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mon heure et non à celle de Dieu, je ne suis pas plus libre en me retirant de la scène qu'en y restant, et comme ce n'est pas moi qui y joue mon rôle, ce n'est pas moi non plus qui l'interromps. Qu'ils me permettent l'orgueilleux espoir d'égaler Jupiter, de le dépasser peut-être lorsque j'aurai réalisé en moi l'idéal du sage, je sais bien, ils savent bien et ils avouent presque euxmêmes que je n'atteindrai point cet idéal; et ce rêve d'une félicité et d'une divinité imaginaire n'est point une compensation suffisante pour la perte de mon libre arbitre qui seul, avec la raison, fait de moi un être moral, capable de vertu, de mérite et de récompense.

Ainsi, quelque soin que prenne le Stoïcisme de voiler l'idée du destin sous l'idée de la Providence, quelque effort qu'il fasse pour préserver son Dieu des imperfections de la nature et des péchés de l'homme, quelque adresse qu'il déploie pour mettre d'accord sa doctrine pratique et sa doctrine spéculative, nous reconnaissons en lui les deux traits caractéristiques du panthéisme: en métaphysique, la contradiction introduite dans la nature de Dieu; en morale, l'impossibilité logique de maintenir la notion du devoir. De ces deux énormités, les Stoïciens ont accepté la première; ils ont rejeté la seconde par une inconséquence qui juge leurs principes. Leur théologie est détestable parce qu'elle est panthéiste; leur morale ne vaudrait pas mieux si elle se rattachait à leurs dogmes métaphysiques; elle n'est belle que parce qu'elle leur a été infidèle.

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TOIRE DU PANTHÉISME

LES ALEXANDRINS

lité de la philosophie alexandrine. Plotin; son

le; ascension du sensible à l'intelligible. - Théorie ases. Répartition arbitraire des attributs divins entre es distincts. Le néant placé au sommet des choses. émanation. Le monde, écoulement de Dieu. Suppresnnalité. Vains efforts des Alexandrins pour échapences morales de leur système.

exandrie joue un rôle d'une haute iml'histoire de la philosophie. Elle clôt tout intellectuel de la civilisation hellénique; e les idées et, en même temps, elle les a combinaison des doctrines savantes de les doctrines religieuses du panthéisme s'empare des trois grands systèmes issus nt socratique, le Platonisme, l'Aristotécisme; elle les rapproche, les superpose, ntre eux par un double lien, d'abord par ialectique qui les traverse tour à tour et in à l'autre, puis par le dogme de l'éma

1 sommot laborieusement atteint nermet.

de redescendre pas à pas jusqu'aux étages inférieurs. Elle les fond ainsi en une vaste synthèse métaphysique dans laquelle il faut voir tout autre chose qu'un pur syncrétisme, qu'un mélange confus d'éléments hétérogènes. C'est une vraie synthèse, au sens étymologique du mot, une combinaison systématique dont les éléments sont employés en proportions définies, un édifice savamment ordonné auquel rien ne manque... que la solidité; c'est le plus beau des châteaux de cartes philosophiques qu'ait pu élever la main d'un homme de génie.

Car Plotin, son véritable fondateur, est bien un homme de génie. Aucun métaphysicien n'unit à une pénétration plus subtile un sentiment plus vif et plus profond du divin. Ce n'est point un esprit sec et purement géométrique comme Spinoza; c'est un cœur et un grand cœur, en même temps qu'une puissante imagination et une vaste intelligence; c'est un Malebranche, plus original et plus profond, mais qui n'a pu garder cette règle et cette mesure que Malebranche trouva dans sa foi et n'eût pas trouvées dans sa raison. On ne rencontrera point dans toute l'histoire de la philosophie un autre système qui, faux dans son ensemble, contienne une aussi riche abondance de vérités métaphysiques et de vérités morales.

Il faudrait, pour les faire connaître et pour justifier ces éloges, entrer dans des détails qui ne sauraient ici trouver leur place. Je ne puis offrir de Plotin et de son système que les grands traits, qui sont précisément ceux où l'erreur et la déviation s'accusent avec le plus

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d'évidence. Du moins pourra-t-on reconnaître que ce sont les déviations d'un grand esprit, disons plus encore, d'un esprit naturellement droit qui se débat contre les contradictions du panthéisme, recule devant ses conséquences morales, et fait tout au monde pour maintenir la distinction de Dieu et de l'univers au sein d'un système dont l'essence est de les confondre. Que si, même entre de telles mains, même sous cette forme, la plus séduisante dont il se soit jamais enveloppé, le panthéisme reste ce que nous avons dit, le renversement direct de la raison et de la conscience, l'étude du panthéisme alexandrin sera peut-être pour le dogme de la création la plus décisive des contre-épreuves.

Plotin cherche l'explication du monde; et,' comme tous les grands métaphysiciens, il devine, il sait à priori qu'elle ne peut se trouver qu'au delà du monde, dans l'absolu, en Dieu. Le problème étant posé, la solution. étant prévue, du moins quant à un caractère fondamental, la méthode est naturellement indiquée; c'est celle qui va, par toutes les forces de l'âme, par le cœur aussi bien que par l'esprit, du sensible à l'intelligible, du visible et de l'humain à l'invisible et au divin; c'est la dialectique. Aussi bien et mieux peut-être que Platon son maître, Plotin connaît et décrit la double préparation morale par laquelle il faut disposer l'âme à ce mouvement de l'ascension dialectique; c'est en lui inspirant le dédain du sensible et en relevant en elle le sentiment

de sa dignité qu'on pourra la conduire, suivant la belle formule des scolastiques, ab exterioribus ad interiora, ab interioribus ad superiora. « Comment se fait-il que << les âmes oublient Dieu leur père ? Comment se fait-il << qu'étant issues de Dieu, elles le méconnaissent et se << méconnaissent elles-mêmes?... Elles se sont avancées << dans la route qui les écartait de leur principe, et main<< tenant elles sont arrivées à un tel éloignement de Dieu, « à une telle apostasie (àñóstacıç) qu'elles ignorent << même qu'elles en ont reçu la vie. De même que des << enfants séparés de leur famille dès leur naissance et << nourris longtemps loin d'elle en arrivent à mécon<< naître leurs parents ainsi qu'eux-mêmes, ainsi les <«< âmes ne voyant plus ni Dieu, ni elles-mêmes, se << sont dégradées par l'oubli de leur origine, se sont << attachées à d'autres objets, ont prodigué leur estime <«<< et leur amour aux choses extérieures et ont brisé le << lien qui les unissait aux choses divines. L'ignorance «< où elles sont de Dieu a donc pour cause leur estime « des objets sensibles et leur mépris d'elles-mêmes. « Pour convertir à Dieu les âmes qui se trouvent dans << de pareilles dispositions, pour les élever au principe « suprême, il faut raisonner avec elles de deux ma«nières. D'abord on doit leur faire voir la bassesse des

objets qu'elles estiment maintenant. Puis il faut leur << rappeler l'origine et la dignité de l'âme 1. » Lorsque l'âme est ainsi disposée, on peut ramener son esprit

1 Plotin, Ennéade V, L. I, § 1.

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