Page images
PDF
EPUB

le voit, tantôt pour s'exercer au javelot, le lancer tout un jour contre l'homme (*) de bois, tantôt tirer de l'arc, et disputer avec son valet lequel des deux donnera mieux dans un blanc avec des flèches; vouloir d'abord apprendre de lui, se mettre ensuite à l'instruire et à le corriger, comme s'il étoit le plus habile. Enfin, se voyant tout nud au sortir d'un bain, il imite les postures d'un lutteur, et, par le défaut d'habitude, il les fait de mauvaise grace, et il s'agite d'une manière ridicule.

(*) Une grande statue de bois, qui étoit dans le lieu des exercices pour apprendre à darder.

CHAPITRE XXVIII.

De la médisance.

JE définis ainsi la médisance : une pente secrète de l'ame à penser mal de tous les hommes, laquelle se manifeste par les paroles; et pour ce qui concerne le médisant, voici ses mœurs. Si on l'interroge sur quelqu'autre, et que l'on lui demande quel est cet homme, il fait d'abord sa généalogie: son père, dit-il, s'appelloit Sosie (1), que l'on a connu dans le service et parmi les troupes, sous le nom de Sosistrate; il a été affranchi depuis ce tems, et reçu dans l'une des (2) tribus de la ville: pour sa mère, c'étoit une noble (3) Thracienne, car les femmes de Thrace, ajoute-t-il, se piquent la plupart d'une ancienne noblesse: celui-ci,

(1) C'étoit chez les Grecs un nom de valet ou d'esclave. (2) Le peuple d'Athènes étoit partagé en diverses tribus. (3) Cela est dit par dérision des Thraciennes qui venoient dans la Grèce pour être servantes, et quelque chose de pis.

né de si honnêtes gens, est un scélérat qui ne mérite que le gibet; et retournant à la mère de cet homme qu'il peint avec de si belles couleurs, elle est, poursuit-il, de ces femmes qui épient sur les grands chemins (1) les jeunes gens au passage, et qui, pour ainsi dire, les enlèvent et les ravissent. Dans une compagnie où il se trouve quelqu'un qui parle mal d'une personne absente il relève la conversation: Je suis, lui dit-il, de votre sentiment, cet homme m'est odieux, et je ne le puis souffrir : qu'il est insupportable par sa physionomie! y a-t-il un plus grand frippon et des manières plus extravagantes? savez-vous combien il donne à sa femme pour la dépense de chaque repas? trois oboles (2), et rien davantage; et croiriez-vous que dans les rigueurs de l'hiver, et au mois de décembre, il l'oblige de se laver avec de l'eau froide ? Si alors quelqu'un de ceux qui l'écoutent

(1) Elles tenoient hôtellerie sur les chemins publics, où elles se mêloient d'infames commerces.

(2) Il y avoit au-dessous de cette monnoie d'autres encore de moindre prix.

se lève et se retire, il parle de lui presque dans les mêmes termes; nul de ses plus familiers n'est épargné : les morts (*) même dans le tombeau ne trouvent pas un asyle contre sa mauvaise langue.

(*) Il étoit défendu chez les Athéniens de parler mal des morts, par une loi de Solon, leur législateur.

CHAPITRE XX I X.

De l'inclination à la méchanceté.

L'INCLINATION à la méchanceté est un desir de tout ce qui est mauvais. Un méchant par inclination est tel: s'il rencontre des gens qui ont perdu leur procès, ou qui doivent bientôt comparoître en jugement devant le peuple, il se dit à lui-même que s'il se trouvoit dans de pareilles circonstances, il se montreroit plus expérimenté et plus redoutable. Est-il en présence de gens de bien, il dit qu'il est honnête homme: un instant après il soutient qu'il n'y a point d'hommes de bien, que tous les humains sont semblables : il assure cependant qu'il est honnête, et donne à l'homme méchant le titre d'homme libre. Quelqu'un veut-il parler contre la méchanceté (*), il avoue

(*) Le texte paroît corrompu en cet endroit. 'Eav Béa ληταί τις εἰς πονηρὸν, καὶ τὰ μὲνἄλλα ὁμολογεῖν ἀληθῆ. Il manque vraisemblablement un verbe après Béanta comme site, λéyer, ou autre semblable.

« PreviousContinue »