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CHAPITRE X X I.

LA

De la sotte vanité.

sotte vanité semble être une passion inquiète de se faire valoir par les plus petites choses, ou de chercher dans les sujets les plus frivoles du nom et de la distinction. Ainsi un homme vain, s'il se trouve à un repas, affecte toujours de s'asseoir proche de celui qui l'a convié : il consacre à Apollon la chevelure d'un fils qui lui vient de naître; et dès qu'il est parvenu à l'âge de puberté, il le conduit lui-même à Delphes, il lui coupe (*) les cheveux, et les dépose dans le temple comme un monument d'un vœu solemnel qu'il a accompli. Il aime à se faire suivre par un more. S'il fait un paiement, il affecte que ce soit dans une

(*) Le peuple d'Athènes ou les personnes plus modestes se contentoient d'assembler leurs parens, de couper en leur présence les cheveux de leur fils parvenu à l'âge de puberté, et de les consacrer ensuite à Hercule, ou à quelque autre divinité qui avoit un temple dans la ville.

monnoie toute neuve, et qui ne vienne que d'être frappée. Après qu'il a immolé un bœuf devant quelque autel, il se fait réserver la peau du front de cet animal, il l'orne de rubans et de fleurs, et l'attache à l'endroit de sa maison le plus exposé à la vue de ceux qui passent, afin que personne du peuple n'ignore qu'il a sacrifié un bœuf, Une autre fois, au retour d'une cavalcade qu'il aura faite avec d'autres citoyens, il renvoie chez soi par un valet tout son équipage, et ne garde qu'une riche robe dont il est habillé, et qu'il traîne le reste du jour dans la place publique. S'il lui meurt un petit chien, il l'enterre, lui dresse une épitaphe avec ces mots : Il étoit de race de Malte (1). Il consacre (2) un anneau à

(1) Cette île portoit de petits chiens fort estimés. (2) Suivant cette traduction, c'est l'anneau consacré à Esculape, qu'on use à force d'y pendre des couronnes; et si nous en croyons M. Needham, on n'use pas l'anneau, mais la statue d'Esculape. Les paroles de l'original admettent également ces deux explications; et je ne vois pas qu'on ait droit d'en rejetter une absolument, à moins qu'on ne puisse établir l'autre sur de bonnes preuves; ce que personne n'a fait encore, si je ne me trompe,

Esculape, qu'il use à force d'y pendre des couronnes de fleurs. Il se parfume tous les jours. Il remplit avec un grand faste tout le tems de sa magistrature (*); et sortant de charge, il rend compte au peuple avec ostentation des sacrifices qu'il a faits, comme du nombre et de la qualité des victimes qu'il a immolées. Alors, revêtu d'une robe blanche et couronné de fleurs, il paroît dans l'assemblée du peuple: Nous pouvons, dit-il, vous assurer, ô Athéniens, que pendant le tems de notre gouvernement nous avons sacrifié à Cybèle, et que nous lui avons rendu des honneurs tels que les mérite de nous la mère des dieux: espérez donc toutes choses heureuses de cette déesse. Après avoir parlé ainsi, il se retire dans sa maison, où il fait un long récit à sa femme de la manière dont tout lui a réussi au-delà même de ses · souhaits.

(*) Celle des Prytanes, suivant le texte,

CHAPITRE XXII.

De l'avarice.

CE vice est dans l'homme un oubli de l'honneur et de la gloire, quand il s'agit d'éviter la moindre dépense. Si un homme a remporté le prix de la (1) tragédie, il consacre à Bacchus des guirlandes ou des bandelettes faites d'écorce de bois, et il fait graver son nom sur un présent si magnifique. Quelquefois, dans les tems difficiles, le peuple est obligé de s'assembler pour régler une contribution capable de subvenir aux besoins de la république; alors il se lève et garde le silence (2), ou le plus souvent il fend la presse et se retire. Lorsqu'il marie sa fille, et qu'il sacrifie, selon la coutume, il n'abandonne de la victime que les parties (3)

(1) Qu'il a faite ou récitée.

(2) Ceux qui vouloient donner, se levoient et offroient une somme; ceux qui ne vouloient rien donner, se le voient et se taisoient.

(3) C'étoient les cuisses et les intestins.

seules qui doivent être brûlées sur l'autel il réserve les autres pour les vendre; et comme il manque de domestiques pour servir à table et être chargés du soin des noces, il loue des gens pour tout le tems de la fête, qui se nourrissent à leurs dépens, et à qui il donne une certaine somme. S'il est capitaine de galère, voulant ménager son lit, il se contente de coucher indifféremment avec les autres sur de la natte qu'il emprunte de son pilote. Vous verrez une autre fois cet homme sordide acheter en plein marché des viandes cuites, toutes sortes d'herbes, et les porter hardiment dans son sein et sous sa robe: s'il l'a un jour envoyée chez le teinturier pour la détacher comme il n'en a pas une seconde pour sortir, il est obligé de garder la chambre. Il sait éviter dans la place la rencontre d'un pauvre qui pourroit lui demander (*), comme aux autres, quelque secours, il se détourne de lui, il reprend le chemin de

ami

(*) Par forme de contribution. Voyez le Chap. premier, de la dissimulation, et le XVII, de l'esprit chagrin.

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