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il a introduit dans la médecine: 1o l'observation pure et simple, autant que cela était possible; 2o par l'analyse des phénomènes, il a introduit leur vraie subordination des caractères, en insistant sur leur degré d'importance, leurs rapports primitifs et successifs indiqués par ces phénomènes mêmes; 3o le groupement et la classification naturelle des maladies, classification fondée non plus seulement sur la région affectée, ni même sur les parties ou organes, mais bien mieux, sur les éléments anatomiques de ces organes, les membranes et les tissus; 4° de là il était conduit à l'essai d'une nomenclature en rapport avec l'observation des phénomènes et avec leur classification: y a-t-il réussi? Nous n'avons pas à le juger sous ce rapport; 5° enfin, comme conséquence de cette direction, il était conduit, suivant la méthode de Stahl, à la médecine expectante d'abord, et thérapeutique rationnelle ensuite, sans négliger totalement l'empirisme.

Voilà ce que Pinel a fait et ce qu'il s'agit de démontrer. Nous verrons tout d'abord que cette marche vient du génie de Pinel, auquel les circonstances sont toujours opposées.

IL Éléments et extrait de la biographie de Pinel.

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Les éléments de sa biographie se trouvent: 1o dans les préfaces de ses ouvrages et dans ses mémoires;

2o Dans son éloge, prononcé par M. Pariset, secrétaire de l'Académie de médecine, t. I, p. 189-223; 1828;

3o Dans le rapport sur l'inauguration du buste de Pinel, par M. Esquirol, son élève, p. 226-231, ibid.

Biographie. Philippe Pinel naquit le 11 avril 1745, à Saint-André d'Alaysac, village peu distant de la ville de Castres, département du Tarn. Ses parents étaient dans

une position de fortune très-médiocre, et leur famille était nombreuse; il ne put donc en recevoir que fort peu de secours. Son père était médecin et chirurgien de village; sa mère était une femme fort pieuse. La première direction de Pinel fut vers l'état ecclésiastique. Il fit ses premières études au collége de Lavaur, et se rendit ensuite à Toulouse pour y étudier la philosophie et la théologie. Il eut l'avantage de tomber entre les mains d'un maître qui connaissait les mathématiques, et qui lui en donna le goût. Mais n'ayant pas de vocation pour l'état ecclésiastique, il abandonna l'Université, et dirigea ses études vers la médecine. Pour suffire à ses besoins et aux frais de ses études, il fut obligé de donner des leçons particulières de mathématiques. Il se livra à la poésie avec assez de succès pour concourir aux jeux floraux et y être couronné. Il prit successivement tous ses degrés en médecine à ses frais, et il fut reçu docteur à vingtneuf ans, le 22 décembre 1773. Ce succès fut le fruit d'un travail opiniâtre. Il enseignait les mathématiques le jour pour gagner sa vie, et la nuit il étudiait la médecine. Cette position, jointe à l'étude des langues grecque, latine, anglaise et italienne, qu'il connaissait parfaitement, avait un peu retardé sa carrière médicale. Avant de passer sa thèse, il avait aussi suppléé un des professeurs de l'école.

Ayant perdu son père, étant sans fortune, vivant difficilement et pauvrement du produit de ses leçons, il quitta Toulouse, en 1775, pour se rendre à Montpellier. L'école de Montpellier, illustrée par un grand nombre de savants professeurs, était à l'époque de toute sa gloire, et d'autant plus célèbre, que celle de Paris était tombée dans une sorte d'oubli. Pinel s'y rendit dans l'espérance de trouver quelques ressources, et aussi

dans le but de perfectionner ses études. Il accepta de faire l'éducation du fils de M. Benezech, et, grâce à ses secours, Pinel, au-dessus du besoin, put se fortifier de plus en plus dans l'étude des langues anciennes et modernes. C'était dans ce but que, tout en utilisant ses loisirs, il composait des thèses pour les jeunes gens qui aspiraient aux degrés de la Faculté de médecine. Ces thèses, remarquables par l'élégance et la sagesse de leur rédaction, roulaient essentiellement sur l'hygiène.

Quelque temps après, il se lia d'une étroite amitié avec le fils d'un médecin de cette ville, M. le comte Chaptal, devenu depuis pair de France. Il se livra avec ce jeune homme, dans l'intention de calmer la fougue de son imagination, à l'étude de la philosophie, en lisant et commentant ensemble Hippocrate, Plutarque et Montaigne.

Puis, par suite même de ses connaissances en mathématiques, Pinel se trouva tout naturellement conduit à s'occuper de mécanique animale, et à étendre l'ouvrage de Borelli à l'homme. Il communiqua la première partie de son travail à l'Académie des sciences de Montpellier, et rédigea la seconde dans l'intention de l'adresser à l'Académie de Paris. Il devait publier une nouvelle édition de cet ouvrage de Borelli, avec des commentaires; mais il ne nous en est venu que quelques mémoires.

En 1778, il se rendit à Paris, avec un Anglais qui étudiait la médecine. Il fut recommandé à un professeur de calcul intégral au collège de France, M. Cousin, qui lui procura des leçons de mathématiques, afin de l'aider à vivre.

Il fit connaissance et se lia d'intimité avec M. Desfontaines, puis avec M. Roussel, avec Cabanis, et entra

aussi dans la société de madame Helvétius. Mais alors il était difficile d'aller plus loin: il n'appartenait point à la Faculté de Paris; il n'était pas éloquent, et avait beaucoup de timidité.

En 1784, il concourut pour une place de professeur régent dans la Faculté de médecine de Paris, mais sans succès. On dit qu'il avait déjà concouru trois fois auparavant.

Lemonnier, premier médecin du roi, chercha, à la recommandation de son ami Desfontaines, à placer Pinel comme médecin dans la maison de Mesdames, tantes de Louis XVI; mais, lorsqu'il se présenta, sa timidité le rendit muet. Les princesses prirent une fausse idée de son talent, et il fut obligé de renoncer encore à obtenir ce poste honorable. Ces échecs le forcèrent de se livrer à la rédaction des journaux ; et il ne laissa pas d'y acquérir une certaine force, en s'habituant à présenter rapidement les sujets divers. Il écrivit dans le Journal de Paris, et rédigea la Gazette de Santé avec succès pendant plusieurs années.

En 1789, il publia la traduction de l'abrégé des Transactions philosophiques de Londres, sur la chimie, l'anatomie et la physiologie, la médecine et la chirurgie, la matière médicale et la pharmacie, auxquelles il ajouta des notes.

En 1786, il avait publié, dans le journal de Physique, la description d'un enfant hermaphrodite.

Il fit un mémoire sur un cerveau pétrifié, dont Baron avait parlé à l'Académie des sciences en 1753, et qui fut remis à Pinel. Continuant ses études sur la mécanique animale, il traita des luxations dans deux mémoires lus à l'Académie. C'est à lui qu'est dû le rapport du condyle de la mâchoire inférieure avec l'estomac. Dans le

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même travail, il donne l'articulation de la mâchoire inférieure chez les mammifères, comme moyen de classification. Il a encore fait un mémoire sur les phalanges onguéales et la rétractilité des ongles des carnassiers, et un autre sur la tête de l'éléphant.

Il continua d'étudier la botanique avec Desfontaines, et la chimie avec Fourcroy, en même temps qu'il travaillait pour l'Encyclopédie méthodique.

Il traduisit Cullen de l'anglais, et donna une édition de Baglivi, avec des notes et une introduction très-remarquable. Il suivait toujours les hôpitaux, mais sans chercher la clientèle; ses travaux multipliés suffisaient à peine pour le mettre au-dessus du besoin, et l'on dit que le sentiment de sa position lui inspirait des accès de mélancolie. Cependant, en 1791, la Société royale de médecine ayant proposé un prix : Sur les moyens les plus efficaces de traiter les maladies des aliénés, Pinel concourut, et obtint le prix. Le médecin Thouret, administrateur des hospices, était un des juges du concours; il reconnut le talent de Pinel, et ce fut là le commencement de l'élévation de celui-ci.

Dans le même temps, en 1792, il fit des cours d'anatomie comparée, dans le lieu des séances de la Société d'histoire naturelle, pour servir de suite au cours de zoologie systématique qu'y avait fait Millin.

C'est à cette époque qu'à l'âge de cinquante ans, Pinel fut appelé, par la force des choses, aux hôpitaux, dont on entreprit alors l'heureuse amélioration. Il avait déjà contribué à l'érection d'une maison d'aliénés, et y avait soigné une personne chère. Il fut naturellement porté à la place de médecin des aliénés de Bicêtre, sur la présentation de Cousin, Thouret et Cabanis, administrateurs des hôpitaux. Sous sa direc-·

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