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de ceux qui cherchent des autorités pour justifier leur impiété. On trouvera de plus amples détails sur Fontenelle, dans les Mémoires pour servir à l'histoire de sa vie et de ses ouvrages, par l'abbé Trublet. Cet écrivain ingénieux préparoit une Vie complette de son illustre ami. Il eut la bonté de revoir cet article avant que nous le livrassions à l'impression.

PORTRAIT

DE FONTENELLE,

Par madame la marquise DE LAMBERT, à madame de ***

JE

E n'entreprendrai pas de peindre Fontenelle; je connois ma portée et l'étendue de mes lumières: je vous dirai seulement comment il s'est montré à moi. Vous connoissez sa figure; il l'a aimable. Personne ne donne une si haute idée de son caractère esprit profond et lumineux, il voit où les autres ne voient plus; esprit original, il s'est fait une route toute nouvelle, ayant secoué le joug de l'autorité; enfin, un de ces hommes destinés à donner le ton à leur siècle. A tant de qualités solides, il joint les agréables; esprit maniéré, si j'ose hasarder ce terme, qui pense finement, qui sent avec délicatesse, qui a un goût juste et sûr, une imagination vive et légère, remplie d'idées riantes; elle pare son esprit et lui donne un tour; il en a les agrémens sans en avoir les illusions; il l'a sage et châtiée; il met les choses à leur juste valeur; l'opinion ni l'erreur ne prennent point sur lui; c'est. un esprit sain, rien ne l'étonne ni ne l'altère; dépouillé d'ambition, plein de modération, un favori

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de la raison, un philosophe fait des mains de la nature, car il est né ce que les autres deviennent.

Je lui crois le cœur aussi sain que l'esprit : jamais il n'est agité de sentimens violens, de fièvre ardente; ses mœurs sont pures, ses jours sont égaux et coulent dans l'innocence. Il est plein de probité et de droiture; il est sûr et secret; on jouit avec lui du plaisir de la confiance, et la confiance est la fille de l'estime; il a les agrémens du cœur sans en avoir les besoins; nul sentiment ne lui est nécessaire. Les ames tendres et sensibles sentent ces besoins du cœur plus qu'on ne sent les autres nécessités de la vie. Pour lui, il est libre et dégagé ; aussi ne s'unit-on qu'à son esprit, et on échappe à son cœur. Il peut avoir pour les femmes un sentiment machinal, la beauté faisant sur lui une assez grande impression : mais il est incapable de sentimens vifs et profonds. Il a un comique dans l'esprit qui passe jusqu'à son cœur, qui fait sentir que l'amour n'est pour lui ni sérieux ni respecté. Il ne demande aux femmes que le mérite de la figure; dès que vous plaisez à ses yeux, cela lui suffit, et tout autre mérite est perdu.

Il sait faire un bon usage de son loisir et de ses talens. Comme il a de tous les esprits, il écrit sur tous les sujets mais la plus grande partie de ce qu'il fait doit être l'objet de nos admirations, et non pas de nos connoissances. Il fait des vers en

graces

homme d'esprit, et non pas en poëte. Il y a pourtant des morceaux de lui qui pourroient être avoués des meilleurs maîtres. Des grands sujets il passe aux bagatelles avec un badinage noble et léger. Il semble que les vives et riantes l'attendent à la porte de son cabinet pour le conduire dans le monde, et le montrer sous une autre forme : sa conversation est amusante et aimable. Il a une manière de s'énoncer simple et noble, des termes propres sans être recherchés; il a le talent de la parole et les lèvres de la persuasion. Il montre aussi de la retenue: mais de la retenue on en fait aisément du dédain; il donne l'impression d'un esprit dégoûté par délicatesse. Peu blessé des injures qu'on peut. lui faire, la connoissance de lui-même le rassure et sa propre estime lui suffit. Je suis de ses amies depuis long-temps; je n'ai jamais connu personne d'un caractère si aisé. Comme l'imagination ne le gouverne point, il n'a pas la chaleur des amitiés naissantes; aussi n'en a-t-il pas le danger. Il connoît parfaitement les caractères, vous donne le degré d'estime que vous méritez; il ne vous élève pas plus qu'il ne faut : il vous met à votre place; mais aussi il ne vous en fait pas descendre.

Vous voyez bien, madame, qu'un pareil caractère n'est fait que pour être estimé. Vous pouvez donc badiner et vous amuser avec lui; mais ne lui en donnez et ne lui en demandez pas davantage.

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A

PORTRAIT

DE FONTENELLE,

Dans la brochure intitulée : Apologie de
M. Houdart de la Motte, par feu M. Bel
Conseiller au Parlement de Bordeaux (1).

FONTENELLE

ONTENELLE est un philosophe de beaucoup d'esprit, qui a songé de bonne heure à se faire

(1) Ce titre est ironique, et la prétendue Apologie est une critique, une satyre même, et d'autant plus maligne, qu'elle est plus ingénieuse. (Voyez la Motte, Discours à la tête de la tragédie de Romulus). Cet endroit sur Fontenelle n'est pas non plus sans quelque malignité, et on la sentira bien. Cependant nous avons cru pouvoir le mettre ici, parce qu'il est ingénieux: qu'à quelques nuances près, Fontenelle y est peint très-vraisemblant; et que la brochure où il se trouve est presque oubliée aujourd'hui. Tel est le sort de la plupart des critiques, et même de celles où il ya le plus d'esprit, sur-tout lorsqu'elles manquent d'équité.

Voici comment ce morceau sur Fontenelle est amené

dans la prétendue Apologie de M. de la Motte. L'auteur cite en faveur des tragédies de ce poëte, mais toujours ironiquement, le suffrage de Fontenelle, témoin, ajoute-t-il, du premier ordre. Mais ce témoin est-il aussi sincère qu'éclairé? «Il ne faut, poursuit M. Bel, que faire un peu » d'attention au caractère de M. de Fontenelle, pour détruire cette vaine chicane. C'est un philosophe, &c. »

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