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DE L'AUTEUR

SUR L'EPITRE I.

JE

E m'étois perfuadé que la (1) Fable de l'Huttre que j'avois mife à la fin de cette Epitre au Roi, pourroit y delaffer agréablement les Lecteurs qu'un Sublime trop férieux peut enfin fatiguer, joint que

REMARQUES.

* Cet AVERTISSEMENT fut mis fous le titre d'A VIS AU LECTEUR, à la tête de la feconde Edition que l'Auteur fit en 1672. de fa premiere Epitre. DE ST. MARC.

(1) La Fable de l'Huftre.] La premiere Epitre eft aujourd'hui toute dans le genre fublime. Elle n'étoit pas de même dans la premiere Edition. L'Auteur après y avoir dit au Roi:

Déja de tous côtés la chicane aux abois

S'enfuit au feul afpect de tes nouvelles loix.
O que ta main par-là va fauver de Pupilles!
Que de fçavans Plaideurs déformais inutiles!

finiffoit cette Pièce par les trente-deux Vers fuivans,
qui renfermoient la Fable de l'Huftre, dont il parle en
cet endroit, & qui commençoient par ces mots : Mu-
fe, abaiffe ta voix, & non pas, appaife ta voix,
me on l'a mis dans les Reinarques de l'Edition de Pa-
ris 1740. Ce qui fait un fens ridicule.

Mufe, abaiffe ta voix: je veux les confoler
Et d'un Conte en passant il faut les régaler.

com

la correction que j'y avois mife, fembloit me mettre à couvert d'une faute dont je faifois voir que je m'ap

.

REMARQUES.

Un jour, dit un Auteur, n'importe en quel chapitre,
Deux Voyageurs à jeun rencontrerent une Huître.
Tous deux la conteftoient, lorfque dans leur chemin
La Juftice paffa, la balance à la main.

Devant elle auffi-tot ils expliquent la chofe.

Tous deux avec dépens veulent gagner leur cause.

La Juftice pefant ce droit litigieux,

Demande l'Hultre, l'ouvre, & l'avale à leurs yeux,

Et par ce bel arrêt terminant la bataille,
Tenez, voilà, dit-elle, à chacun une écaille.

Des fotifes d'autrui nous vivons au Palais:

Mefieurs, Huttre étoit bonne. Adicu. Vivez en paix.
Mais quoi, j'entens déja quelque auflere Critique,
Qui trouve en cet endroit la Fable un peu comique.
Que veut-il? C'est ainsi qu'Horace dans fes vers
Souvent délaffe Augufte en cent ftiles divers;
Et felon qu'au hazard fon caprice l'entraîne,
Tantot perce les cieux, tantôt rafe la plaine.
Revenons toutefois. Mais par où revenir ?
GRAND ROI, je m'apperçois qu'il eft temps de finir.
C'eft affez: il fuffit que ma plume fidele
T'ait fait voir en ces vers quelque effai de mon zèle.
Envain je prétendrois contenter un Lecteur,
Qui redoute fur-tout le nom d'admirateur:
Et fouvent, pour raison, oppofe à la fcience
L'invincible dégoût d'une injufte ignorance:
Prêt à juger de tout, comme un jeune Marquis,

percevois le premier. Mais j'avoue qu'il y a eu des perfonnes de bon fens qui ne l'ont pas approuvée. J'ai néanmoins balancé long-temps fi je loterois, parce qu'il y en avoit plufieurs qui ia loioient avec autant d'excès que les autres la blámoient. Mais enfin je me fuis rendu à l'autorité d'un (2) Prince non moins confiderable par les lumieres de fon efprit que par le nombre de fes victoires. Comme il m'a déclaré franchement que cette Fable, quoique très-bien contée, ne lui fembloit pas digne du refte de l'Ouvrage; je n'ai point réfifté, j'ai mis (3) une nouvelle fin à ma Piè

REMARQUES.

Qui plein d'un grand fçavoir chez les Dames acquis,
Dédaignant le Public, que lui feul il attaque
Va pleurer au Tartuffe, & rire à l'Andromaque.

(2) d'un Prince.] Ce Prince eft le Grand Condé. (3) J'ai mis une nouvelle fin à ma Pièce.] Cette nouvelle fin, qui ne parut qu'en 1672. commence Vers 151.

Qui ne fent point l'effet de tes foins généreux.

au

On eft affez libre dans des Remarques, & je puis bien fans autre raifon que d'ufer de la liberté de Commentateur, rendre ici compte de l'occafion & du fujet de la Pièce dont il s'agit.

Après la Paix d'Aix-la-Chapelle conclue au mois de Mai 1668. les Gens de guerre, qui fe voyoient, pour ainfi dire, inutiles, travailloient à ranimer le goût naturel du Roi pour les Conquêtes. M. de Louvois, Secrétaire d'Etat de la Guerre, ne pouvoit pas manquer de fe prêter bientôt à leurs vues. Si par fes confeils il avoit engagé fon Maître à faire la paix, ce n'avoit été que pour mortifier le Maréchal de Turenne, qui gagnant tous les jours de plus en plus dans l'efprit de Sa Majefté, commençoit à traiter les Miniftres, & furtout M. de Louvois, avec une hauteur, qui leur faifoit appréhender qu'il ne fongeat à fe rendre le maître des Affaires. M. Colbert feul détournoit le Roi de recom

ce, & je n'ai pas cru pour une vingtaine de vers devoir me brouiller avec le premier Capitaine de no

REMARQUES.

mencer la Guerre, & lui remontroit que ce n'étoit que pendant la Paix qu'il pouvoit faire fleurir les Arts & les Sciences, & maintenir par le Commerce l'abondance dans fon Royaume. Ce fut pour feconder les vues de ce grand Miniftre, que M. Despréaux en 1669, compofa fa premiere Epitre, dans laquelle, en même tems qu'il loue le Roi comme Héros paisible, il ofe avec une généreufe liberté faire la Satire des Conquérans, en établiffant, que la véritable grandeur d'un Roi ne confifle pas à ravager la terre, mais à rendre fes Sujets heureux, en les faifant jouir de tous les avantages de la Paix. (M. de St. Marc a un peu étendu cette Remarque, dont le fond appartient à M. du Monteil; celui-ci ayant fait voir le vrai but de cette Epitre, qui avoit été mal expliqué par M. Broffette.)

Ce fut par Madame de Thiange, Soeur du Maréchal de Vivonne & de Madame de Montefpan, que cette Epitre fut préfentée au Roi. Dans le tems qu'elle fut compofée, l'Auteur travailloit au Lutrin. Pour louer le Roi d'une maniere nouvelle, il imagina l'Episode de la Moleffe, à la fin du fecond Chant de ce Poëme. Cette ingénieufe fiction eut un fuccès extrêmement heureux. Le Roi, qui ne connoiffoit l'Auteur que par fes Satires, ordonna à M. Colbert de faire venir à la Cour le Poëte qui le fçavoit fi bien loüer. Quelques jours après il fut préfenté au Roi par M. de Vivonne. Il récita à Sa Majefté une partie du Lutrin, qui n'avoit pas encore paru, & quelques autres Pièces, dont elle fut très-fatisfaite. A la fin, le Roi lui demanda, quel étoit l'endroit de fes Pofies qu'il trouvoit le plus beau. 11 pria Sa Majefté de le difpenfer de faire un pareil jugement: ajoutant qu'un Auteur étoit peu capable de donner le jufte prix à fes propres Ouvrages; & que pour lui, il n'eftimoit pas allez les fiens, pour les mettre ainfi dans la balance. N'importe, dit le Roi, je veux que vous me dihez votre fentiment. M. Despréaux obéit, en difant que l'endroit, dont il étoit le plus content, étoit la fin d'une Epitre qu'il avoit pris la liberté d'adreffer à Sa Majefté; & récita les quarante Vers qui terminent l'Epitre I. Cette fin, que l'Auteur avoit refaite depuis peu,

tre fiècle. Au refte je suis bien aise d'avertir le Lecteur, qu'il y a quantité de Pièces impertinentes qu'on s'efforce de faire courir fous mon nom, & entr'autres une (4) Satire contre les maltótes eccléfiaftiques. Je

REMARQUE S.

& que le Roi n'avoit pas encore vue, le toucha fenfiblement. Son émotion parut dans fes yeux, & fur fon vifage. Il fe leva de fon fauteuil avec un air vif & fatisfait. Cependant, comme il étoit toujours ma tre de fes mouvemens, Voilà qui est très-beau, dit-il; cela eft admirable. Je vous loerois davantage, fi vous ne m'aviez pas tant loué. Le Public donnera à vos Ouvrages les éloges qu'ils méritent; mais ce n'eft pas affez pour moi de vous louer. Je vous donne une penfion de deux mille livres: j'ordonnerai à Colbert de vous la payer d'avance; & je vous accorde le privilége pour l'impreffion de tous yos Ouvrages. Ce font les propres paroles du Roi; & l'on peut croire que l'Auteur ne les avoit pas oubliées. Avant que le Roi eût ainfi parlé, M. de Vivonne, frappé de la beauté des Vers qu'il venoit d'entendre, prit brufquement l'Auteur à la gorge, & lui dit, par une faillie, que la présence du Roi ne put retenir : Ah! Traitre, vous ne m'aviez pas dit cela. Notre Poëte revint de la Cour, comblé d'honneurs & de biens. Cependant il a dit plufieurs fois, que la premiere réflexion que lui infpira fa nouvelle fortune, fut un fentiment de trifteffe. I envifageoit la perte de fa liberté, comme une fuite inévitable des bienfaits, dont il venoit d'être honoré.

(4),une Satire contre les maltôtes ecclefiaftiques.] Cette · Satire commence par ces deux Vers affez mauvais.

Quel est donc ce cahos, & quelle extravagance
Agite maintenant l'efprit de notre France?

On attribue cette Pièce au P. Louis Sanlecque, Chanoine Régulier de S. Auguftin, de la Congrégation de France, ou de Sainte Geneviève, & Prieur de Garnai près de Dreux. Il étoit né à Paris en 1652. & mourut le 14. de Juillet 1714. âgé de 62. ans & fort regretté de fes Paroiffiens, qui étoient plus maîtres de

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