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milieu du repas pour danser (*) un homme qui est de sang-froid, et qui n'a bu que modérément.

(*) Cela ne se faisoit chez les Grecs qu'après le repas, et lorsque les tables étoient enlevées.

CHAPITRE XIII,

De l'air empressé.

IL semble que le trop grand empressement est une recherche importune, ou une vaine affectation (1) de marquer aux autres de la bienveillance par ses paroles et par toute sa conduite. Les manières d'un homme empressé sont de prendre sur soi l'événement d'une affaire qui est au-dessus de ses forces, et dont il ne sauroit sortir avec honneur; et dans une chose que toute une assemblée juge raisonnable, et où il ne se trouve (2) pas la moindre difficulté, d'insister longtems sur une légère circonstance, pour être

(1) Cette traduction est un peu trop paraphrasée. Le texte dit, l'empressement pourroit parcître une affectation de bienveillance dans les discours et dans les actions. L'homme empressé se lève, et promet de faire ce qui n'est pas en son pouvoir. Il faut remarquer que prepía signifie plus qu'empressement. C'est une certaine curiosité qui fait qu'on se mêle de toutes les affaires, et le caractère d'un hommetrop officieux.

(2) Cela n'est pas dans le texte.

ensuite de l'avis des autres (1); de faire beaucoup plus apporter (2) de vin dans un repas qu'on n'en peut boire; d'entrer dans une querelle (3) où il se trouve présent, d'une manière à l'échauffer davantage. Rien n'est aussi plus ordinaire que de le voir s'offrir à servir de guide dans un chemin détourné qu'il ne connoît pas, et dont il ne peut ensuite trouver l'issue; venir vers son général, et lui demander quand il doit ranger son armée en bataille, quel jour il faudra combattre, et s'il n'a point d'ordres à lui donner pour le lendemain : une autre fois s'approcher de son père, ma mère, lui dit-il mystérieusement, vient de se coucher, et ne commence qu'à s'endormir;

(1) Je traduirois plutôt : Il insiste au point de trahit la bonté de sa cause. Tel est, je pense, le sens de έxeyXInval

(2) Le texte dit plus 11 oblige son valet à verser aux convives plus de vin qu'ils n'en peuvent boire.

(3) Le grec dit: Vouloir séparer des gens qui se battent et qu'il ne connoît pas. Entrer dans une querelle n'exprime pas assez διείργειν τις μαχομένος. D'ailleurs, ce que ha Bruyère ajoute, d'une manière à l'échauffer davantage, n'est pas dans Théophraste.

s'il

s'il entre enfin dans la chambre d'un malade à qui son médecin a défendu le vin, dire qu'on peut essayer s'il ne lui fera point de mal, et le soutenir doucement pour lui en faire prendre. S'il apprend qu'une femme soit morte dans la ville, il s'ingère de faire son épitaphe, il y fait graver son nom (1), celui de son mari, de son père, de sa mère, son pays, son origine, avec cet éloge: Ils avoient tous de la (2) vertu. S'il est quelquefois obligé de jurer devant des juges qui exigent son serment, ce n'est pas, dit-il en perçant la foule pour paroître à l'audience, la première fois que cela m'est arrivé.

(1) Entendez celui de la défunte. (2) Formule d'épitaphe.

E

CHAPITRE XIV.

De la stupidité.

LA stupidité est en nous une pesanteur d'esprit qui accompagne nos actions et nos discours. Un homme stupide ayant luimême calculé avec des jettons une certaine somme, demande à ceux qui le regardent faire à quoi elle se monte. S'il est obligé de paroître dans un jour prescrit devant ses juges pour se défendre dans un procès l'on lui fait, il l'oublie entiérement, et part pour la campagne (*). Il s'endort à un spectacle, et il ne se réveille que long-tems après qu'il est fini, et que le peuple s'est retiré. Après s'être rempli de viandes le soir, il se lève la nuit pour une indigestion, va dans la rue se soulager, où il est mordu d'un chien du voisinage. Il cherche ce qu'on vient de lui donner, et

que

(*) Cette particularité tient moins à la stupidité qu'à la distraction. On a vu beaucoup de gens d'esprit avoir de pareils oublis.

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