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que,

sûr de les gagner que de les subjuguer. C'est ainsi dans l'Histoire des Oracles, il sépara peu-àpeu la vérité de la superstition. C'est ainsi qu'exempt de passion et d'enthousiasme, il jugea tous les an ciens, comme Descartes en avoit jugé un d'entr'eux, posant les limites du respect qui leur étoit dû, ne reconnoissant d'autorité que le génie, de loi que le sentiment, ramenant les esprits à euxmêmes, et les débarrassant du joug qui les étouffoit en les captivant. Rangé du côté des modernes, la plupart ses contemporains, il vit leur gloire sans jalousie, quelque près qu'il fût d'eux; il la défendit sans vanité, quelque avantage qu'il assurât à leur parti. Le mérite de ses ouvrages l'auroit encore fortifié contre l'antiquité, quand même il se seroit déclaré pour elle.

Attaché au cartésianisme par tout ce qu'il avoit cru trouver de vraisemblable dans ce systême, et mon par superstition òu par opiniâtreté, il ne refusa point son admiration au grand Newton. Il ne fut point au rang de ses sectateurs, mais il fut son plus illustre panégyriste.

il

Qui l'auroit cru, messieurs? La critique, qui se 'déchaîne ordinairement contre les écrivains célèbres, ne lui lança que quelques traits. On put, est vrai, lui reprocher, dans plusieurs de ses écrits, plus de brillant que de goût, plus d'art que naturel; d'affecter, pour ainsi dire, une certaine

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galanterie d'esprit, et même trop d'esprit ; exemple dangereux, en ce qu'il savoit plaire par tant d'autres faces, et peut-être par ses défauts même. Mais la critique lui rendit cet hommage, de n'oser le poursuivre que dans ceux qui voulurent l'imiter. La supériorité de ses talens couvrit tout: il put compter ses ennemis, et non ses admirateurs. L'envie le respecta; la renommée ne tint sur lui qu'un langage. Il jouit de sa réputation, il jouit de l'avenir même : il vit toute la postérité dans ses contemporains.

Eh! comment, avec un mérite si éminent, échappa-t-il aux fureurs de l'envie? Il dut cet heureux privilége à sa philosophie, à sa modération; au respect que ses mœurs inspirèrent, à ce caractère doux et liant qui ne révoltoit point l'amourpropre d'autrui, à cet oubli volontaire de sa supériorité, à la justice qu'il rendit au mérite. Enfin, il échappa à l'envie, parce que lui-même ne la connut point. I vécut tranquille au milieu de ces querelles littéraires, où l'auteur qu'on attaque expose autant sa gloire en voulant la défendre, que le critique cherche à la ternir en l'attaquant: guerres honteuses entre la malignité et l'amour-propre, qui déshonorent les lettres, le cœur et l'esprit.

Le nom de Fontenelle ne pouvoit être resserré dans les bornes de son pays. La réputation des grands hommes part d'auprès d'eux; mais c'est au loin

qu'elle paroît briller davantage. Elle ne parle jamais plus haut, que lorsqu'ils ne sont point à portée de l'entendre: du même essor dont la gloire franchit les temps, elle franchit les lieux; elle n'est guère immortelle qu'autant qu'elle est générale; son étendue est le sceau de sa durée. Tel fut le triomphe de Fontenelle. Les étrangers accouroient ici pour l'entendre, pour pouvoir dire au moins dans leur patrie, je l'ai vu. Un d'eux arrive à peine aux portes de cette capitale; il le demande avec impatience au premier qu'il rencontre, persuadé qu'un homme connu aux extrémités du monde ne pouvoit être ignoré d'aucun de ses concitoyens.

Honoré des bontés d'un grand prince, qui, 'doué comme lui d'un génie universel, étoit le juge le plus éclairé du mérite; admis, si l'on ose le dire, dans sa familiarité, il ne fit point servir à son ambition ou à sa fortune cet excès de faveur. Exempt de l'esprit d'intrigue, inaccessible aux mouvemens inquiets ou violens, ami du bien général, animé du desir de plaire, sachant jouir de tout et de lui-même; né plutôt pour la société, que pour un commerce plus intime, elle s'enrichit de ce qu'il eût pu donner à des liaisons particulières, à ces penchans estimables, mais dangereux, passions des ames nées trop sensibles, sujettes à s'égarer, dès qu'elles ne sont plus surveillées par la raison.

Il eût été publiquement révéré à Sparte par son

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âge; ses talens eussent été négligés peut-être par ce peuple austère qui n'estimoit que la vertu. Il fut respecté parmi nous dans tout le cours de sa vie, et à tous les titres.

La vieillesse, ce temps d'affoiblissement, qui n'est ni la mort, ni l'existence, pour le reste des hommes, mérita d'être comptée dans sa vie. Le ciel, en lui accordant un esprit si étendu et de longs jours, sembla reculer pour lui toutes les bornes humaines, et n'enlever qu'à regret à la terre un sage placé sous deux règnes, pour être à-la-fois la lumière et l'ornement de deux siècles, pour pouvoir en comparer les merveilles sous deux augustes monarques, &c.

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EXTRAIT

De la Réponse de M. le duc de NIVERNOIS au Discours de M. SEGUIER.

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SI l'heureuse acquisition que nous

faisons en vous adoptant, monsieur, est un triomphe public, la perte que nous déplorons en même temps est une perte publique. Nous nous étions approprié le grand homme auquel vous succédez. Dans nos fastes, nous jouissions de sa gloire; dans notre société, de ses vertus. Il étoit fait pour être l'oracle de nos assemblées, il se contentoit d'en être l'ornement; il aimoit à n'être qu'un d'entre nous: mais nous ne nous flattons pas qu'il fût notre bien propre et particulier; il étoit le bien commun de l'humanité; il appartenoit à quiconque aime les lettres, les talens et la philosophie; il est pleuré, il sera révéré par-tout où il y a des hommes qui

pensent.

L'antiquité vit toutes les nations adorer l'astre qui féconde tous les climats, et dont les influences bienfaisantes se répandent sur toutes les productions de la nature. Ainsi, tous les talens, toutes les sciences réclament Fontenelle, et tous les temples de la littérature consacrent son culte. Sa réputation n'est pas la réputation d'un homme; elle est un

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