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notre globe. Mais, en ce cas, la masse, la quantité de matière du soleil, n'excède la nôtre que 227,000 fois environ1.

Pour moi, qui fais le soleil gros comme un million de fois notre terre, je dois lui donner par conséquent 250,000 fois plus de masse, quand je fais sa densité quatre fois moindre que celle de la terre. Mais loin de parler de la masse, c'est-à-dire de la quantité de matière de Mars, de Vénus, et de Mercure, comme le suppose le censeur sans nul fondement, je dis expressément qu'on ne les peut connaître, parce que ces planètes n'ont point de satellites, et que c'est à l'aide de la révolution de ces satellites qu'on peut connaître la densité, la masse d'une planète.

Il faut donc corriger cette faute du continuateur, et mettre que le soleil est 464 fois plus gros que les planètes, comme je l'avais dit. Le continuateur s'est encore trompé quand il a voulu corriger la gravitation que je donne à la terre, par rapport à la gravitation de Jupiter.

J'avais dit que la terre gravite sur le soleil environ 30 fois plus que Jupiter, si on compte l'année de Jupiter rondement de 12 ans; et environ 25 fois plus que Jupiter, si on compte la révolution de Jupiter telle qu'elle est. Cela est très-vrai, et en voici la preuve.

Newton démontre (proposition iv, théorème iv, livre Ier) que les forces centripètes sont en raison composée de la raison directe des rayons des orbites et de la raison doublée inverse des temps périodiques. L'application de cette règle est aisée. Le carré de l'année de Jupiter est au carré de l'année de la terre environ comme 134 3/4 est à l'unité. Le rayon de l'orbite de Jupiter est à celui de l'orbite de la terre environ comme 5 1/2 à l'unité donc la gravitation de la terre est à celle de Jupiter sur le soleil comme 134 3/4 est à 5 1/2; ce qui donne la proportion de 24 1/2 à 1; donc j'ai eu encore raison de dire que la terre gravite sur le soleil 25 fois autant ou environ que Jupiter.

Ce qui a pu tromper le censeur et continuateur, c'est qu'il aura voulu faire entrer en ligne de compte la masse de Jupiter et de la terre; mais c'est de quoi il ne s'agit pas du tout en cet endroit. Il ne s'agit que de voir en quelle raison gravitent deux corps quelconques, fussent-ils des atomes placés, l'un à la distance de la terre au soleil, l'autre à la distance de Jupiter au soleil, et circulant l'un en 365 jours, l'autre en près de 12 ans.

1. Ces nombres sont peu approchés. Quelques unités de variations sur un diamètre changent beaucoup les volumes; et tous ceux-ci sont assez loin de la vérité. En tout cela il ne faut voir que le sens des faits. (D.)

Le continuateur s'est encore trompé lorsqu'il a voulu corriger la proportion dans laquelle j'ai dit que les corps tombent (toutes choses d'ailleurs égales) sur la terre et sur le soleil; j'avais dit que le même corps qui tombe ici de 15 pieds dans une seconde, parcourrait 413 pieds dans la première seconde s'il tombait à la surface du soleil. Ce calcul est encore très-juste selon la mesure qui fait le soleil un million de fois gros comme la terre, et qui fait la terre à peu près quatre fois dense comme le soleil : ceci est évident.

Car le diamètre du soleil étant 100 fois le diamètre de la terre, la densité de matière de la terre étant quatre fois celle du soleil, tout le monde convient qu'en ce cas ce qui pèse une livre à la surface de la terre pèserait 25 livres sur la surface du soleil. Mais supposé que la matière de la terre ne soit pas en effet quatre fois dense comme celle du soleil, et que la proportion de 100 à l'unité subsiste toujours entre leurs diamètres, il est clair que les corps, en ce cas, doivent être attirés vers le soleil, en une raison plus grande que celle de 25 à l'unité; et cette raison ne peut être moindre qu'en cas que le soleil soit moins massif que je ne le dis. Donc, en partant de ce théorème, que le diamètre du soleil est 100 fois celui de la terre, et que la matière de la terre n'est pas quatre fois dense comme celle du soleil, il s'ensuit que l'attraction du soleil, à sa surface, est à l'attraction de la terre, à sa surface, en plus grande raison que 25 à 1. J'ai donc eu raison, dans cette hypothèse, de dire que ce qui pèse sur la terre une livre pèse sur le soleil environ 27 livres et demie, toutes choses d'ailleurs égales.

Or si la gravitation est en ce rapport de 27 1/2 à 1, et si les mobiles parcourent ici 15 pieds dans la première seconde, ils doivent parcourir environ 413 pieds dans la première seconde, à la surface du soleil; car 1: 27 1/2 :: 15:412 1/2; ce qui, comme vous voyez, ne s'éloigne pas de 413 : le correcteur doit donc se corriger, et ne pas mettre 350, comme il a fait, à la place de 413, et comme il s'en vante.

Il s'est encore trompé d'une autre manière dans ce compte de 350, car il dit, dans son petit libelle, qu'il a voulu tenir compte de l'action de l'atmosphère du soleil. Il y a en cela deux erreurs la première, c'est qu'on ne connaît pas la densité de l'atmosphère du soleil, et qu'ainsi on n'en peut rien conclure; la seconde, qu'il n'a pas songé que, comme on ne tient pas compte de la résistance de l'atmosphère de la terre, on ne doit pas non plus parler de celle du soleil.

Le continuateur et réviseur a donc tort dans tous ces points. Il a encore bien plus grand tort de s'être vanté d'avoir corrigé des fautes de copistes, comme d'avoir mis un zéro où il en manquait, d'avoir mis parallaxe annuelle au lieu de parallaxe; il a voulu insinuer par là que mon manuscrit était plein de fautes.

Mais M. Pitot, de l'Académie des sciences, et M. de Montcarville, qui ont eu mon livre écrit de ma main, qui sont commis pour l'examiner, ont rendu un témoignage public que ces fautes ne s'y trouvent pas.

Les libraires de Hollande, au lieu de vouloir soutenir inutilement leur mauvaise édition, doivent la corriger entièrement, selon mes ordres, comme ils l'ont promis. Les libraires de Paris, qui ont copié quelques fautes du continuateur des libraires de Hollande, doivent aussi les réformer. Le livre ne peut être utile aux commençants, et je ne puis l'avouer qu'à cette condition.

11° Voilà, monsieur, les réflexions que j'ai cru devoir soumettre à vos lumières sur la philosophie de Newton, non-seulement parce que vous avez daigné bien souvent me servir de maître, mais parce qu'il y a peu d'hommes en France dont vous ne le fussiez. Je ne réponds point ici à toutes les objections que l'on m'a faites; je renvoie aux livres des Keill, des Pemberton, des S'Gravesande, et des Musschenbroeck; je ne ferais que répéter ce que ces savants ont dit, et je ne donnerais pas un poids nouveau à leur autorité : ce serait à vous, monsieur, à défendre cette philosophie; mais vous pensez qu'elle n'a besoin que d'être exposée.

J'ajouterai ici seulement (ce que vous pensez comme moi) que la différence des opinions ne doit jamais, en aucun cas, altérer les sentiments de l'humanité; qu'un newtonien peut trèsbien aimer un cartésien et même un péripatéticien, s'il y en avait un. L'odium theologicum a malheureusement passé en proverbe; mais il est à croire qu'on ne dira jamais odium philosophicum. Il y a longtemps que je dis que tous ceux qui aiment sincèrement les arts doivent être amis, et cette vérité vaut mieux qu'une démonstration de géométrie.

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Mon cher ami, si vous ne viviez pas avec M. et Mme de La Popelinière, il faudrait vivre à Cirey; on y est heureux, et cependant on vous regrette.

1. Éditeurs, de Cayrol et François.

35.

CORRESPONDANCE. III.

2

Mandez bien, je vous prie, à notre prince, à notre Marc-Aurèle du Nord, que ma chétive santé m'empêche d'avoir l'honneur de lui écrire.

M. de Mairan a-t-il reçu ma longue lettre que je vous avais adressée avant votre voyage?

Voulez-vous bien vous charger d'envoyer ce paquet1 au chevalier de Mouhy, rue des Moineaux, dans votre quartier? Un commerce avec le chevalier de Mouhy vous étonne; mais je n'en ai point avec ses ouvrages.

Mme du Châtelet vous a écrit. Je réitère toutes les petites prières que je vous ai faites en partant.

Quand vous voudrez le cinquième acte de Merope, vous l'aurez. Grand merci de vos bons avis, j'en ai profité, et vous jugerez s'il fait bon de me dire la vérité.

Je vous embrasse tendrement, Père Mersenne; soyez toujours le lien de la société, l'ami des arts et le mien. Cirey mériterait bien que M. de La Bruère nous envoyât son opéra. Nous l'aimons, nous sommes des gens fidèles; son ouvrage sera en sûreté, et nous lui aurions obligation d'un plaisir que nous sentirions bien vivement.

Adieu, mon ami, écrivez-nous et aimez-nous.

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Voici, mon cher élève des Muses, d'Archimède, et de Plutus, ces Éléments de Newton, qui ne vous apprendront rien autre chose, sinon que j'aime à vous soumettre tout ce que je pense et ce que je fais. J'ai reçu une lettre de monsieur votre père; il sait combien j'estime lui et ses ouvrages; mais son meilleur ouvrage3 c'est vous. Quand vous voudrez travailler à celui que vous avez entrepris, l'ermitage de Cirey vous attend pour être votre Parnasse; chacun travaillera dans sa cellule.

Il y a un nommé Bourdon de Joinville qui a une affaire qui dépend de vous; Mme du Châtelet vous le recommande, autant que l'équité le permet, s'entend, votisque assuesce vocari3. Je vous

1. C'était sans doute le Préservatif, qui devait paraître sous le nom du chevalier.

2. Dardanus.

3. On disait le contraire du fils de Crébillon. (CL.)

4. L'Épitre sur l'amour de l'étude. Voyez les lettres 934 et 974.

5. Virgile, Georg., I, 42.

embrasse tendrement, et je vous aime trop pour mettre ici les formules de très-humble.

943. - A M. L'ABBÉ D'OLIVET.

A Cirey, ce 20 octobre.

Quoique je sois en commerce avec Newton-Maupertuis et avec Descartes-Mairan, cela n'empêche pas que Quintiliend'Olivet ne soit toujours dans mon cœur, et que je ne le regarde comme mon maître et mon ami. In domo patris mei1 mansiones multæ sunt, et je peux encore dire in domo mea. Je passe ma vie, mon cher abbé, avec une dame qui fait travailler trois cents ouvriers, qui entend Newton, Virgile et le Tasse, et qui ne dédaigne pas de jouer au piquet. Voilà l'exemple que je tâche de suivre, quoique de très-loin. Je vous avoue, mon cher maître, que je ne vois pas pourquoi l'étude de la physique écraserait les fleurs de la poésie. La vérité est-elle si malheureuse qu'elle ne puisse souffrir les ornements? L'art de bien penser, de parler avec éloquence, de sentir vivement, et de s'exprimer de même, serait-il donc l'ennemi de la philosophie? Non, sans doute, ce serait penser en barbare. Malebranche, dit-on, et Pascal, avaient l'esprit bouché pour les vers; tant pis pour eux: je les regarde comme des hommes bien formés d'ailleurs, mais qui auraient le malheur de manquer d'un des cinq sens.

Je sais qu'on s'est étonné, et qu'on m'a même fait l'honneur de me haïr, de ce qu'ayant commencé par la poésie je m'étais ensuite attaché à l'histoire, et que je finissais par la philosophie. Mais, s'il vous plaît, que faisais-je au collége, quand vous aviez la bonté de former mon esprit? Que me faisiez-vous lire et apprendre par cœur, à moi et aux autres? des poëtes, des historiens, des philosophes. Il est plaisant qu'on n'ose pas exiger de nous dans le monde ce qu'on a exigé dans le collége; et qu'on n'ose pas attendre d'un esprit fait les mêmes choses auxquelles on exerça son enfance.

Je sais fort bien, et je sens encore mieux, que l'esprit de l'homme est très-borné; mais c'est par cette raison-là même qu'il faut tâcher d'étendre les frontières de ce petit État, en combattant contre l'oisiveté et l'ignorance naturelle avec laquelle nous sommes nés. Je n'irai pas un jour faire le plan d'une tragédie et des expériences de physique; sed omnia tempus

1. Saint Jean, xiv, 11.

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