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parole, ils ne regardent pas l'état primitif de l'homme ni ses facultés originelles. Ce n'est pas la défendre, c'est la compromettre que de confondre, comme ils le font, l'ordre naturel avec l'ordre surnaturel; c'est la faute que commettent ses adversaires; ceux qui la répudient aujourd'hui, sont les hommes qu'on appelle humanitaires, parce qu'ils ne voient partout que l'homme, et le jugent capable de se suffire à soi-même, système dont M. de Lamennais semble se rapprocher lui-même. S'il y tombe, il n'aura fait que suivre la pente de sa propre doctrine.» (Le matér.)

Ce simple exposé suffit pour justifier la vérité de la proposition énoncée. Nous pouvons donc nous arrêter ici et mettre fin à tout ce chapitre.

Le problème proposé avait pour objet l'origine et la formation des idées. Nous avons essayé de le résoudre. Mais qu'avons-nous fait pour y parvenir? Partant de l'actuel pour remonter au primitif, nous avons observé de prime abord l'ordre de développement que suit l'intelligence humaine. Nous n'avons pas tardé à reconnaître que la pensée, produit de causes multiples, était surtout l'œuvre de l'activité intellectuelle et de l'expérience, de l'esprit et des sens. Dès lors la question venait naturellement se traduire en ces termes : Quelle est, dans la production de la pensée, la part de l'esprit? quelle est la part de l'expérience? et quelles sont les lois de leur combinaison? Le problème ainsi posé, nous avons placé en regard des solutions diverses qui lui ont été données, toutes les unes plus exclusives que les auLe sensualisme a dit : toutes les idées viennent des sensations, et il a méconnu l'élément le plus essentiel à l'idée, la donnée intellectuelle. L'idéalisme a dit : toutes les idées, la plupart, quelques-unes du moins, sont innées; elles viennent de l'esprit, et il a supprimé ou affaibli

tres.

outre mesure le rôle de l'expérience. Le mysticisme a dit : les idées ne viennent ni de l'esprit ni des sens; l'on voit tout en Dieu, et il a méconnu l'activité des causes secondes, celle de l'âme et du corps. Le rationalisme a dit : les idées viennent de l'esprit; elles en sont le produit spontané, et exagérant outre mesure les forces de la raison humaine, il méconnaît le rôle de l'expérience, isolant l'homme de la société. L'extériorisme a dit : toutes les idées sont importées par la parole ou la société, et en faisant dériver les idées du langage, il intervertit les rôles de l'esprit et de l'expérience. Abordant la question à notre tour nous avons dit : les idées sont tout à la fois l'œuvre de l'esprit, des sens, de l'expérience et de la société. Elles sont l'œuvre de l'esprit, il en est la cause efficiente; de l'expérience, elle en est la cause matérielle, excitatrice; de la société enfin, qui en présentant la vérité, nous donne en même temps des moyens de la connaître. Elles sont aussi l'œuvre de Dieu, ou de la suprême intelligence, enseignant toute vérité comme il guérit toute infirmité. Ainsi la théorie de l'origine de nos idées repose sur la base indestructible d'une synthèse toute naturelle, celle de tous nos moyens de connaître. Car, ne l'oublions pas, c'est sur l'ensemble de nos facultés qu'il faut élever l'édifice de la vérité si l'on ne veut pas qu'il s'écroule d'un côté, tandis qu'on l'édifie de l'autre.

CHAPITRE II.

DE LA NATURE de l'ame humAINE.

INTRODUCTION.

Notion de l'âme. Sa différence d'avec le moi. — Sur quoi elle est fondée. Objet de ce chapitre.

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S1er. « L'âme, dit Bossuet, est ce qui nous fait penser, entendre, sentir, raisonner, vouloir, choisir une chose plutôt qu'une autre, etc. » Elle est donc le moi sensible, intelligent et libre, tel que nous l'avons étudié dans la psychologie expérimentale : car la sensibilité, c'est l'âme sentant; l'intelligence, l'âme connaissant; la liberté, l'âme voulant. Toutefois, à la rigueur, autre chose est l'âme, autre chose est le moi, et cette distinction doit être reconnue, si l'on veut se faire une juste idée de cette partie de la psychologie rationnelle que nous allons commencer. S2. Déjà dans la logique nous avons distingué entre le moi subjectif et le moi objectif. (Sect. II. 76.)

Cette dualité du moi est-elle réelle et quel en est le fondement? Elle repose sur le double point de vue suivant lequel le moi peut être envisagé. Le principe pensant consi

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déré en lui-même, dans sa substantialité, abstraction faite des opérations par lesquelles il se manifeste à lui-même, fait le moi objectif, ontologique. Ce même principe se manifestant à lui-même par les modes dont il a conscience, et en tant qu'il se manifeste, fait le moi subjectif, phénoménal. Le premier seul s'appelle âme, dans l'acception rigoureuse du mot, à la différence du second, qui est le moi proprement dit. L'âme et le moi ne sont donc pas précisément la même chose. Le moi n'existe pas toujours; il n'est pas constamment le même, car les manifestations, les modifications psychologiques commencent et disparaissent, elles sont passagères; l'âme, au contraire, support réel de ces mêmes modifications, reste constamment la même; elle préexiste et survit à chacune de ces modifications. Le moi phénoménal n'est donc pas l'expression adéquate du moi ontologique ou de l'âme, et dès lors la distinction entre l'une et l'autre doit être maintenue.

S 3. Cette dualité du sujet pensant nous conduit à reconnaître en lui deux sortes de propriétés : les unes nous le révèlent comme être sensible, intelligent et libre; les autres nous le font concevoir comme une substance, un agent simple, identique et spirituel. Les premières peuvent être appelées propriétés psychologiques, les secondes propriétés ontologiques. Celles-là appartiennent à la psychologie expérimentale, car elles constituent la partie observable de l'âme. Celles-ci sont du domaine de la psychologie rationnelle, car c'est surtout à la lumière de la raison qu'elles se laissent saisir.

S4. Les propriétés ontologiques de l'âme sont de deux sortes; les unes sont primitives ou fondamentales, les autres secondaires ou consécutives. Les premières sont la spontanéité, la substantialité, l'unité, la simplicité et l'iden

tité. Les autres sont l'individualité, la personnalité, la spiritualité, l'incorruptibilité et l'immortalité. Celles-ci aussi bien que celles-là sont essentielles; leur différence résulte du mode sous lequel l'esprit les conçoit. L'examen de ces divers attributs fait l'objet des deux leçons suivantes. Nous y ajouterons une troisième sur l'âme des brutes. Elle nous fera connaître mieux encore la véritable nature de l'âme humaine.

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