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CHAPITRE XV I.

De la superstition.

LA A superstition semble n'être autre chose qu'une crainte mal réglée de la divinité. Un homme superstitieux, après avoir lavé ses mains, s'être purifié avec de l'eau (1) lustrale, sort du temple, et se promène une grande partie du jour avec une feuille de laurier dans sa bouche (2). S'il voit une belette, il s'arrête tout court, et il ne continue pas de marcher, que quelqu'un n'ait passé avant lui par le même endroit que cet animal a traversé, ou qu'il n'ait jetté (3)

(1) Une eau où l'on avoit éteint un tison ardent pris sur l'autel où l'on brûloit la victime: elle étoit dans une chaudière à la porte du temple: l'on s'en lavoit soi-même, ou l'on s'en faisoit laver par les prêtres.

(2) Les anciens regardoient le laurier comme un arbre sacré, qui mettoit à l'abri de tous les maléfices.

(3) La Bruyère semble avoir lu, avec Casaubon, SiαBaan, au lieu de Siañáßy. Duport, dans son commentaire, observe avec raison que l'on ne dit point en grec

lui-même trois petites pierres dans le che min, comme pour éloigner de lui ce mauvais présage. En quelque endroit de sa maison qu'il ait apperçu un serpent, il ne diffère pas d'y élever un autel (1) et dès qu'il remarque dans ies carrefours de ces pierres que la dévotion du peuple y a consacrées, il s'en approche, verse dessus toute l'huile de sa phiole, plie les genoux devant elles, et les adore. Si un rat lui a rongé un sac de farine, il court au devin (2), qui ne manque pas de lui enjoindre d'y faire mettre une pièce : mais bien loin d'être satisfait de sa réponse, effrayé d'une aventure si extraordinaire, il n'ose plus se servir de son sac et s'en défait. Son foible encore

διαβάλλειν λέδες, pour jetter des pierres, et que διαλάβη signifie ici il arrange, il dispose trois pierres. C'étoit une superstition des anciens de dresser, en manière d'autel, trois pierres dans un endroit dont ils vouloient détourner quelque malheur. D'ailleurs, le nombre trois a toujours passé dans les esprits superstitieux pour avoir des propriétés merveilleuses.

(1) Sans doute en l'honneur d'Esculape, qui apparoissoit souvent sous la forme d'un serpent.

(2) Le texte ajoute, pour lui demander ce qu'il faut faire,

est de purifier sans fin la maison qu'il habite, d'éviter de s'asseoir sur un tombeau, comme d'assister à des funérailles, ou d'entrer dans la chambre d'une femme qui est en couches : et lorsqu'il lui arrive d'avoir, pendant son sommeil, quelque vision, il va trouver les interprètes des songes, les devins et les augures, pour savoir d'eux à quel dieu ou à quelle déesse il doit sacrifier. Il est fort exact à visiter, sur la fin de chaque mois, les prêtres d'Orphée, pour se faire initier (1) dans ses mystères : il y mène sa femme, ou si elle s'en excuse par d'autres soins, il y fait conduire ses enfans par une nourrice. Lorsqu'il marche par là ville, il ne manque guère de se laver toute la tête avec l'eau des fontaines qui sont dans les places quelquefois il a recours à des prêtresses, qui le purifient d'une autre manière, en liant et étendant autour de son corps un petit chien, ou de la (2) squille. Enfin, s'il voit un homme (3) frappé (1) Instruire de ses mystères.

(2) Espèce d'oignon marin.

(3) Il y a dans l'original, s'il voit un homme hors du

d'épilepsie, saisi d'horreur, il crache dans son propre sein, comme pour rejetter le malheur de cette rencontre,

sens, ou frappé d' epilepsie, μαινόμενόν τε ἰδὼν ἢ ἐπίληπτου C'est une omission du traducteur, ou peut-être de l'imprimeur.

CHAPITRE XVII.

De l'esprit chagrin.

L'ESPRIT chagrin fait que l'on n'est ja mais content de personne, et que l'on fait aux autres mille plaintes sans fondement. Si quelqu'un fait un festin, et qu'il se souvienne d'envoyer (*) un plat à un homme de cette humeur, il ne reçoit de lui pour tout remercîment, que le reproche d'avoir été oublié. Je n'étois pas digne, dit cet esprit querelleux, de boire de son vin, ni de à sa table. Tout lui est suspect, jusques aux caresses que lui fait sa maîtresse Je doute fort, lui dit-il, que vous soyez sincère, et que toutes ces démonstrations d'amitié partent du cœur. Après une grande sécheresse venant à pleuvoir, comme il ne peut se plaindre de la pluie, il s'en prend au ciel de ce qu'elle n'a pas

manger

(*) Ç'a été la coutume des Juifs et d'autres peuples orientaux, des Grecs et des Romains.

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