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AVIS

SUR LE MORCEAU SUIVANT.

Dans le Mercure de Février 1681, on trouve un morceau intitulé: Histoire de mes Conquêtes. Il a été réimprimé dans le tome septième du Choix des anciens Mercures, page 70. C'est une femme qui y parle. Voici comme elle peint un de ses amans. Ce portrait ressemble beaucoup à Fontenelle; peut-être croira-t-on y reconnoître son style aussi bien que sa personne. C'est ce qui d engagé à le placer ici.

L'AMANT dont je vous parle étoit d'un caractère fort particulier; et une des principales choses qu'on lui reprochât, c'étoit cela même, qu'il étoit trop particulier. Il aimoit les plaisirs, mais non point comme les autres. Il étoit passionné, mais autrement que tout le monde. Il étoit tendre, mais à sa manière. Jamais ame ne fut plus portée aux plaisirs que la sienne, mais il les vouloit tranquilles. Plaisirs plus doux, parce qu'ils étoient dérobés; plaisirs assaisonnés par leurs difficultés; tout cela lui paroissoit des chimères. Ainsi, ce qui me per

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suada le plus sa tendresse pour moi, c'est que je lui coûtois quelque chose. Il avoit une espèce de raison droite et inflexible, mais non pas incommode, qui l'accompagnoit presque toujours. On ne gagnoit rien avec lui pour en être aimée : il n'en voyoit pas moins les défauts des personnes qu'il aimoit; mais il n'épargnoit rien pour les en corriger, et il ne s'y prenoit pas mal. Des soins, des assiduités, des manières honnêtes et obligeantes, des empressemens, tant qu'il vous plaira; mais presque point de complaisance, sinon dans les choses indifférentes. It disoit qu'il auroit une complaisance aveugle pour les gens qu'il n'estimeroit guère et qu'il voudroit tromper; mais que pour les autres, il vouloit les accoutumer à n'exiger pas des choses peu raisonnables, et à n'être pas les dupes de ceux qui les feroient. A ce compte, vous voyez bien que la plupart des femmes, qui sont impérieuses et déraisonnables, ne se fussent guère accommodées de lui, à moins qu'il ne se fût long-temps contraint; ce qu'il n'étoit pas capable de faire. Il étoit d'une sincérité prodigieuse, jusques-là que, quand je le prenois à foi et à serment, il n'osoit me répondre que de la durée de son estime et de son amitié; et pour celle de l'amour, il ne la garantissoit pas absolument. Il avoit toujours ou un enjouement assez naturel, ou une mélancolie assez douce. Dans la conversation, il y fournissoit raisonnablement, et

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étoit plus propre qu'à tout autre chose: encore falloit-il qu'elle fût un peu réglée, et qu'il raisonnât; car il triomphoit en raisonnemens, et quelquefois même dans les conversations communes, il lui arrivoit d'y placer des choses extraordinaires qui déconcertoient la plupart des gens. Ce n'est pas qu'il n'entendît bien le badinage; il l'entendoit même trop finement. Il divertissoit, mais il ne faisoit guère rire. Son extérieur froid lui donnoit un air de vanité; mais ceux qui connoissoient son-ame, démêloient aisément que c'étoit une trahison de son extérieur. Je vous en fais un si long portrait, et il me semble que j'ai tant de plaisir à parler de lui, , que vous croirez peut-être que notre intelligence dure encore. Non, elle est finie; mais ce n'est ni par sa faute, ni la mienne. L'amour avoit fait de son côté tout ce qui étoit nécessaire pour rendre notre union éternelle; la fortune a renversé tout ce qu'avoit fait l'amout.

par

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VERS DE M. PETIT

Sur FONTENELLE, en 1678, à l'occasion de ses premiers ouvrages.

FONTENELLE, dans ton jeune âge,

A bien de vieux rimeurs tu peux faire leçon;
Et quand on lit ton moindre ouvrage,

Qui ne t'a jamais vu, te prend pour un barbon.
Si ta muse naissante a produit des merveilles,
Et si tes vers, chantés dans le sacré vallon,
Des plus fins connoisseurs ont charmé les oreilles,
Pourquoi s'en étonneroit-on ?

Quand on est neveu des Corneilles,
On est petit-fils d'Apollon.

VERS

Pour mettre au-dessous du buste de FONTENELLE.

AMANT de la philosophie,

Il suivit sans faste ses pas,
Portant l'équerre et le compas
Sur les démarches de la vie.
Facile et plein d'aménité,
Par un séduisant badinage
Il ornoit l'austère langage
Qui fait craindre la vérité.
D'autres, occupés à paroître,
Sans tourner leurs regards sur eux,
Enseignèrent l'art d'être heureux :
Il faisoit plus, il savoit l'être.

AUTRES VERS

Sur FONTENELLE, par VOLTAIRE.

D'UN nouvel univers il ouvrit la barrière.

Des infinis sans nombre autour de lui naissans,
Mesurés par ses mains, à son ordre croissans,
A nos yeux étonnés, il traça la carrière.
L'ignorant l'entendit, le savant l'admira:
Né pour tous les talens, il fit un opéra.

VERS

De FUSELIER pour les Blondes, en réponse à ceux de FONTENELLE pour les Brunes (1).

VOUS

ous qui charmez raison et sentiment,
Rare docteur, qu'à la cour de Cythère
Et de Minerve on cite également ;
Vous qui d'amour dirigerez la mère,
Si directeur la gouverne jamais;
Votre doctrine en un point je rejette,
Lorsque prisez blonde moins que brunette.
Dogme hérétique, et lésant les attraits
De Vénus même. Or, si craignez sa haine,
Prévenez-la par un prompt repentir.
Blonde toujours de la beauté fut reine.
De tout Paphos, c'est la doctrine saine;

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(1) La pièce de Fontenelle se trouve parmi ses poésies diverses, Tome VI.

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