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cient mais très juste, des conditions de symétrie, de balancement, de variété et de simplicité que réclame l'œil humain pour adopter et consacrer un motif de décoration, il opposa aux grands fleurons supérieurs, pétale médian jaillissant en fer de lance, et pétales latéraux gracieusement recourbés, un régime correspondant mais non identique, rappelant la donnée sans la rendre monotone par la répétition et permettant d'isoler la figure, d'en faire un tout complet, sans l'encombrement de ce pied, de ce support toujours ingrat qui dépare tant d'autres types de la flore héraldique.

Les qualités graphiques de la fleur de lis ont été démontrées par les merveilleux emplois qu'en ont fait, du treizième au quinzième siècle, dans les conditions les plus diverses, les artistes de la pierre, du bois, du fer et des métaux précieux. Une rapide synthèse de ces multiples applications permettrait aisément de l'apprécier.

Un magnifique modèle de l'emploi que savaient faire de la fleur de lis les armuriers ornemanistes du seizième siècle nous est offert par l'armure de François Ier. Cette armure d'acier poli porte, de distance en distance, de grandes fleurs de lis dorées en plein, formant relief et chargées sur toutes leur surface de la plus élégante broderie de rinceaux, dont le ton d'acier, détaché sur le fond d'or, produit un effet original d'une très grande richesse.

Dans les grandes pièces de l'armure de Charles IX, en fer battu ciselé et entièrement dorées, des bandes parallèles sont alternativement ornées de fleurs de lis sans nombre et de rinceaux formées par une tige courante feuillue et fleurie.

Le casque de Henri IV, en fer battu, porte en couronne une rangée de fleurs de lis dorées.

Sur l'armure de Louis XIII, qui est en fer bruni, et dont Philippe de Champaigne a revêtu le roi dans une toile du Louvre, de petites fleurs de lis dorées, combinées avec des têtes de clous, des feuillages et des graines de lierre sont disposées en appliques formant des lignes ou des arabesques (1).

(1) Barbet de Jouy, Notice du Musée des souverains, no 104.

La cuirasse de Louis XIV, en fer battu richement gravé, fabriquée à Brixen en 1668, a pour motif principal de décoration, sur le plastron et sur la dossière, une très grande fleur de lis dans les contours de laquelle s'inscrivent des médaillons représentant des prises de villes ou des actions militaires accomplies dans la rapide campagne de Flandres, avec inscriptions expli-. catives. Sur le plastron : LILLE, Douai, Alost, AтH et BINCH, OUDENARDE et COURTRAY. Sur la dossière : TOURNAY, FURNES, CHARLEROY, ARMENTIÈRES, Bergues (1).

DIFFUSION POPULAIRE DE LA FLEUR DE LIS

On se ferait une idée très incomplète du rôle de la fleur de lis dans la vieille société française, si l'on ne songeait qu'à l'usage officiel de cet emblème héraldique dans les sceaux et les monnaies de l'Etat, la décoration des édifices royaux, le costume et le mobilier du souverain. Sans doute, la consécration du type a commencé par là, mais, comme l'efflorescence des armoiries a coïncidé avec le développement de la monarchie unitaire, la répression des aristocraties particularistes et la naissance de l'esprit patriotique, notablement surexcité par les guerres de l'indépendance et le refoulement progressif des Anglais, le symbole de l'Etat français n'a pas tardé à pénétrer au foyer domestique; et l'élégance de la figure aidant, il s'est fait dans l'habitation, dans le costume, dans l'armement, une place considérable. Tantôt il a fourni aux sculpteurs de meubles en bois, qui l'inscrivaient dans des losanges, dans des tierce ou quarte feuilles, sous des ogives fleuries, le motif de brillants diaprés, d'une richesse sérieuse et sobre ; tantôt il s'est semé, comme une pluie d'or, sur le velours des tentures, tantôt il a formé, pour des pièces d'orfèvrerie, destinées à l'ornementation des crédences ou au mobilier des tables de festins, des amortissements originaux, tantôt il s'est inséré dans des galeries découpées à jour. On pourrait constituer tout un musée de ces applications intimes et familières de l'emblème national.

(1) Notice du Musée des souverains, p. 112.

Et qu'on se garde de croire que cet usage fut restreint aux grandes familles, ou à celles qui les singeaient, aux habitués de la Cour ou aux gens qui voulaient passer pour tels. Le monde des artisans, des travailleurs de tout ordre lui avait fait un accueil peut-être plus cordial et plus empressé que celui des nobles ou des parvenus.

La fleur de lis a son histoire populaire, qui n'est pas la moins intéressante. La liste des corporations de métiers, disséminées dans la France entière qui avaient arboré la fleur de lis, à la fois comme marque d'honneur et comme affirmation de nationalité, serait longue à établir.

Le symbole figurait soit dans les armoiries qui ornaient la bannière de la corporation, soit dans les méreaux ou jetons de présence qui constataient l'assiduité aux assemblées, soit dans les estampilles ou empreintes attestant l'origine des produits.

C'est ainsi que l'on voit fréquemment la pièce essentielle des armes de France associée aux plus modestes images et rehaussant de son éclat la représentation de simples outils. Dans un de ces plombs historiés que le lit de la Seine avait si longtemps réservés à nos collectionneurs contemporains, la fleur de lis occupe le milieu d'un trophée d'outils de charpentier, hache, équerre et marteau; dans un autre elle accompagne deux vagues de brasseur posées en sautoir; ailleurs, un fer à cheval; ailleurs, elle a pour supports des fers à gaufres ou des fers à oublies; ailleurs, elle se multiplie sur le galon des brodeurschasubliers; les tonneliers de Paris la dessinent au-dessus de leur fût symbolique. D'autres corporations, encore plus ambitieuses, les merciers de Paris par exemple, empruntent l'écu royal tout entier (1).

Les marques des potiers d'étain qui, au quinzième siècle, affectent généralement la forme héraldique, donnent de nombreuses combinaisons de fleurs de lis, familièrement accouplées aux marteaux, aux tenailles, et même aux simples initiales de

(4) Forgeais, Collection de plombs historiés trouvés dans la Seine, I; p. 39, BrodeursChasubliers; p. 40, Brasseurs; p. 53, Charpentiers; p. 89, Maréchaux-feirants; p. 94, Merciers; p. 400, Pâtissiers; p. 104, Pâtissiers-gaufriers; p. 139, Tonneliers.

l'artisan. Le pays laborieux avait fait son bien de l'emblème national, l'invoquait comme une garantie de probité ou l'associait à ses joies et à ses petites vanités professionnelles. La fleur de lis était l'ornement par excellence de ces chefs-d'œuvre que l'on promenait avec grande pompe pour célébrer l'entrée d'un nouveau maître, et qui, parée de rubans et de guirlandes, occupaient la place d'honneur sur la table du festin.

Beaucoup de bourgeois, au quatorzième siècle et au suivant, firent graver la fleur de lis sur leur cachet, sans autre signification que celle d'un emblème de nationalité.

Parmi les sceaux de paysans du treizième siècle, conservés aux Archives nationales, on en rencontre un très grand nombre marqués à la fleur de lis, généralement sans aucune forme d'écusson ni aucun indice de prétention héraldique. Nous en avons relevé vingt-six, où l'emblème, réduit à sa plus simple. expression, remplit seul le champ du sceau. Beaucoup d'autres ont la fleur de lis ornée de pistils ou fleuronnés, quelquefois accompagnée d'étoiles. Dans certains, la silhouette de l'emblème national est donnée, de la façon la plus intentionnelle et la plus claire, par des agencements de branchages, de rameaux feuillus, d'épis, de siliques ou autres trophées champètres dont l'invention ne manque souvent ni d'originalité ni de grâce. Le seul dépôt de l'hôtel Soubise renferme soixante sceaux rustiques fleurdelisés (1).

VICISSITUDES POLITIQUES DE LA FLEUR DE LIS

Tout le monde sait à la suite de quels événements historiques, l'Assemblée nationale adopta la cocarde et le drapeau tricolore et en imposa l'usage aux armées de terre et de mer. Ces couleurs, qui étaient celles de la ville de Paris et de la livrée des rois de France, sont devenues, par l'effet d'un jeu de la fortune, familière aux contrastes ironiques, le symbole définitif et à peu près indiscuté d'un ordre politique nouveau.

(4) Douet d'Arcq, Inventaire des sceaux des Archives de l'Empire.

Il n'y avait pas de raison pour que la fleur de lis fût frappée de l'exclusion qui atteignait la cornette d'Ivry; et, en effet, tant que la Révolution française, après avoir donné les grands résultats inspirés des passions généreuses qui animaient les députés de 1789, fut maintenue dans des voies de modération, l'antique symbole garda naturellement sa place dans les manifestations extérieures de la puissance française; on le trouve fréquemment associé, durant la trop courte aurore de la monarchie constitutionnelle, aux symboles particuliers qui semblaient en caractériser plus spécialement l'évolution.

Le sceau de Louis XVI, roi des Français par la volonté nationale et la loi constitutionnelle de l'Etat, conserva jusqu'à la fin le sceau traditionnel et la même remarque s'applique aux types monétaires (1).

La dernière apparition monétaire de la fleur de lis avant I abolition de la royauté date de 1791. Dans l'Essai de Duvivier, fait à l'occasion du concours décrété par l'Assemblée nationale, les trois fleurs de lis figurent sur le cippe où s'appuie le Génie écrivant la Constitution; à droite, on voit le coq; à gauche, le faisceau de la liberté.

Mais, lorsque sonna l'heure de la violence et du fanatisme, quand des minorités oppressives reliées entre elles par une étroite union, poussèrent à ses dernières limites la passion de détruire et de renouveler, la fleur de lis, confondue avec toutes les institutions, tous les souvenirs d'un passé dont on avait la

(1) Un sceau de la municipalité de Lorient, apposé à un acte de 1791, porte un écu avec les mots LA LOI ET LE ROI accompagnés de trois fleurs de lis, posé sur des faisceaux surmontés du bonnet de la liberté en ruche, entouré d'une branche de chêne et d'une branche de laurier. (Douet d'Arcq, Inventaire de la collection des sceaux des Archives de l'Empire, no 5,480.)

Le cachet de Mézières, en 1792, porte un écu à champ d'azur avec les mots LA LOI ET LE ROI accompagnés de trois fleurs de lis, deux en chef, une en pointe. (Ibid., n 5,488.)

La petite municipalité de Plaisir (Seine-et-Oise) hasardait encore en 1792 sur son cachet cette combinaison compliquée : un écu écartelé, portant au premier les mots la Nation, au deuxième le buste de Louis XVI, au troisième trois fleurs de lis, au quatrième LA LOY. (Ibid., no 5,598.)

Pont-de-Vesle, 1790. Ecu portant les mots LA LOI ET LE ROI entre trois fleurs de lis, deux en chef, une en pointe. (Ibid., no 5,478.)

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