Page images
PDF
EPUB

LES

MANUSCRITS

DE

PHILIPPE LE GEYT, ECUYER,

LIEUTENANT-BAILLI

DE

L'ILE DE JERSEY,

SUR LA

CONSTITUTION, LES LOIS, ET LES USAGES

DE CETTE ILE.

TOME I.

JERSEY:

IMPRIMÉ ET PUBLIÉ SOUS L'AUTORITÉ DES ÉTATS,

PAR PHILIPPE FALLE, LIBRAIRE,

PLACE ROYALE, ST.-HÉLIER.

1846.

[merged small][ocr errors]

NOTICE

SUR LA VIE ET LES ÉCRITS

DE

MONS. LE GEYT,

PAR

ROBERT PIPON MARETT, ECR.,

AVOCAT DU BARREAU DE JERSEY.

In Israel's Courts ne'er sat an Abethdin
With more discerning eyes or hands more clean.

DRYDEN.

Une difficulté nous arrête, voulant écrire la vie du LieutenantBailli Le Geyt; c'est la rareté des matériaux. Eloignés comme nous le sommes de plus de cent trente ans de l'époque de sa mort, nous ne pouvons plus interroger les souvenirs de ses contemporains pour apprendre quels furent ses mérites et ses défauts, ses goûts, ses mœurs, les points saillans de son caractère. A travers un tel espace de temps, la voix même de la tradition n'arrive plus jusqu'à nous, et le peu de documens par écrit qui nous restent, ne nous dédommagent que faiblement de son silence. Il est vrai que M. Sorsoleil, qui était Recteur de St.-Laurens au temps du décès de Mons. Le Geyt, nous a écrit son éloge, et que cette pièce existe encore; mais elle est loin de satisfaire notre curiosité, ou de donner tous les renseignemens dont nous aurions besoin. L'auteur ne fait que glisser sur les principaux événemens de la vie de Mons. Le Geyt,-il en oublie même quelques uns,-il parle à peine de son éducation, et ne donne aucun détail des habitudes et des dispositions de sa jeunesse ; mais, en revanche, il est prodigue de louanges. A l'en

tendre, son héros n'aurait été qu'un modèle d'excellence,-pas une tache n'aurait ternila splendeur de son caractère. Encore ne distingue-t-il pas entre ses vertus mêmes, et, après l'avoir lu, nous ne savons point laquelle, parmi toutes les bonnes qualités qu'il lui attribue, était la plus éminente ou la moins remarquable. En un mot, cet ouvrage ressemble à un tableau qui, de loin, peut sembler un portrait, mais qui ne présente, lorsqu'on l'examine de plus près, qu'un amas de couleurs sans ombres et sans nuances. Il faut dire néanmoins que cette exagération s'explique aisément. Mons. Sorsoleil était lié d'amitié avee Mons. Le Geyt, et l'on sait que c'est le propre de ce sentiment de ne voir que des perfections dans l'objet aimé ; et puis il écrivit cet opuscule quelques mois seulement après la mort de son ami,-dans un moment où son admiration était nécessairement exaltée de toute la profondeur de ses regrets. Il était donc fort naturel qu'il y eût quelque excès dans son panégyrique, et tout en le faisant remarquer, ainsi que les autres défauts de son ouvrage, notre intention n'a pas été de l'en blâmer trop sévèrement, mais seulement de montrer que nous n'en avons pas reçu toute l'aide à laquelle nous aurions pu nous attendre, soit pour éclaircir les faits, soit pour former une juste appréciation du caractère de M. Le Geyt. Ce que nous lui devons, nous le reconnaîtrons sans peine. Il nous a été utile en nous donnant des indications qui nous ont servi de guides dans nos recherches, et en nous fournissant quelques particularités intéressantes de la vie privée de M. Le Geyt, et une ou deux anecdotes que nous avons soigneusement conservées, les regardant comme les matériaux les plus précieux pour le biographe: "Car souvent," comme l'a dit Plutarque, un fait sans importance, un mot échappé par hasard,—une plaisanterie,-font mieux connaître le caractère véritable d'un homme que l'action la plus éclatante de sa vie." Tout ce que nous regrettons c'est qu'il n'ait pas profité de l'occasion de nous en rapporter un plus grand nombre, et qu'il ait voulu être si laconique à tant d'autres égards; et cela d'autant plus que ses omissions sont maintenant presque irripables, quoique nous ayions fait tous les efforts possibles pour y suppléer. Nous avons parcouru attentivement les ouvrages mêmes de Mons. Le Geyt, et nous y avons glané quelques faits épars; nous avons aussi examiné un petit recueil de ses lettres particulières, mais elles ne commencent malheureusement qu'en 1716, et ne contiennent rien de bien important; nous avons compulsé les Livres des Etats et les Rôles de la Cour Royale; nous avons feuilleté les Registres de sa paroisse, et

[ocr errors]

In vitá Alexandri,

fouillé partout où nous avons cru devoir trouver la moindre information. Enfin, nous avons fait tout en notre pouvoir pour mériter le titre, sinon d'habile écrivain, au moins de fidèle biographe.

Philippe Le Geyt nâquit dans la paroisse de St.-Hélier, et fut présenté pour être baptisé dans le Temple, par Elie Dumaresq, Seigneur de Vinchelez-de-bas, Mr. Abraham Hérault et Mse. Marie de Soullemont, femme de ce dernier, le vingt-sixième d'Avril, 1635. Cette circonstance explique, peut-être, pourquoi Mons. Le Geyt a si peu parlé, dans ses ouvrages, des dissensions qui arrivèrent dans cette Ile, à l'époque de la Grande Rebellion, et l'espèce de réserve qu'il fait paraître chaque fois que son sujet l'oblige à faire allusion aux événemens de ce temps-là, et aux hommes qui y prirent part; quoique vivant au milieu d'eux, il devait bien les connaître, et que ce fût une matière de beaucoup d'intérêt. Lorsque la guerre civile éclata en Angleterre, Abraham Hérault, Henri Dumaresq, son gendre, et Michel Lemprière, se déclarèrent pour le Parlement, et cherchèrent par tous les moyens à établir son autorité dans cette Ile. Il est difficile maintenant de découvrir quels furent les motifs qui leur inspirèrent une telle démarche. Peut-être l'ambition et le désir de supplanter la famille De Carteret, dont l'influence toute puissante y formait un obstacle insurmontable, y furent-ils pour quelque chose; peut-être aussi que quelques restes d'attachement au Presbytérianisme, qui n'avait cessé que peu d'années auparavant d'être la religion dominante du pays, contribuèrent à les faire se jeter dans le parti qu'ils prirent; car il ne faut pas oublier que ces malheureux différends qui divisèrent si longtemps l'Angleterre, et firent répandre tant de sang, durent leur origine autant pour le moins à des causes religieuses qu'à des questions politiques. Quoiqu'il en soit, à Jersey, la fortune se pencha tout d'abord du côté du Parlement; un LieutenantGouverneur y fut envoyé de la part de cette Assemblée, et Michel Lemprière fut appointé Bailli; mais après avoir joui à peine trois mois de cette charge, l'arrivée inattendue du Capitaine George De Carteret l'obligea, ainsi que ses deux amis, à chercher son salut dans une fuite précipitée. Durant près de huit ans, ils errèrent tous trois exilés de leur patrie, mais enfin l'Ile ayant été rendue au Parlement, ils y purent revenir en 1651. Michel Lemprière fut de nouveau rétabli Bailli, et y continua sous les deux Cromwell, jusqu'à ce que la restauration de Charles II vint le chasser encore une fois de son poste. Abraham Hérault et Henri Dumaresq reprirent en même temps leurs places sur le banc des Jurés, mais plus fortunés que leur collègue, la mort seule les

« PreviousContinue »