Page images
PDF
EPUB

PQ

2070 1877

500035 V. 35

UV

CORRESPONDANCE

938.

A M. BERGER.

Cirey, octobre 1738.

Aujourd'hui est parti, par le carrosse de Joinville, le petit visage de votre ami, dont l'aimable Latour fera tout ce qu'il voudra. On demande les pierres de M. Barier avec plus d'empressement que je ne mérite. A l'égard de l'estampe, il faut, je crois, la donner à Odieuvre, puisqu'il a fait les premiers frais. Il se chargera du graveur, qui travaillera sous les yeux du peintre. Je donnerai cent francs au graveur pour ma part; Odieuvre donnera le reste, et aura la planche; et moi, j'aurai quelques estampes pour mes amis.

Je croyais que M. de Latour avait un double original. Qu'at-il donc fait du premier pastel? car je n'ai que le second. Enfin j'envoie ce que j'ai, et je l'envoie à l'adresse de l'abbé Moussinot. Faites bien mes compliments au peintre qui m'a embelli, et que les graveurs ont défiguré.

Si vous êtes curieux de voir ces Lettres 1 à M. Maffei et à M. Thieriot, il devait vous les montrer; mais adressez-vous, si vous voulez, à Prault.

N'y a-t-il point de nouvelles, je vous en prie? Continuez, persévérez dans votre charmante régularité.

[blocks in formation]

1. La lettre à Maffei, dont il est question ici, paraît être celle qui fait partie du Préservatif. Voyez tome XXII, page 386. La lettre à Thieriot est ce qui forme les Observations, etc., tome XXII, page 359.

2. La lettre de Frédéric à Voltaire, du 10 octobre 1739, contient un billet de Keyserlingk.

3. Ce sont les vers dont se compose le sixième Discours en vers.

35.

CORRESPONDANCE. III.

1

J'ai peint cette absurde sagesse
Des fous sottement orgueilleux;
C'est à vous à vous moquer d'eux:
Vous n'êtes pas de leur espèce.

M. Michelet nous a envoyé, monsieur, les plans du paradis terrestre de l'Allemagne, car celui de France est à Cirey. Je ne sais ce que j'aime le mieux en vous, ou la plume de l'écrivain qui écrit de si jolies choses, ou le crayon qui dessine une si aimable retraite. Vous nous fournissez tous les plaisirs qu'on peut goûter quand on n'a pas le bonheur de vous voir. Mme la marquise du Châtelet va vous écrire : elle est seule digne de vos présents; mais j'en sens le prix aussi vivement qu'elle. Nous sommes unis tous en Frédéric, comme les dévots le sont dans leur patron.

Je serai, monsieur, toute ma vie, avec l'attachement le plus tendre, votre, etc.

[merged small][ocr errors][merged small]

Après vous avoir remercié des leçons que j'ai reçues de vous sur la philosophie newtonienne, voulez-vous bien que je vous adresse les idées qui sont le fruit de vos instructions?

1° Je vois les esprits dans une assez grande fermentation en France, et les noms de Descartes et de Newton semblent être des mots de ralliement entre deux partis. Ces guerres civiles ne sont point faites pour des philosophes. Il ne s'agit point de combattre pour un Anglais contre un Français, ni pour les lettres de l'alphabet qui composent le nom de Newton contre celles qui composent le nom de Descartes. Ces noms ne sont réellement qu'un son; il n'y a nulle relation entre un homme qui n'est plus et ce qu'on appelle sa gloire. Il n'appartient pas à ce siècle éclairé de suivre tel ou tel philosophe; il n'y a plus de fondateur de secte, l'unique fondateur est une démonstration.

1. Marchand cité dans une lettre de Frédéric, du 15 avril 1739.

2. Si c'est cette lettre qui est désignée dans le n° 906, Voltaire l'a retouchée depuis lors, puisqu'il y est question de la mort de Boerhaave arrivée à la fin de septembre 1738; c'est ce qui a décidé Beuchot à la placer dans le commencement d'octobre. Elle a été imprimée, pour la première fois, dans la Bibliothèque française, tome XXVIII, pages 1-27. Quelques phrases de cette lettre se retrouvent dans la Réponse aux objections principales, etc.; voyez, tome XXIII, page 75.

Au mois de juillet, Voltaire avait demandé à Maupertuis la permission de se servir de son nom.

2o Les noms doivent entrer pour si peu de chose dans cette querelle qu'en effet ceux qui combattent les vérités nouvellement découvertes, ou qui en tirent des conclusions en faveur des tourbillons, ne suivent Descartes en aucune manière. Il y a longtemps qu'on a été forcé de renoncer à son système de la lumière, à ses lois du mouvement, démontrées fausses dès qu'elles ont paru; à ses tourbillons qui, tels qu'il les a conçus, renversent les règles de la mécanique sur lesquelles il disait que sa philosophie était fondée; à son explication de l'aimant, à sa matière cannelée, à la formation imaginaire de son univers, à sa description anatomique de l'homme, etc. On proscrit tous ses dogmes en détail, et cependant on se dit encore cartésien 1! C'est comme si on avait dépouillé un roi de toutes ses provinces l'une après l'autre, et qu'on se dit encore son sujet. Il ne s'agit pas, encore une fois, de savoir si un homme qu'on appelait René Descartes a été plus grand par rapport à son siècle qu'un certain homme nommé Isaac Newton n'a été grand par rapport au sien; et s'il fallait entrer dans cette autre question non moins frivole, que cependant on agite, savoir lequel a été le plus grand physicien, Descartes ou Newton, il suffirait de considérer que Descartes n'a presque point fait d'expériences; que, s'il en avait fait, il n'aurait point établi de si fausses lois du mouvement; que, s'il avait même daigné lire ses contemporains, il n'aurait pas fait passer le sang des veines lactées par le foie, quinze ans après qu'Azellius avait découvert la vraie route; que Descartes n'a ni observé les lois de la chute des corps et vu un nouveau ciel comme Galilée, ni deviné les règles du mouvement des astres comme Kepler, ni trouvé la pesanteur de l'air comme Torricelli, ni calculé les forces centrifuges et les lois du pendule comme Huygens, etc. D'un autre côté, on verrait Newton, à l'aide de la géométrie et de l'expérience, découvrir les lois de la gravitation entre tous les corps, l'origine des couleurs, les propriétés de la lumière, les lois de la résistance des fluides, etc.

Enfin, si l'on voulait discuter la physique de Descartes, que pourrait-on y apercevoir que des hypothèses? Ne verrait-on pas avec douleur le plus grand géomètre de son temps abandonner la géométrie, son guide, pour se perdre dans la carrière de l'imagination? Ne le verrait-on pas créer un univers au lieu d'examiner celui que Dieu a créé ?

Veut-on se faire une idée très-juste de sa physique? Qu'on

1. Ce passage est déjà tome XXIII, page 75.

lise ce qu'en a dit le célèbre Boerhaave, qui vient de mourir1. Voici comment il s'explique dans une de ses harangues : « Si de la géométrie de Descartes vous passez à la physique, à peine croirez-vous que ces ouvrages soient du même homme; vous serez épouvanté qu'un si grand mathématicien soit tombé dans un si grand nombre d'erreurs. Vous chercherez Descartes dans Descartes; vous lui reprocherez tout ce qu'il reprochait aux péripatéticiens, c'est-à-dire que rien ne peut s'expliquer par ses principes 2. >>

C'est ainsi qu'on pense avec raison de Descartes dans presque toute l'Europe. Il est donc très-injuste qu'on me fasse en France un crime de l'avoir combattu, comme si c'était l'action d'un mauvais Français; il faut qu'on songe que Gassendi, dont plusieurs opinions contraires à Descartes revivent dans mon ouvrage, était aussi d'une province de France; il faut qu'on songe que vous êtes Français. Eh! qu'importe que la vérité nous vienne de Bretagne, ou de Provence, ou de Cambridge? C'est être en effet bon citoyen que de la chercher partout où elle est.

3o Le point de la question est uniquement de savoir si après que Newton a découvert une tendance, une gravitation, une attraction réelle, indisputable entre tous les globes célestes et entre tous les corps; si après qu'il a mathématiquement déterminé les forces de cette gravitation entre les corps célestes, il la faut regarder comme un principe, comme une qualité primordiale, nécessaire à la formation de cet univers, donnée originairement à la matière par l'Être infini qui donne tout, ou bien si cette propriété de la matière est l'effet mécanique de quelque autre principe. Dans l'un et dans l'autre cas, il faut recourir à la main du Créateur, à sa volonté infiniment libre et infiniment puissante; soit qu'il ait créé la matière dans l'espace, soit qu'il ait rempli tout l'espace de matière, soit qu'il ait donné la gravitation aux corps, soit qu'il ait formé des tourbillons dont la gravitation dépende, s'il est possible.

Ainsi, de quelque côté qu'on se tourne, newtonien et antinewtonien, tous recourent également à l'Etre des êtres. La seule différence qui est ici entre nous et nos adversaires, c'est que ceux qui paraissent d'abord admettre des idées plus simples, en voulant tout expliquer par l'impulsion, sont en effet obligés d'avoir recours à beaucoup de mouvements composés, à une infi

1. Boerhaave est mort le 23 septembre 1738.
2. Cette citation est aussi tome XXIII, page 75.

« PreviousContinue »