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Je vous recommande, mon cher ami, l'affaire de M. de Montmartel.

Ayez pitié de moi, envoyez-moi le S'Gravesande in-4°. L'abbé Moussinot n'a plus d'argent; mais ne vous a-t-il pas donné vingt louis? Pian, pian; l'abbé Nollet me ruine.

Je reçois ce gros paquet du prince. En voici un petit ; vous verrez ce que c'est.

Père Mersenne, lien des cœurs, vous verrez sans doute l'abbé Trublet. Ne dites point: Ce sont des misères. Tout ce qui regarde la réputation est sérieux, et il ne faut pas que la postérité dise : Thieriot avait un ami dont on pensait mal. Vale et me ama. I am yours for ever.

949. A M. LE LIEUTENANT GÉNÉRAL DE POLICE 1.

Ce 27 octobre 1738.

Étant sur le point de prendre un établissement assez avantageux, et ayant toujours compté sur vos bontés, je vous demande. une grâce qui dépend entièrement de vous, et dont mon repos et mon honneur dépendent.

Jore est connu de vous. Vous savez que, malgré vos ordres, il publia sous le nom de factum un libelle injurieux contre moi. Ce libelle, que vous avez eu la bonté de supprimer, est renouvelé aujourd'hui par des personnes qui veulent traverser mon établissement. Si vous vouliez bien, monsieur, exiger deux lignes de Jore par lesquelles il désavouerait son factum, je vous aurais une obligation éternelle. Je vous demande en grâce de daigner me donner cette marque de vos bontés, et d'exercer, en faveur d'un ancien serviteur, ce zèle avec lequel vous avez obligé tant de personnes.

Ne regardez pas, je vous en supplie, ma lettre comme une affaire ordinaire, qu'on renvoie à un temps plus éloigné, et daignez proportionner vos bontés au besoin extrême que j'en ai et à la confiance avec laquelle je les réclame.

950. - A M. LÉVESQUE DE BURIGNY 2.

A Cirey, le 29 octobre.

Je n'ai point reçu votre lettre, monsieur, comme un compliment; je sais trop combien vous aimez la vérité. Si vous n'aviez

1. Hérault.-Éditeur, Léouzon Leduc.

2. Jean Lévesque de Burigny, né à Reims en 1692, un an après son frère Lévesque de Pouilly, cité ici. Il avait publié, en 1720, sous le voile de l'anonyme,

pas trouvé quelques morceaux dignes de votre attention dans les Éléments de Newton, vous ne les auriez pas loués.

Cette philosophie a plus d'un droit sur vous: elle est la seule vraie, et M. votre frère de Pouilly1 est le premier en France qui l'ait connue. Je n'ai que le mérite d'avoir osé effleurer le premier, en public, ce qu'il eût approfondi s'il eût voulu.

Je ne sais si ma santé me permettra dorénavant de suivre ces études avec l'ardeur qu'elles méritent; mais il s'en faut bien qu'elles soient les seules qui doivent fixer un être pensant. Il y a des livres sur les droits les plus sacrés des hommes, des livres écrits par des citoyens aussi hardis que vertueux, où l'on apprend à donner des limites aux abus, et où l'on distingue continuellement la justice et l'usurpation, la religion et le fanatisme. Je lis ces livres avec un plaisir inexprimable; je les étudie, et j'en remercie l'auteur, quel qu'il soit.

Il y a quelques années, monsieur, que j'ai commencé une espèce d'histoire philosophique du siècle de Louis XIV; tout ce qui peut paraître important à la postérité doit y trouver sa place; tout ce qui n'a été important qu'en passant y sera omis. Les progrès des arts et de l'esprit humain tiendront dans cet ouvrage la place la plus honorable. Tout ce qui regarde la religion y sera traité sans controverse, et ce que le droit public a de plus intéressant pour la société s'y trouvera. Une loi utile y sera préférée à des villes prises et rendues, à des batailles qui n'ont décidé de rien. On verra dans tout l'ouvrage le caractère d'un homme qui fait plus de cas d'un ministre qui fait croître deux épis de blé là où la terre n'en portait qu'un que d'un roi qui achète ou saccage une province.

Si vous aviez, monsieur, sur le règne de Louis XIV quelques anecdotes dignes des lecteurs philosophes, je vous supplierais de m'en faire part. Quand on travaille pour la vérité on doit hardiment s'adresser à vous, et compter sur vos secours. Je suis, monsieur, avec les sentiments d'estime les plus respectueux, etc.

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Tous les hommes ont de l'ambition, monsieur, et la mienne est de vous plaire, d'obtenir quelquefois vos suffrages, et toujours

un Traité de l'autorité du pape, ouvrage que Voltaire loue indirectement dans le troisième alinéa de sa lettre.

1. Voyez la lettre que Voltaire lui écrivit le 27 février 1739.

2. Voyez la note, tome XXIV, page 111.

votre amitié. Je n'ai guère vu jusqu'ici que des gens de lettres occupés de flatter les idoles du monde, d'être protégés par les ignorants, d'éviter les connaisseurs, de chercher à perdre leurs rivaux, et non à les surpasser. Toutes les académies sont infectées de brigues et de haines personnelles. Quiconque montre du talent a sur-le-champ pour ennemis ceux-là même qui pourraient rendre justice à ses talents, et qui devraient être ses amis.

M. Thieriot, dont vous connaissez l'esprit de justice et de candeur, et qui a lu dans le fond de mon cœur pendant vingtcinq années, sait à quel point je déteste ce poison répandu sur la littérature. Il sait surtout quelle estime j'ai conçue pour vous dès que j'ai pu voir quelques-uns de vos ouvrages; il peut vous dire que, même à Cirey, auprès d'une personne qui fait tout l'honneur des sciences et tout celui de ma vie, je regrettais infiniment de n'être pas lié avec vous.

Avec quel homme de lettres aurais-je donc voulu être uni, sinon avec vous, monsieur, qui joignez un goût si pur à un talent si marqué? Je sais que vous êtes non-seulement homme de lettres, mais un excellent citoyen, un ami tendre. Il manque à mon bonheur d'être aimé d'un homme comme vous.

J'ai lu, avec une satisfaction très-grande, votre dissertation 1 sur le Pervigilium Veneris; c'est là ce qui s'appelle traiter la littérature. Mme la marquise du Châtelet, qui entend Virgile comme Milton, a été vivement frappée de la finesse avec laquelle vous avez trouvé dans les Georgiques l'original du Pervigilium. Vous êtes comme ces connaisseurs nouvellement venus d'Italie, tout remplis de leur Raphael, de leur Carrache, de leur Paul Véronèse, et qui démêlent tout d'un coup les pastiches de Boulogne.

Vous avez donné un bel essai de traduction dans vos vers :

C'est l'aimable printemps dont l'heureuse influence, etc.

Votre dernier vers,

Et le jour qu'il naquit fut au moins un beau jour,

me paraît beaucoup plus beau que

Ferrea progenies duris caput extulit arvis.

(Georg., lib. II, v.341.)

1. Cette dissertation avait paru dans les Observations du 16 juillet 1738, sous le titre de Lettre de M. Lefranc, avocat général de la cour des aides de Montauban, à M. l'abbé Desfontaines.

Le sens de votre vers était, comme vous le dites très-bien, renfermé dans celui de Virgile. Souffrez que je dise qu'il y était renfermé comme une perle dans des écailles.

Je voudrais seulement que ce beau vers pût s'accorder avec ceux-ci, qui le précèdent :

De l'univers naissant le printemps est l'image;

Il ne cessa jamais durant le premier âge.

J'ai peur que ce ne soient là deux mérites incompatibles; si le printemps ne cessa point dans l'âge d'or, il y eut plus d'un beau jour. Vous pourriez donc sacrifier cet il ne cessa jamais, etc., à ce beau vers:

Et le jour qu'il naquit fut au moins un beau jour.

Ce dernier vers mérite le sacrifice que j'ose vous demander1. Vous voyez, monsieur, que je compte déjà sur votre amitié, et vous pardonnez sans doute à ma franchise. J'entre avec vous dans ces détails, parce qu'on m'a dit que vous traduisez toutes les Georgiques. L'entreprise est grande. Il est plus difficile de traduire cet ouvrage en vers français qu'il ne l'a été de le faire en latin; mais je vous exhorte à continuer cette traduction, par une raison qui me paraît sans réplique : c'est que vous êtes le seul capable d'y réussir.

J'ai été votre partisan dans ce que vous avez dit de l'Eneide. Il n'appartient qu'à ceux qui sentent comme vous les beautés d'oser parler des défauts; mais je demanderais grâce pour la sagesse avec laquelle Virgile a évité de ressembler à Homère dans. cette foule de grands caractères qui embellissent l'Iliade. Homère avait vingt rois à peindre, et Virgile n'avait qu'Énée et Turnus. Si vous avez trouvé des défauts dans Virgile, j'ai osé relever bien des bévues dans Descartes. Il est vrai que je n'ai pas parlé en mon propre et privé nom; je me suis mis sous le bouclier de Newton. Je suis tout au plus le Patrocle couvert des armes d'Achille.

Je ne doute pas qu'un esprit juste, éclairé comme le vôtre, ne compte la philosophie au rang de ses connaissances. La France est, jusqu'à présent, le seul pays où les théories de Newton en physique, et de Boerhaave en médecine, soient combattues. Nous n'avons pas encore de bons éléments de physique; nous avons

1. Lefranc profita de cette critique.

pour toute astronomie le livre de Bion1, qui n'est qu'un ramas informe de quelques mémoires de l'Académie. On est obligé, quand on veut s'instruire de ces sciences, de recourir aux étrangers, à Keill, à Wolff, à S'Gravesande. On va imprimer enfin des Institutions physiques, dont M. Pitot est l'examinateur, et dont il dit beaucoup de bien. Je n'ai eu que le mérite d'être le premier qui ait osé bégayer la vérité; mais, avant qu'il soit dix ans, vous verrez une révolution dans la physique, et se mirabitur Gallia neutonianam.

Et nous dirons avec vos Georgiques:

Miraturque novas frondes et non sua poma.

(Lib. II, v. 82.)

Il est vrai que la physique d'aujourd'hui est un peu contraire aux fables des Georgiques, à la renaissance des abeilles, aux influences de la lune, etc.; mais vous saurez, en maître de l'art, conserver les beautés de ces fictions, et sauver l'absurde de la physique.

Voilà à quoi vous servira l'esprit philosophique, qui est aujourd'hui le maître de tous les arts.

Si vous avez quelque objection à faire sur Newton, quelque instruction à donner sur la littérature, ou quelque ouvrage à communiquer, songez, monsieur, je vous en prie, à un solitaire plein d'estime pour vous, et qui cherchera toute sa vie à être digne de votre commerce. C'est dans ces sentiments que je serai, etc.

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Il y a déjà longtemps, monsieur, que je vous suis attaché par la plus forte estime; je vais l'être par la reconnaissance. Je ne vous répéterai point ici que vos livres doivent être le bréviaire des gens de lettres, que vous êtes l'écrivain le plus utile et le plus judicieux que je connaisse; je suis si charmé de voir que vous êtes le plus obligeant que je suis tout occupé de cette dernière idée.

1. Nicolas Bion, mort à Paris en 1733.

2. Voyez tome XXIII, page 129.

3. Sur l'abbé Dubos, voyez tome XIV, page 66. Cette lettre fut imprimée en 1739, in-12 de 6 pages, mais défigurée par de grossières fautes; ce n'est pas sans raison que Voltaire s'en plaint dans sa lettre à Berger classée après le 25 avril 1739.

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