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dormir! Il arrive même qué, tout plein d'un sang qui n'est pas le sien, mais qui a rejailli sur lui de la plaie du blessé, il fait accroire à ceux qui reviennent du combat, qu'il a couru un grand risque de sa vie pour sauver celle de son ami: il conduit vers lui ceux qui y prennent intérêt, ou comme ses parens, ou parce qu'ils sont d'un même pays; et là il ne rougit pas de leur raconter quand et de quelle manière il a tiré cet homme des ennemis, et l'a apporté dans sa tente.

CHAPITRE XX VI

Des Grands d'une République.

LA plus grande passion de ceux qui ont ·les premières places dans un état populaire, n'est pas le desir du gain ou de l'accroissement de leurs revenus, mais une impatience de s'agrandir, et de se fonder, s'il se pouvoit, une souveraine puissance sur celle du peuple. S'il s'est assemblé pour délibérer à qui des citoyens il donnera la commission d'aider de ses soins le premier magistrat dans la conduite d'une fête ou d'un spectacle, cet homme ambitieux, et tel que je viens de le définir, se lève, demande cet emploi, et proteste que nul autre ne peut si bien s'en acquitter. Il n'approuve point la domination de plusieurs ; et de tous les vers d'Homère, il n'a retenu que celui-ci :

Les peuples sont heureux, quand un seul les gouverne. Son langage le plus ordinaire est tel. Retironsnous de cette multitude qui nous environne,

tenons ensemble un conseil particulier, où le peuple ne soit point admis, essayons même de lui fermer le chemin à la magistrature. Et s'il se laisse prévenir contre une personne d'une condition privée, de qui il croie avoir reçu quelque injure, cela, dit-il, ne se peut souffrir, et il faut que lui ou moi abandonnions la vilie. Vous le voyez se promener dans la place, sur le milieu du jour, avec des ongles propres, la barbe et les cheveux en bon ordre, repousser fièrement ceux qui se trouvent sur ses pas, dire avec chagrin aux premiers qu'il rencontre, que la ville est un lieu où il n'y a plus moyen de vivre, qu'il ne peut plus tenir contre l'horrible foule des plaideurs, ni supporter plus long-tems les longueurs, les crieries et les mensonges des avocats; qu'il commence à avoir honte de se trouver assis dans une assemblée publique, ou sur les tribunaux, auprès d'un homme mal habillé, sale, et qui dégoûte; et qu'il n'y a pas un seul de ces orateurs dévoués au peuple, qui ne lui soit insupportable. Il ajoute que

c'est (*) Thésée qu'on peut appeller le premier auteur de tous ces maux; et il fait de pareils discours aux étrangers qui arrivent dans la ville, comme à ceux avec qui il sympathise de moeurs et de sentimens.

*(*) Thésée avoit jetté les fondemens de la république d'Athènes, en établissant l'égalité entre les citoyens.

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CHAPITRE XX VII.

D'une tardive instruction.

IL s'agit de décrire quelques inconvéniens où tombent ceux qui, ayant méprisé dans leur jeunesse les sciences et les exercices, veulent réparer cette négligence dans un âge avancé, par un travail souvent inutile. Ainsi un vieillard de soixante ans s'avise d'apprendre des vers par cœur, et de les (*) réciter à table dans un festin, où la mémoire venant à lui manquer, il a la confusion de demeurer court. Une autre fois, il apprend de son propre fils les évolutions qu'il faut faire dans les rangs à droite ou à gauche, le maniement des armes, et quel est l'usage à la guerre de la lance et du bouclier. S'il monte un cheval que l'on lui a prêté, il le presse de l'éperon, veut le manier, et, lui faisant faire des voltes ou des caracoles, il tombe lourdement et se casse la tête. On (*) Voyez le Chapitre XV, de la brutalité,

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