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CHAPITRE XI X.

D'un vilain homme.

CE caractère suppose toujours dans un homme une extrême malpropreté, et une négligence pour sa personne qui passe dans l'excès et qui blesse ceux qui s'en apperçoivent. Vous le verrez quelquefois tour couvert de lèpre, avec des ongles longs et mal propres, ne pas laisser de se mêler parmi le monde, et croire en être quitte pour dire que c'est une maladie de famille, et que son père et son aïeul y étoient sujets. Il a aux jambes des ulcères. On lui voit aux mains des poireaux et d'autres saletés, qu'il néglige de faire guérir; ou s'il pense à y remédier, c'est lorsque le mal, aigri par le tems, est devenu incurable. Il est hérissé de poil sous les aisselles et par tout le corps, comme une bête fauve : il a les dents noires, rongées et telles que son abord ne se peut souffrir. Ce n'est pas tout, il

crache ou il se mouche en mangeant, il parle la bouche pleine, fait en buvant des choses contre la bienséance. Il ne se sert jamais au bain que d'une huile qui sent mauvais, et ne paroît guère dans une assemblée publique qu'avec une vieille robe et toute tachée. S'il est obligé d'accompagner sa mère chez les devins, il n'ouvre la bouche que pour dire des choses de mauvais augure (1). Une autre fois, dans le temple et en faisant des libations (2), il lui échappera des mains une coupe ou quelque autre vase; et il rira ensuite de cette aventure comme s'il avoit fait quelque chose de merveilleux. Un homme si extraordinaire ne sait point écouter un concert ou d'excellens joueurs de flûtes; il bat des mains avec violence comme pour leur applaudir, ou bien il suit d'une voix désagréable le même

(1) Les anciens avoient un grand égard pour les pa roles qui étoient proférées, même par hasard, par ceux qui venoient consulter les devins et les augures, prier ou sacrifier dans les temples.

(2) Cérémonies où l'on répandoit du vin ou du lait dans les sacrifices.

air qu'ils jouent il s'ennuie de la symphonie, et demande si elle ne doit pas bientôt finir. Enfin si, étant assis à table, il veut cracher, c'est justement sur celui qui est derrière lui pour lui donner à boire.

CHAPITRE X X.

D'un homme incommode.

CE qu'on appelle un fâcheux, est celui qui, sans faire à quelqu'un un fort grand tort, ne laisse pas de l'embarrasser beaucoup; qui, entrant dans la chambre de son ami qui commence à s'endormir, le réveille pour l'entretenir de vains discours; qui, se trouvant sur le bord de la mer, sur le point qu'un homme est prêt de partir et de monter dans son vaisseau, l'arrête sans nul besoin, l'engage insensiblement à se promener avec lui sur le rivage; qui, arrachant un petit enfant du sein de sa nourrice pendant qu'il tette, lui fait avaler quelque chose qu'il a mâché, bat des mains devant lui, le caresse, et lui parle d'une voix contrefaite; qui choisit le tems du repas, et que le potage est sur la table, pour dire qu'ayant pris médecine depuis deux jours, il est allé par haut et par bas, et qu'une bile noire et recuite étoit mêlée dans ses déjections;

qui, devant toute une assemblée, s'avise de demander à sa mère quel jour elle a accouché (1) de lui; qui, ne sachant que dire, apprend que l'eau de sa citerne est fraîche, qu'il croît dans son jardin de bons légumes, ou que sa maison est ouverte à tout le monde comme une hôtellerie; qui s'empresse de faire connoître à ses hôtes un parasite (2) qu'il a chez lui, qui l'invite à table à se mettre en bonne humeur et à réjouir la compagnie.

(1) Aujourd'hui l'usage veut est accouchée.

(2) Mot grec qui signifie celui qui ne mange que chez autrui.

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