Page images
PDF
EPUB

joignent à cette naissance ont des droits encore plus puissans, et principalement les graces d'une si grande jeunesse, qu'on ne peut guère les accuser d'aucun dessein de plaire, quoique ce dessein même fût une faveur.

Quel agréable emploi que celui dont vous êtes chargé ! Vous donnez à deux jeunes princesses toutes les connoissances qui leur conviennent en même temps que les charmes de leur personne croîtront sous vos yeux, ceux de leur esprit croîtront aussi par vos soins; et je puis vous annoncer de plus que les instructions qu'elles recevront de vous, ne vous seront pas inutiles à vous-même, et qu'elles vous en rendront d'autres à leur tour. La nécessité de vous accommoder à leur âge et à leur délicatesse naturelle, vous accoutumera à dépouiller tout ce que vous leur apprendrez d'une sécheresse et d'une dureté trop ordinaires au savoir; et d'un autre côté, les personnes de ce rang, quand elles sont nées avec de l'esprit, ont une langue particulière, des expressions, des tours que les savans seroient trop heureux de pouvoir étudier chez elles. Pour les recherches laborieuses, pour la solidité du raisonnement, pour la force, pour la profondeur, il ne faut que des hommes, Pour une élégance naïve, pour une simplicité fine et piquante, pour le sentiment délicat des convenances, pour une certaine fleur d'esprit, il faut des hommes polis par le com

[graphic]

merce des femmes. Il y en a plus en France que par-tout ailleurs, graces à la forme de notre société; et delà nous viennent des avantages dont les autres nations tâcheront inutilement ou de rabaisser, ou de se dissimuler le prix. La perfection en tout genre consiste dans un mêlange juste de qualités opposées, dans une réunion heureuse qui s'en fait malgré leur opposition. L'éloquence et la poésie demandent de la vivacité et de la sagesse, de la délicatesse et de la force; et il arrive que l'esprit françois, auquel les hommes et les femmes contribuent assez également, est un résultat plus accompli de différens caractères. L'Académie croira avoir bien rempli sa destination, si par ses soins et par ses exemples elle réussit à perfectionner ce goût et ce ton qui nous sont particuliers; peut-être même suffira-t-il qu'elle les maintienne.

[graphic]

REPONSE

DE FONTENELLE

A L'ÉVÊQUE

DE LUÇON,

Lorsqu'il fut reçu à l'Académie Françoise le 6 mars 1732.

MONSIEUR,

IL arrive quelquefois que, sans examiner les motifs de notre conduite, on nous accuse d'avoir dans nos élections beaucoup d'égard aux noms et aux dignités, et de songer du moins autant à décorer notre liste qu'à fortifier solidement la compagnie. Aujourd'hui nous n'avons point cette injuste accusation à craindre. Il est vrai que vous portez un beau nom; il est vrai que vous êtes revêtu d'une dignité respectable: on ne nous reprochera cependant ni l'un ni l'autre. Le nom vous donneroit presque un droit héréditaire; la dignité vous a donné lieu de fournir vos véritables titres ces ouvrages où vous avez traité des matières, qui,

très-épineuses par elles-mêmes, le sont devenues encore davantage par les circonstances présentes. Beaucoup d'autres ouvrages du même genre ont essuyé de violentes attaques, dont les vôtres se sont garantis par eux-mêmes : mais ce qu'il nous appartient le plus particulièrement d'observer, il y règne cette beauté de style, ce génie d'éloquence dont nous faisons notre principal objet.

Nous voyons déja combien notre choix est applaudi par ce monde plus poli et plus délicat, qui peut être ne sait pas trop en quoi consiste notre mérite académique ; mais qui se connoît bien en esprit. Ce monde où vous êtes né, et où vous avez vécu, ne se lasse point de vanter les agrémens de votre conversation et les charmes de votre société. Nous croirons aisément que ces louanges vous tou

chent peu, soit par l'habitude de les entendre, soit

parce que la gravité de votre caractère peut vous les faire mépriser: mais l'Académie est bien-aise que ses membres les méritent, elle que son nom d'Académie Françoise engage à cultiver ce qui est le plus particulier aux François, la politesse et les agrémens.

Ici, Monsieur, je ne puis résister à la vanité de dire que vous n'avez pas dédaigné de m'admettre au plaisir que votre commerce faisoit à un nombre de personnes mieux choisies; et je rendrois graces avec beaucoup de joie au sort qui m'a mis

[graphic]

en place de vous en marquer publiquement ma reconnoissance, si ce même sort ne me chargeoit aussi d'une autre fonction très-doloureuse et trèspénible.

Il faut que je parle de votre illustre prédécesseur, d'un ami qui m'étoit extrêmement cher, et que j'ai perdu; il faut que j'en parle, que j'appuie sur tout ce qui cause mes regrets, et que je mette du soin à rendre la plaie de mon cœur encore plus profonde. Je conviens qu'il y a toujours un certain plaisir à dire ce que l'on sent: mais il faudroit le dire dans cette assemblée d'une manière digne d'elle, et digne du sujet ; et c'est à quoi je ne crois pas pouvoir suffire, quelque aidé que je sois par un tendre souvenir, par ma douleur même, et par mon zèle pour la mémoire de mon ami.

Le plus souvent on est étrangement borné par la nature. On ne sera qu'un bon poëte, c'est être déja assez réduit; mais de plus, on ne le sera que dans un certain genre; la chanson même en est un où l'on peut se trouver renfermé. La Motte a traité presque tous les genres de poésie. L'ode étoit assez oubliée depuis Malherbe; l'élévation qu'elle demande, les contraintes particulières qu'elle impose avoient causé sa disgrace, quand un jeune inconnu parut subitement avec des odes à la main, dont plusieurs étoient des chef-d'œuvres, et les plus foibles avoient de grandes beautés. Pindare

« PreviousContinue »