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, ou d'éprouver d'autres fenfations. Mais fi tu n'as plus tes fens, tu ne feras plus fujet à aucune " peine, à aucune mifère. Si tu as des fens d'une autre efpèce, tu feras une autre créature.,,

Il n'y avait pas un mot à répondre à ce raisonnement dans la philofophie profane. Cependant, par la contradiction attachée à l'efpèce humaine, & qui femble faire la bafe de notre nature, dans le temps. même que Cicéron difait publiquement: Il n'y a point de vieille femme qui croie ces inepties, Lucrèce avouait que ces idées fefaient une grande impreffion fur les efprits; il vient, dit-il pour les détruire.

Si certum finem effe viderent

Ærumnarum homines, aliqua ratione valerent
Religionibus atque minis obfiftere vatum.
Nunc ratio nulla eft reflandi, nulla facultas;
Eternas quoniam panas in morte timendum eft.
Si l'on voyait du moins un terme à fon malheur,
On foutiendrait la peine, on combattrait l'erreur,
On pourrait fupporter le fardeau de la vie.

Mais d'un plus grand fupplice elle eft, dit-on, fuivie.
Après des triftes jours on craint l'éternité.

Il était donc vrai que parmi les derniers du peuple, les uns riaient de l'enfer, les autres en tremblaient. Les uns regardaient Cerbère, les furies & Pluton comme des fables ridicules; les autres ne ceffaient de porter des offrandes aux Dieux infernaux. C'était tout comme chez nous.

Et quocumque tamen miferi venêre, parentant
Et nigras mactant pecudes, & Manibus divis

Inferias mittunt, multoque in rebus acerbis

Acrius admittunt animos ad religionem.

Ils conjurent ces Dieux qu'ont forgés nos caprices;
Ils fatiguent Pluton de leurs vains facrifices;

Le fang d'un bélier noir coule fous leurs couteaux;
Plus ils font malheureux, & plus ils font dévots.

Plufieurs philofophes qui ne croyaient pas aux fables des enfers, voulaient que la populace fût contenue par cette croyance. Tel fut Timée de Locres, tel fut le politique hiftorien Polybe. L'enfer, dit-il, eft inutile aux fages, mais néceffaire à la populace infenfée.

Il eft affez connu que la loi du Pentateuque n'annonça jamais un enfer. (b) Tous les hommes étaient plongés dans ce cahos de contradictions & d'incertitudes quand JESUS-CHRIST vint au monde.

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(b) Dans le Didionnaire encyclopédique, l'auteur de l'article théologique Enfer, femble fe méprendre étrangement en citant le Deuteronome au chapitre XXXII, v. 22 & fuivans; il n'y eft pas plus question d'enfer que de mariage & de danse. On fait parler DIEU ainfi: » Ils m'ont provoqué dans celui qui n'était pas leur Dieu, & ils m'ont » irrité dans leurs vanites ; & moi je les provoquerai dans celui qui n'est "pas mon peuple, & je les irriterai dans une nation folle. » feu s'eft allumé dans ma fureur, & il brûlera jufqu'au bord du » fouterrain, & il dévorera la terre avec fes germes, & il brûlera les >> racines des montagnes. ―J'accumulerai les maux fur eux; je viderai "fur eux mes flèches; je les ferai mourir de faim; les oifeaux les » devoreront d'une morsure amère ; j'enverrai contre eux les dents des » bêtes avec la fureur des reptiles & des ferpens. Le glaive les dévastera " au-dehors & la frayeur au-dedans, eux & les garçons, & les filles, & » les enfans à la mamelle avec les vieillards. "

Y a-t-il là, s'il vous plaît, rien qui defigne des châtimens après la mort? des herbes féches, des ferpens qui mordent, des filles & des enfans qu'on tue, reffemblent-ils à l'enfer? N'eft-il pas honteux de tronquer un paffage pour y trouver ce qui n'y eft pas? Si l'auteur s'est trompe on lui pardonne; s'il a voulu tromper il eft inexcufable.

Il confirma la doctrine ancienne de l'enfer; non pas la doctrine des poëtes païens, non pas celle des prêtres égyptiens, mais celle qu'adopta le chriftianisme, à laquelle il faut que tout cède. Il annonça un royaume qui allait venir, & un enfer qui n'aurait point de fin.

Il dit expreffément à Capharnaum en Galilée : (c) "Quiconque appellera fon frère Raca fera condamné "par le fanhedrin; mais celui qui l'appellera fou " fera condamné au gehenei hinnon, gehenne du ,, feu. 99

Cela prouve deux chofes, premièrement que JESUS-CHRIST ne voulait pas qu'on dît des injures; car il n'appartenait qu'à lui, comme maître, d'appeler les prévaricateurs pharifiens race de vipère.

Secondement, que ceux qui difent des injures à leur prochain méritent l'enfer; car la gehenna du feu était dans la vallée d'Hinnon, où l'on brûlait autrefois des victimes à Moloch; & cette gehenna figure le feu d'enfer.

Il dit ailleurs, (d),, Si quelqu'un fert d'achoppe"ment aux faibles qui croient en moi, il vaudrait " mieux qu'on lui mît au cou une meule afinaire, ",& qu'on le jetât dans la mer.

,, Et fi ta main te fait achoppement, coupe-là; "il eft bon pour toi d'entrer manchot dans la vie "plutôt que d'aller dans la gehenna du feu inextin"guible, où le ver ne meurt point, & où le feu ne " s'éteint point.

"Et fi ton pied te fait achoppement, coupe ton (c) Matthieu, chap. V, v. 2.

(d) Marc, chap. IX V. 42 & fuivans.

pied; il eft bon d'entrer boiteux dans la vie éter"nelle, plutôt que d'être jeté avec tes deux pieds. ,, dans la gehenna inextinguible, où le ver ne meurt point, & où le feu ne s'éteint point.

,, Et fi ton œil te fait achoppement, arrache ton ,, œil; il vaut mieux entrer borgne dans le royaume ,, de DIEU, que d'être jeté avec tes deux yeux dans ,, la gehenna du feu, où le ver ne meurt point, & où le feu ne s'éteint point.

,, Car chacun fera falé par le feu, & toute victime ,, fera falée par le fel.

", Le sel eft bon; que fi le fel s'affadit, avec quoi falerez-vous?

,, Vous avez dans vous le fel, confervez la paix parmi vous. "

Il dit ailleurs fur le chemin de Jérufalem (e) "Quand le père de famille fera entré & aura fermé ,, la porte, vous refterez dehors, & vous heurterez, › difant : Maître, ouvrez-nous; & en répondant, il vous dira: Nefcio vos, d'où êtes-vous ? & alors → vous commencerez à dire : Nous avons mangé & ,, bu avec toi, & tu as enfeigné dans nos carrefours;

& il vous répondra nefcio vos, d'où êtes-vous? ,, ouvriers d'iniquités! & il y aura pleurs & grince⚫ mens de dents, quand vous verrez Abraham, Ifaac, Jacob & tous les prophètes, & que vous ferez chaffés, dehors.

Malgré les autres déclarations pofitives émanées du Sauveur du genre-humain, qui affurent la damnation éternelle de quiconque ne fera pas de notre (e) Luc, chap. XIII.

Eglife, Origène & quelques autres n'ont pas cru l'éternité des peines.

Les fociniens les rejettent, mais ils font hors du giron. Les luthériens & les calviniftes, quoiqu'égarés hors du giron, admettent un enfer fans fin.

Dès que les hommes vécurent en fociété, ils durent s'appercevoir que plufieurs coupables échappaient à la févérité des lois; ils puniffaient les crimes publics; il fallut établir un frein pour les crimes fecrets; la religion feule pouvait être ce frein. Les Perfans, les Chaldéens, les Egyptiens, les Grecs imaginèrent des punitions après la vie ; & de tous les peuples anciens que nous connaiffons, les Juifs, comme nous l'avons déjà obfervé, furent les feuls qui n'admirent que des châtimens temporels. Il est ridicule de croire ou de feindre de coire, fur quelques paffages très obfcurs, que l'enfer était admis par les anciennes lois des Juifs, par leur Lévitique, par leur Décalogue, quand l'auteur de ces lois ne dit pas un feul mot qui puiffe avoir le moindre rapport avec les châtimens de la vie future. On ferait en droit de dire au rédacteur du Pentateuque : Vous êtes un homme inconféquent & fans probité, comme fans raifon, très-indigne du nom de légiflateur que vous vous arrogez. Quoi! vous connaissez un dogme auffi réprimant, auffi néceffaire au peuple que celui de l'enfer, & vous ne l'annoncez pas expreffément? & tandis qu'il eft admis chez toutes les nations qui vous environnent, vous vous contentez de laiffer deviner ce dogme par quelques commentateurs qui viendront quatre mille ans après vous, & qui donneront la torture à quelques-unes de vos paroles

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