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Madame, vous savez que c'est à un magistrat connu par sa vertu et son mérite que j'ai l'obligation de connaître M. de Voltaire, dont il est ami. J'ai souhaité pendant longtemps illustrer mon commerce des ouvrages d'un homme que je ne connaissais encore que par les talents de son esprit, et qui depuis m'a si fort attaché à lui par les qualités de son cœur. Ma jeunesse, ma bonne volonté, ma sincérité, titres qui valent toujours auprès de lui, ont achevé ce que la recommandation avait commencé. Depuis ce temps, sa confiance m'a rendu l'instrument de tant d'actions de générosité qu'autant par justice pour lui que par reconnaissance pour celle dont je me suis particulièrement ressenti je me crois obligé d'en rendre partout un témoignage authentique, et de répondre à l'injuste accusation du libelle intitulé. la Voltairomanie, que tous les honnêtes gens ne voient qu'avec indignation. Voici l'histoire des ouvrages de M. de Voltaire depuis que je le connais, et je suis en état de la prouver par des pièces justificatives.

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le

J'ai commencé par imprimer la Henriade avec des corrections considérables; et M. de Voltaire, en me la donnant, en abandonna le profit à un jeune homme que ses talents lui ont attaché, et à qui il a fait encore présent de sa tragédie de la Mort de César. Il permit dans un autre temps, à un autre libraire, de réimprimer Zaïre, dont le privilége était expiré. Il m'a donné, à moi, ses tragédies d'Edipe, Mariamne, et Brutus. J'ai imprimé l'Enfant prodigue: celui qui fut chargé d'en faire le marché m'en demanda un prix si honnête, que, bien loin de contester avec lui, je lui donnai cent francs au-dessus du prix qu'il m'en avait demandé. Quelques jours après, M. de Voltaire m'écrivit qu'il n'exigerait jamais d'argent 3 pour prix de ses pièces, ni pour aucun autre de ses ouvrages, mais seulement des livres. Enfin il a fait présent de ses Éléments de Newton à ses libraires de Hollande. Peu de temps après, on en a fait une édition sous le titre de Londres; et je sais que le libraire qui l'avait faite, à l'insu de M. de Voltaire, crut cependant, avant de la faire paraître, lui devoir l'attention de la lui communiquer, et de se soumettre à ses corrections. L'édition en état de paraître, M. de Voltaire en a acheté cent cinquante exemplaires pour faire des présents à Paris, qu'il a payés, et qui lui reviennent, avec la reliure, à près de cent pistoles.

Voilà, madame, ce que les ouvrages de M. de Voltaire lui ont produit ;

1. Cette lettre est celle qui est mentionnée dans la lettre au chancelier d'Aguesseau, du 11 février 1739, no 1066. C'est à Prault que sont adressées les lettres 834 et 983.

2. Lamare.

3. C'est-à-dire pour lui-même. (K.)

voilà plutôt de quoi confondre le calomniateur, et vous voyez quelle foi on peut ajouter aux impostures dont son ouvrage est tissu.

J'ai l'honneur d'être, avec un très-profond respect, etc.

PRAULT fils.

1040.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

25 janvier.

Mon cher ami, je travaille le jour à Zulime, et le soir je revois mon procès avec l'honnête homme Desfontaines.

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Vous savez de quoi il est question à présent, vous avez vu ma lettre à M. Hérault. Il n'y a plus qu'un mot qui serve. M. de Meinières peut-il vous dire tout net ce que j'ai à espérer de M. Hérault? Un outrage pareil, toléré par la magistrature, est un affront éternel aux belles-lettres; une réparation convenable ferait honneur au ministère.

Suivant vos sages avis, je réforme tout le Mémoire, qui est d'une nécessité indispensable. Point de numéro, de peur de ressembler au Préservatif; plus de modération, encore plus d'ordre et de méthode; c'est ce qu'il faut tâcher de faire. Puissé-je dire au public:

Et mea facundia, si qua est,

Quæ nunc pro Domino, pro vobis
Sæpe locuta est!

J'y ajoute un extrait de la lettre d'un prince destiné à gouverner une grande monarchie. Si cela pouvait faire quelque effet, à la bonne heure; sinon, brûlez-le. Mais, après tout, point d'entreprise sans faveur, point de succès sans protection, et je crois qu'il faut avoir raison de ce scélérat. Je demande que M. Hérault fasse une petite réponse, ou la fasse faire en marge de mes questions.

J'imagine qu'il serait bon que Me de Bernières m'écrivit un mot qui attestât, en général, l'horreur des calomnies du libelle. Je vous supplie d'en exiger autant de Thieriot. Sa conduite est insupportable; il négocie avec Cirey; il s'avise de faire le poli

1. Jean-Baptiste-François Durey de Meinières (ou Mesnières), président de la seconde chambre des requêtes et beau-frère de René Hérault, lieutenant général de police. Il épousa, en secondes noces, Octavie Guignard, veuve de l'avocat Bellot, dame connue, sous ce dernier nom, par plusieurs ouvrages. Le président de Meinières est mort le 27 septembre 1785; il était né le 21 avril 1705. Voltaire fut en correspondance avec ce magistrat.

tique. Il doit savoir qu'en pareil cas la politique est un crime. Il a passé près d'un mois sans m'écrire; enfin il a fait soupçonner qu'il me trahissait. S'il veut réparer tout cela par un écrit plein de tendresse et de force dans le Pour et Contre, à la bonne heure; mais qu'il ne s'avise pas de parler du Préservatif; on ne lui demande pas son avis; et s'il parle de moi, il faut qu'il en parle avec reconnaissance, attachement, estime, ou qu'il se taise, et, surtout, qu'il ne commette point Mme du Châtelet. Qu'il imprime ou non cette lettre dans le Pour et Contre, il est essentiel qu'il m'envoie un mot conçu à peu près en ces termes : « Le sieur T., ayant lu un libelle intitulé la Voltairomanie, dans lequel on avance qu'il désavoue M. de V., et dans lequel on trouve un tissu de calomnies atroces, est obligé de déclarer, sur son honneur, que tout ce qui y est avancé sur le compte de M. de V. et sur le sien est la plus punissable imposture; qu'il a été témoin oculaire de tout le contraire, pendant vingt-cinq ans, et qu'il rend ce témoignage à l'estime, à l'amitié et à la reconnaissance qu'il doit à..... Fait à .... THIERIOT. >>

S'il refuse cela, indigne de vivre; s'il le fait, je pardonne. Je vous prie de recommander à mon neveu1 de faire un bon procès-verbal, si faire se peut. Cela peut servir et ne peut me nuire; cela tient le crime en respect, prévient la riposte, finit tout.

Ah! ma tragédie, ma tragédie! quand te commencerai-je? Pardon de tant de misères, mais il y va du bonheur de ma vie, et d'une vie qui vous est dévouée. Mon ange, eripe me a fæce, je n'ai recours qu'à vous.

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Mon cher abbé, je reçois votre lettre du 21, et celle du 23 au 24.

Grand merci, grand merci; mais le point principal sera de commencer le procès criminel. Il serait bon que le chevalier de Mouhy se chargeât de le poursuivre en son nom, comme pour son ami, si cela se peut. Mais si les lois s'y opposent, ce que je ne crois pas, voici une procuration que je vous envoie.

Vous la donnerez à quelque bon praticien, qui agira en mon

1. Mignot, conseiller correcteur à la chambre des comptes depuis 1737, et mort en juin 1740.

2. Édition Courtat.

nom, s'il ne peut agir au nom du chevalier de Mouhy; mais ce praticien ne doit jamais agir qu'au préalable vous n'ayez vu brûler tous les papiers que le chevalier de Mouhy conserve, et qui pourraient me nuire, comme mon premier mémoire justificatif dont je ne suis pas content, et l'original du Préservatif, où il avait mis des choses très-fortes, dont je suis encore plus mécontent. Il faut surtout qu'il m'écrive une lettre ostensible, par laquelle il demeure indubitable que je n'ai aucune part au Préservatif, et, dès qu'il vous dira qu'il m'a écrit cette lettre, et que le tout sera brûlé, le praticien commencera la procédure.

J'ai reçu les deux mémoires. Ne m'en envoyez plus, mais brûlez-les, car je garde copie de tout.

Promettez de l'argent au chevalier, mais qu'il ne se presse point, et qu'il ne mette point de montre en gage. On n'a rien commencé; il n'a rien eu à débourser; il a gagné au Préservatif, dont il est l'auteur en partie; il a eu cinquante livres ; il en aura encore, mais patience; il n'y a point eu de feuille tirée, et l'imprimeur devrait rendre l'argent; mais il n'en a pas reçu. Ne montrez point mes lettres au chevalier, mais assurez-le qu'il est impossible qu'il ait déboursé un sou, puisque le contre-ordre vint en même temps que le manuscrit; et, quand on aurait commencé, la journée d'un ouvrier vaut un écu, et non pas cent cinquante livres. Si on agit au nom du chevalier de Mouhy dans le procès, que ce ne soit pas lui qui fasse les démarches: j'aimerais mieux ne rien entreprendre. Il faut un homme du palais.

Dites au petit d'Arnaud que j'écrirai pour lui à M. Helvétius. Il faut, je vous en supplie, demander si les libelles achetés l'ont été devant témoins. Je crois qu'il faut d'abord rendre plainte contre les distributeurs et vendeurs, et leur intenter procès, afin qu'ils nomment l'auteur. Je crois qu'outre cette démarche nécessaire on peut encore très-bien rendre plainte contre l'abbé Desfontaines, comme ayant un intérêt personnel au libelle, comme ayant nécessairement fourni des anecdotes qui ne pouvaient être sues que de lui, telles que des lettres à lui écrites, sa généalogie, son alliance avec Mme de Louraille 1, ses défenses littéraires, enfin comme ayant déjà subi en 1736 une condamnation pour un libelle de cette espèce à la chambre de l'Arsenal, et surtout comme atteint de celui-ci par la notoriété publique. Il faudra faire lever les procès-verbaux de ses écrous au Châtelet en 1724

1. Cousine de l'abbé Desfontaines, si on l'en croit. Voyez le Voltairiana, deuxième édition, page 36.

ou 1725, à Bicêtre, et le commencement du procès criminel chez M. Rossignol, si faire se peut. L'abbé ne sera pas longtemps protégé par monsieur le duc, mais écrivez toujours qu'on ne peut rien faire sans ma présence, et recommandez à Demoulin de m'écrire de même, et cela de la manière la plus forte.

Je vous prie d'envoyer sur-le-champ cette lettre à M. d'Argental avec un des libelles, le tout cacheté.

Je vous embrasse bien tendrement.

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J'ai oublié, mon cher ami, dans ma lettre du 26, de vous faire souvenir qu'étant à Paris en 1736, je vous montrai, aussi bien qu'à plusieurs personnes, un écrit où la lettre sur Bicêtre, la lettre de M. Pracontal sur la bataille de Spire, etc., se trouvaient; l'abbé d'Olivet porta même cet écrit à Desfontaines, pour l'exciter à repentance. Cet écrit courut; il a servi en dernier lieu à fabriquer le Préservatif. Souvenez-vous de cet écrit encore une fois, car je vous citerai vous et l'abbé d'Olivet, et tous ceux qui l'ont vu. Au nom de Dieu, ayez de la mémoire ! Vous avez oublié l'Apologie de V. Ce libelle à vous montré, ce libelle dont il s'est débité quelques exemplaires, ce libelle cité par Desfontaines même dans son Dictionnaire néologique, où vous êtes si joliment traité, enfin Vous vous en êtes souvenu. Je demande à votre amitié de la mémoire et de la vivacité. J'ai Desfontaines en tête. Je ne quitterai pas Cirey pour lui; mais je le punirai sans bouger. Si vous avez un cœur, remuez-vous. J'ai envoyé une espèce d'apologie à M. d'Argenson; vous pouvez engager M. de Moncrif à vous la montrer. Il y a du littéraire; mais j'ai voulu faire un ouvrage pour la postérité, non un simple factum. Soyez la dixième partie aussi vif pour moi que vous l'avez été pour Mlle Sallé, qui vous aimait dix fois moins que moi. Ne vous adressez qu'à Moncrif.

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2. Les Lettres sur les Anglais avaient valu cent louis à Thieriot; voyez la lettre 358.

3. Voltaire répondit à cette lettre le 26 février suivant.

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