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DIALOGUE I I.

CALLIR HÉE, PAULINE.

PAULINE.

Pour moi, je tiens qu'une femme est en péril' dès qu'elle est aimée avec ardeur. De quoi un amant passionné ne s'avise-t-il pas pour arriver à ses fins? J'avois long-temps résisté à Mundus, qui étoit un jeune romain fort bien fait; mais enfin, il remporta la victoire par un stratagême. J'étois fort dévote au dieu Anubis. Un jour une prêtresse de ce dieu me vint dire de sa part qu'il étoit amoureux de moi, et qu'il me demandoit un rendezvous dans son temple. Maîtresse d'Anubis ! figurez-vous quel honneur. Je ne manquai pas au rendez-vous; j'y fus reçue avec beaucoup de marques de tendresse; mais à vous dire la vérité, cet Anubis, c'étoit Mundus. Voyez si je pouvois m'en défendre. On dit bien que des femmes se sont rendues à des dieux déguisés en hommes, et quelquefois en bêtes; à plus forte raison devra -t-on se rendre à des hommes déguisés en dieu.

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CALLIR HÉE.

En vérité, les hommes sont bien remplis d'avarice. J'en parle par expérience, et il m'est arrivé

presque la même aventure qu'à vous. J'étois une fille de la Troade, et sur le point de me marier; j'allois, selon la coutume du pays, accompagnée d'un grand nombre de personnes, et fort parée, offrir ma virginité au fleuve Scamandre. Après que je lui eus fait mon compliment, voici Scamandre qui sort d'entre ses roseaux, et qui me prend au mot. Je me crus fort honorée, et peut être n'y

il pas jusqu'à mon fiancé qui ne le crût aussi. Tout le monde se tint dans un silence respectueux. Mes compagnes envioient secrettement ma félicité, et Scamandre se retira dans ses roseaux quand il voulut. Mais combien fus-je étonnée un jour que je rencontrai ce Scamandre qui se promenoit dans une petite ville de la Troade, et que j'appris que c'étoit un capitaine athénien qui avoit sa flotte sur cette côte-là!

PAULIN E

Quoi! vous l'aviez donc pris pour le vrai Sca

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Et étoit - ce la mode en votre pays que le fleuve acceptât les offres que les filles à marier venoient lui fairen livo

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CALLIR HÉE.

Non; et peut-être s'il eût eu coutume de les accepter, on ne les lui eût pas faites. Il se contentoit des honnêtetés qu'on avoit pour lui, et n'en abusoit pas.

PAULIN E.

Vous deviez donc bien avoir le Scamandre

suspect?

CALLIR HÉE.

pour

Pourquoi? Une jeune fille ne pouvoit-elle pas croire que toutes les autres n'avoient pas eu assez de beauté pour plaire au dieu, ou qu'elles ne lui avoient fait que de fausses offres, auxquelles il n'avoit pas daigné répondre? Les femmes se flattent si aisément! Mais vous, qui ne voulez pas que j'aie été la dupe du Scamandre, vous l'avez bien été d'Anubis.

C

PAULIN E.

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Non, pas tout-à-fait. Je me doutois un peu qu'Anubis pouvoit être un

un simple mortel.

CALLIR HÉE.

Et vous l'allâtes trouver ? cela n'est pas excu

sable.

PAULIN E.

Que voulez-vous? J'entendois dire à tous les

sages, que si l'on n'aidoit soi-même à se tromper, on ne goûteroit guère de plaisirs.

CALLIR HÉE.

Bon, aider à se tromper! Ils ne l'entendoient pas apparemment dans ce sens-là. Ils vouloient dire les choses du monde les plus agréables que sont dans le fond si minces, qu'elles ne toucheroient pas beaucoup, si l'on y faisoit une réflexion un peu sérieuse. Les plaisirs ne sont pas faits pour être examinés à la rigueur, et on est tous les jours réduit à leur passer bien des choses sur lesquelles il ne seroit pas à propos de se rendre difficile. C'estlà ce que vos sages.

....

PAULIN E.

C'est aussi ce que je veux dire. Si je me fusse rendue difficile avec Anubis, j'eusse bien trouvé que ce n'étoit pas un dieu; mais je lui passai sa divinité, sans vouloir l'examiner trop curieusement. Et où est l'amant dont on souffriroit la tendresse, s'il falloit qu'il essuyât un examen de notre raison?

CALLIR HÉE.

La mienne n'étoit pas si rigoureuse. Il se pouvoit trouver tel amant qu'elle eût consenti que j'aimasse; et enfin il est plus aisé de se croire aimée d'un homme sincère et fidèle que d'un dieu,

PAULIN E.

De bonne foi, c'est presque la même chose. J'eusse été aussi-tôt persuadée de la fidélité et de la constance de Mundus que de sa divinité.

CALLIR HÉE.

Ah! il n'y a rien de plus outré que ce que vous dites. Si l'on croit que des dieux aient aimé, du moins on ne peut pas croire que cela soit arrivé

souvent; mais on a vu souvent des amans fidèles qui n'ont point partagé leur cœur, et qui ont sacrifié tout à leurs maîtresses.

PAULIN E.

Si vous prenez pour de vraies marques de fidélité les soins, les empressemens, des sacrifices, une préférence entière, j'avoue qu'il se trouvera assez d'amans fidèles; mais ce n'est pas ainsi que je compte. J'ôte du nombre de ces amans tous ceux dont la . passion n'a pu être assez longue pour avoir le loisir de s'éteindre d'elle-même, ou assez heureuse pour en avoir sujet. Il ne me reste que ceux qui ont tenu bon contre le temps et contre les faveurs et ils sont à-peu-près en même quantité que les dieux qui ont aimé des mortels.

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CALLIR HÉ E.

Encore faut-il qu'il se trouve de la fidélité,

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