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sa maison. Il ne donne point de servantes à sa femme, content de lui en louer quelques-unes pour l'accompagner à la ville toutes les fois qu'elle sort. Enfin, ne pensez pas que ce soit un autre que lui qui balie le matin sa chambre, qui fasse son lit et le nettoie. Il faut ajouter qu'il porte un manteau usé, sale et tout couvert de taches; qu'en ayant honte lui-même, il le retourne quand il est obligé d'aller tenir sa place dans quelque assemblée.

CHAPITRE XXIII.

De l'ostentation.

JE n'estime pas que l'on puisse donner

une idée plus juste de l'ostentation, qu'en disant que c'est dans l'homme une passion de faire montre d'un bien ou des avan-· tages qu'il n'a pas. Celui en qui elle domine s'arrête dans l'endroit du Pyrée (*) où les marchands étalent, où se trouve un plus grand nombre d'étrangers; il entre en matière avec eux, il leur dit qu'il a beaucoup d'argent sur la mer, il discourt avec eux des avantages de ce commerce, des gains immenses qu'il y a à espérer pour ceux qui y entrent, et de ceux sur-tout que lui qui leur parle y a faits. Il aborde dans un voyage le premier qu'il trouve sur son chemin, lui fait compagnie, et lui dit bientôt qu'il a servi sous Alexandre, quels beaux vases et tout enrichis de pierreries il a rapportés de l'Asie, quels excellens ouvriers

(*) Fort à Athènes fort célèbre.

s'y rencontrent, et combien ceux de l'Europe leur sont inférieurs (1). Il se vante dans une autre occasion d'une lettre qu'il a reçue d'Antipater (2), qui apprend que lui troisième est entré dans la Macédoine.

Il dit une autre fois que bien que les magistrats lui aient permis tels transports (3) de bois qu'il lui plairoit sans payer de tribut; pour éviter néanmoins l'envie du peuple, il n'a point voulu user de ce privilége. Il ajoute que pendant une grande cherté de vivres, il a distribué aux pauvres citoyens d'Athènes jusques à la somme de cinq talens (4) et s'il parle à des gens qu'il ne connoît point, et dont il n'est pas mieux

(1) C'étoit contre l'opinion commune de toute la Grèce. (2) L'un des capitaines d'Alexandre-le-Grand, et dont la famille régna quelque tems dans la Macédoine.

(3) Parce que les pins, les sapins, les cyprès, et tout autre bois propre à construire des vaisseaux étoient rares dans le pays attique, l'on n'en permettoit le transport en d'autres pays, qu'en payant un fort gros tribut.

(4) Un talent attique dont il s'agit, valoit soixante mines attiques; une mine cent dragmes; une dragme six oboles. Le talent attique valoit 5000 livres de notre monnoie actuelle.

connu, il leur fait prendre des jettons, compter le nombre de ceux à qui il a fait ces largesses; et quoiqu'il monte à plus de six cens personnes, il leur donne à tous des noms convenables; et après avoir supputé les sommes particulières qu'il a données à chacun d'eux, il se trouve qu'il en résulte le double de ce qu'il pensoit, et que dix talens y sont employés, sans compter, poursuit-il, les galères que j'ai armées à mes dépens, et les charges publiques que j'ai exercées à mes frais et sans récompense. Cet homme fastueux va chez un fameux marchand de chevaux, fait sortir de l'écurie les plus beaux et les meilleurs, fait ses offres, comme s'il vouloit les acheter. De même il visite les foires les plus célèbres, entre sous les tentes des marchands, se fait déployer une riche robe, et qui vaut jusqu'à deux talens, et il sort en querellant son valet de ce qu'il ose le suivre sans porter (*) de l'or sur lui pour les besoins où l'on se trouve. Enfin, s'il habite une maison dont

(*) Coutume des anciens.

il paye le loyer, il dit hardiment à quel qu'un qui l'ignore, que c'est une maison de famille, et qu'il a héritée de son père; mais qu'il veut s'en défaire, seulement parce qu'elle est trop petite pour le grand nombre d'étrangers qu'il retire (*) chez lui,

(*) Par droit d'hospitalité.

CHAPITRE

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