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il n'étoit pas;

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il en étoit cependant mais loin d'en être le patriarche, il étoit au contraire un des moins vifs et des plus modérés.

Ce fut pendant la durée de cette dispute, qu'il donna au Public l'opéra de Thétis et Pelée, qui fut reçu avec le plus grand applaudissement. Il a eu depuis le plaisir de voir jouer ce même opéra en 1752, plus de soixante - trois ans après sa première représentation, et de le voir reçu du Public d'aujourd'hui, avec la même faveur qu'il avoit autrefois méritée en 1689. Cette pièce fut suivie de celle d'Enée et Lavinie, jouée en 1690. Mais soit que le sujet de cette dernière fût moins intéressant, soit que la musique fût inférieure, il n'eut pas absolument le même succès que le premier. Il avoit composé, pendant ce même temps, un Discours sur la Patience, qui remporta le prix proposé par l'Académie Françoise pour 1687.

Jusqu'ici nous n'avons représenté Fontenelle que comme poëte et comme homme de lettres; il nous reste à le peindre comme mathématicien et comme philosophe, quoique ces qualités n'aient jamais été séparées chez lui. Il avoit autant l'art de porter la justesse des mathématiques et la plus exacte métaphysique dans les choses de pur agrément, qu'il savoit répandre la clarté et les graces sur les matières les plus abstraites.

Pendant qu'on le croyoit uniquement occupé de

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ces ouvrages qui lui avoient fait une si brillante réputation, il suivoit, sans qu'on pût s'en douter une nouvelle route; il se livroit à l'étude des mathématiques et de la physique. Dès 1685 il avoit proposé aux mathématiciens une question arithmétique sur les propriétés du nombre IX, et l'avoit fait insérer dans les Nouvelles de la République des Lettres mais sans y vouloir mettre son nom. Bientôt il fut en état de pénétrer jusqu'aux sources de la haute géométrie; et ce fut lui qui fit la préface qui est à la tête de l'Analyse des Infiniment petits de M. de l'Hôpital.

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C'est peut-être la seule fois qu'il a prêté sa plume en qualité de mathématicien; mais ce n'étoit sûrement pas la première fois qu'il l'avoit prêtée comme homme-de-lettres. Il avoit demeuré quelque temps chez un magistrat, son intime ami (M. le Haguais, avocat - général à la Cour des Aides), et il avoit composé quelques-uns des discours que le ministère de son hôte exigeoit de lui. Probablement il avoit rendu ce service à bien d'autres mais religieux observateur du secret, il n'en a jamais parlé de leur vivant; encore falloitil, pour qu'il en parlât après leur mort, que ces pièces eussent donné lieu à quelque aventure singulière; car ce n'étoit jamais pour se faire valoir qu'il contoit, mais pour amuser ceux qui l'écoutoient, à quoi il réussissoit merveilleusement. Il

avoit autrefois aidé Brunel, son intime ami, dans un discours qui remporta le prix de l'Académie Françoise en 1695. Nous ne pouvons dissimuler que l'amitié ne l'eût emporté en cette occasion sur le devoir, car Fontenelle étoit dès-lors membre de cette célèbre compagnie; mais c'étoit en faveur d'un homme auquel il étoit lié dès l'enfance par une si singulière sympathie, qu'on lui a plusieurs fois entendu dire : « Cet homme ne m'est bon » à rien; cependant nous nous rencontrons toujours ». C'étoit, sans y penser, faire un grand éloge de son ami.

La préface des Infiniment petits fut comme le présage du changement qui arriva bientôt après dans la situation de Fontenelle. L'Académie des Sciences, instituée en 1666, contribuoit, depuis son établissement, à la gloire de la nation françoise: elle avoit produit d'excellens ouvrages; mais il faut avouer que les sciences, et même la plus grande partie de leur réputation, ne passoient guères alors le petit nombre de ceux qui les cultivoient: on n'avoit jusques-là travaillé qu'à les faire renaître. De Pontchartrain, sollicité par feu l'abbé Bignon, conçut le noble dessein de les faire aimer et respecter de ceux même qui n'en faisoient leur principale occupation. Il ne falloit pour cela que les faire connoître; mais c'étoit-là le point de la plus grande difficulté. Les Muses des ma

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thémathiques et de la physique habitent une région lumineuse et agréable; mais l'accès de leur sanctuaire est difficile et épineux. Il falloit trouver un homme capable de faire disparoître ces difficultés, de dissiper une partie des nuages qui cachoient aux hommes la vue de leurs mystères, de répandre la lumière et l'agrément sur les matières les plus sèches et souvent les plus obscures, et qui pût les ramener à la portée du plus grand nombre des lecteurs. Les preuves que Fontenelle avoit données de ses talens en ce genre dans la Pluralité des Mondes, déterminèrent le choix du Ministre en sa faveur. Il fut nommé, au commencement de 1697, à la place de secrétaire de l'Académie, vacante par la retraite de l'abbé Duhamel. Il ne fut pas long-temps à justifier la confiance qu'on lui avoit accordée. Bientôt il eut trouvé la manière la plus avantageuse de présenter au public les travaux de l'Académie. Le véritable génie est un guide sûr qui semble ignorer les tentatives, et fait frapper au but du premier coup. C'est encore à lui qu'on doit d'avoir introduit ces discours que l'Académie consacre peut-être moins à la gloire de ceux qu'elle a perdus, qu'à exciter l'émulation de ceux qui se sentent assez de courage pour entreprendre de les imiter. Tel est à-peu-près le systême de l'Histoire de l'Académie. L'ordre qui règne dans les différentes matières qu'elle renferme, la clarté avec

laquelle Fontenelle avoit l'art de présenter celles qui semblent les plus obscures, et les agrémens que son imagination sagement fleurie y savoir répandre à propos, en eurent bientôt fait un livre à la mode. Le goût des sciences se communiqua de proche en proche, et l'espèce de barbarie dans laquelle on étoit alors sur cet article, céda à la lumière naissante, du moins pour ceux qui voulurent ouvrir les yeux; car nous ne pouvons nier qu'elle n'ait encore tenu bon chez quelques - uns de ses partisans: mais quels livres peuvent instruire ceux qui ne veulent pas en faire usage? Heureusement ce nombre est aujourd'hui le plus petit, et diminue même de jour en jour. Il a été témoin du succès de ses travaux; mais il ignoroit jusqu'où le fruit s'en étoit étendu. Une lettre venue du Pérou depuis sa mort, nous a appris qu'une des productions de l'Europe, qui y est attendue avec beaucoup d'impatience, est l'Histoire de l'Acadé mie, et qu'un grand nombre de dames péruviennes ont appris le françois pour la pouvoir lire. Si on joint à cela l'usage que les Missionnaires en font dans tout l'orient, on demeurera convaincu qu'on lui doit d'avoir porté le goût des sciences et la gloire de la nation dans la plus grande partie de l'univers. Il dit dans la belle préface qu'il a mise à la tête de l'Histoire de l'Académie, « que quelquefois un grand homme donne le ton à tout

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