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veulent bien que les dieux soient aussi fous qu'eux; mais ils ne veulent pas que les bêtes soient aussi

sages.

DIALOGUE VI.

ATHENA IS, I CASI E.

PUISQUE

ICA SI E.

UISQUE VOUS voulez savoir mon aventure, la voici. L'empereur sous qui je vivois, voulut se marier; et pour mieux choisir une impératrice, il fit publier que toutes celles qui se croyoient d'une beauté et d'un agrément à prétendre au trône se trouvassent à Constantinople. Dieu sait l'affluence qu'il y eut. J'y allai, et je ne doutai point qu'avec beaucoup de jeunesse, avec des yeux très-vifs, et un air assez agréable et assez fin, je ne pusse disputer l'empire. Le jour que se tint l'assemblée de tant de jolies prétendantes, nous parcourions toutes d'une manière inquiette les visages les unes des autres; et je remarquai avec plaisir que mes rivales me regardoient d'assez mauvais œil. L'empereur parut. Il passa d'abord plusieurs rangs de belles sans rien dire; mais quand il vint à moi, mes yeux me servirent bien, et ils l'arrêtèrent. En vérité, me dit-il, en me regardant de l'air que je pouvois

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souhaiter, les femmes sont bien dangereuses, elles peuvent faire beaucoup de mal. Je crus qu'il n'étoit question que d'avoir un peu d'esprit, et que j'étois impératrice; et dans le trouble d'espérance et de joie où je me trouvois, je fis un effort pour répondre. En récompense, Seigneur, les femmes peuvent faire et ont fait quelquefois beaucoup de bien. Cette réponse gâta tout. L'empereur la trouva si spirituelle, qu'il n'osa m'épouser.

ATHENA I S.

Il falloit que cet empereur - là fût d'un caractère bien étrange, pour craindre tant l'esprit, et qu'il ne s'y connût guère, pour croire que votre réponse en marquât beaucoup; car franchement elle n'est pas trop bonne, et vous n'avez pas grand'chose à vous reprocher.

I CASIE.

Ainsi vont les fortunes. L'esprit seul vous a faite impératrice; et moi la seule apparence de l'esprit m'a empêchée de l'être. Vous saviez même encore. la philosophie, ce qui est bien pis que d'avoir de l'esprit ; et avec tout cela, vous ne laissâtes pas d'épouser Théodose le jeune.

ATHENA I S.

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Si j'eusse eu devant les yeux un exemple comme le vôtre, j'eusse eu grand'peur. Mon père, après

avoir fait de moi une fille fort savante et fort spirituelle, me déshérita, tant il se tenoit sûr qu'avec ma science et mon bel esprit, je ne pouvois manquer de faire fortune, et à dire le vrai, je le croyois comme lui. Mais je vois présentement que je courois un grand hasard, et qu'il n'étoit pas impossible que je demeurasse sans aucun bien, et avec la seule philosophie en partage.

I CASIE.

Non, assurément; mais par bonheur pour vous, mon aventure n'étoit pas encore arrivée. Il seroit assez plaisant que dans une occasion pareille à celle où je me trouvai, quelqu'autre qui sauroit mon histoire, et qui voudroit en profiter, eût la finesse de ne laisser point voir d'esprit, et qu'on se mo quât d'elle.

ATHENA I S.

Je ne voudrois pas répondre que cela lui réussît, si elle avoit un dessein; mais bien souvent, on fait par hasard les plus heureuses sottises du monde. N'avez-vous pas oui parler d'un peintre qui avoit si bien peint des grappes de raisin, que des oiseaux s'y trompèrent, et les vinrent becqueter? Jugez quelle réputation cela lui donna. Mais les raisins étoient portés dans le tableau par un petit paysan: on disoit au peintre, qu'à la vérité il falloit qu'ils fussent bien faits, puisqu'ils attiroient les oiseaux;

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mais qu'il falloit aussi que le petit paysan fût bien mal fait, puisque les oiseaux n'en avoient point de peur. On avoit raison. Cependant, si le peintre ne se fût pas oublié dans le petit paysan, les raisins n'eussent pas eu ce succès prodigieux qu'ils

eurent.

I c CASIE.

En vérité, quoiqu'on fasse dans le monde, on ne sait ce que l'on fait; et après l'aventure de ce peintre, on doit trembler, même dans les affaires où l'on se conduit bien, et craindre de n'avoir pas fait quelque faute qui eût été nécessaire. Tout est incertain. Il semble que la fortune ait soin de donner des succès différens aux mêmes choses, afin de se moquer toujours de la raison humaine, qui ne peut avoir de règle assurée.

DIALOGUES

DES

MORTS ANCIENS

AVEC

DES MODERNES.

DIALOGUE I

AUGUSTE, PIERRE ARETIN.

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P. ARET IN.

ur, je fus bel esprit dans mon siècle, et je fis auprès des princes une fortune assez considérable.

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Vous composâtes donc bien des ouvrages pour

eux ?

Point du tout. J'avois pension de tous les princes de l'Europe, et cela n'eût pas pu être, si je me

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