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SUR CETTE NOUVELLE ÉDITION.

LA traduction des Caractères de Théophraste, par la Bruyère, s'éloigne un peu trop souvent de la précision de l'original; et la fidélité, devoir si indispensable à un traducteur, n'est pas toujours observée. Les traductions de d'Ablancourt avoient gâté le goût, et la Bruyère a quelquefois sacrifié à la mode qui régnoit alors, de ne donner qu'une esquisse au lieu du portrait de l'auteur que l'on vouloit faire connoître. Nous avons tâché de suppléer à ce défaut d'exactitude par quelques remarques; bien éloignés cependant de vouloir nous ériger en critiques d'un homme du mérite de la Bruyère, nous n'avons eu que l'intention de satisfaire le goût d'un plus grand nombre de lecteurs. Cette édition aura encore, pardessus toutes les autres, l'avantage d'être augmentée de deux Chapitres qui ont été trouvés, il y a quelques années, dans un manuscrit de

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la bibliothèque du Vatican, et qui paroissent pour la première fois sous le titre des Chapitres XXIX et XXX. On a ajouté le texte grec de ces deux Chapitres pour toutes les éditions originales.

SUR

THEOPHRAST E.

JE

E n'estime pas que l'homme soit capable de former dans son esprit un projet plus vain et plus chimérique, que de prétendre, en écrivant de quelque art ou de quelque science que ce soit, échapper à toute sorte de critique, et enlever les suffrages de tous ses lecteurs.

Car, sans m'étendre sur la différence des esprits des hommes, aussi prodigieuse en eux que celle de leurs visages, qui fait goûter aux uns les choses de spéculation, et aux autres celles de pratique; qui fait que quelques-uns cherchent dans les livres à exercer leur imagination, quelques autres à former leur jugement; qu'entre ceux qui lisent, ceux-ci aiment à être forcés par la démonstration, et ceux-là veulent entendre délicatement, ou former des raisonnemens

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et des conjectures; je me renferme seulement dans cette science qui décrit les mœurs, qui examine les hommes, et qui développe leurs caractères; et j'ose dire que sur les ouvrages qui traitent de choses qui les touchent de si près, et où il ne s'agit que d'eux-mêmes, ils sont encore extrêmement difficiles à contenter.

les

apo

Quelques savans ne goûtent que les phthegmes des anciens, et les exemples tirés des Romains, des Grecs, des Perses, des Egyptiens; l'histoire du monde présent leur est insipide: ils ne sont point touchés des hommes qui les environnent, et avec qui ils vivent, et ne font nulle attention à leurs mœurs. Les femmes, au contraire, gens de la cour, et tous ceux qui n'ont que beaucoup d'esprit sans érudition, indifférens pour toutes les choses qui les ont précédés, sont avides de celles qui se passent à leurs yeux, et qui sont comme sous leur main ils les examinent, ils les discernent, ils ne perdent pas de vue les personnes qui les entourent, si charmés des descriptions et des peintures que l'on fait de leurs

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