je l'ai entretenue des expériences qui ont été poursuivies à l'Ecole vétérinaire, pour contrôler les assertions de M. Pasteur, relativement à l'efficacité des inoculations préventives du virus charbonneux atténué. Jusqu'à présent je n'ai parlé que des essais qui ont été faits sur les bètes ovines. Il me reste, pour terminer, à exposer les résultats que nous avons obtenus, M. Peuch et moi, en opérant sur des chevaux qui avaient été préalablement vaccinés.

J'ai déjà dit un mot, dans mes communications du 29 juin et du 5 juillet 1882, de la circonstance qui nous a permis d'avoir à notre disposition des chevaux vaccinés préventivement contre le charbon. En 1882 une épizootie charbonneuse des plus graves sévit tout à coup à Montauban sur les chevaux du 17me escadron du train des équipages, et détermina en peu de jours la mort de trente sujets, sur soixante-six qui composaient l'effectif des animaux logés dans le même quartier. L'administration de la guerre prit immédiatement les mesures les plus énergiques pour arrêter le mal et pour l'empêcher de reparaître. Entre autres opérations, elle fit vacciner avec des virus atténués par

(4) Lu dans la séance du 14 février 1884.

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